Le philosophe de la culture George Steiner a intitulé l’un de ses livres Réelles présences, pour défendre l’idée que l’effet de la lecture des livres n’est pas de nous isoler dans un monde purement verbal, mais, à l’inverse, par la médiation de la parole, de nous ouvrir à la présence des choses et des êtres. Mais, au plan spirituel cette fois-ci, quels maîtres livres peuvent nous apprendre ce sens de la présence de Dieu dans l’instant présent ? Trois classiques de l’histoire de la spiritualité sont sélectionnés ici, qui gravitent tous autour de cette question de l’instant présent, envisagé d’après trois perspectives complémentaires.
L’abandon à la Providence divine, du Père Jean-Pierre de Caussade, s.j. (1675-1751), est un court traité invitant les âmes à suivre une voie faite de simplicité et de dépendance à l’égard du Dieu provident. En réaction à une spiritualité trop méthodique, mais aussi trop marquée par la figure du directeur spirituel, et donc en somme trop humaine, le Père de Caussade nous engage à reconnaître directement en nous et autour de nous l’action de la Providence. D’où son insistance sur l’esprit de foi, qui seul permet de déceler l’agir de Dieu dans le « sacrement du moment présent », selon sa très belle expression. Il peut ainsi écrire : « Le moment présent est comme un désert où l’âme simple ne voit que Dieu seul, n’étant occupée que de ce qu’il veut d’elle : tout le reste est laissé, oublié, abandonné à la Providence. »
Plus d’un siècle après, dans un tout autre contexte historique, la « petite voie » de sainte Thérèse de Lisieux renouvelait cette thématique spirituelle de l’instant présent, donnant lieu, au XXe siècle, à deux ouvrages puisant à la même source thérésienne. D’abord, celui du Père Victor Sion, o.c. (1909-1990), La grâce de l’instant présent, qui peut être vu comme un grand développement à partir du célèbre poème de la sainte intitulé Mon chant d’aujourd’hui. Cette spiritualité du présent est formulée en ces termes : « Dieu veut que nous vivions dans le présent, que nous allions à lui sans inquiétude du lendemain. Aussi le programme de la vie chrétienne pourrait-il être : remplir parfaitement et avec amour chaque instant qui passe. »
Cette source thérésienne donna lieu ensuite au livre du Père d’Elbée, Croire à l’amour (1969), qui peut se concevoir, quant à lui, comme un commentaire de cette très célèbre phrase de la sainte, extraite de l’une de ses lettres : « C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour. » Cette foi en l’amour de Dieu fait écrire au Père d’Elbée : « Il faut vivre un amour actuel. Trop souvent, nous faisons de notre vie d’amour avec Dieu en nous quelque chose à réaliser dans l’avenir, un jour, quand on aura fait suffisamment de progrès pour cela… Le « suffisamment » me fait sourire car, enfin, comment établir cette suffisance ? Non ! Tout de suite, dans la minute présente, je dis à Jésus que je sais qu’il m’aime et que je l’aime. »