Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« UN SEUL SEIGNEUR, UNE SEULE FOI, UN SEUL BAPTÊME ! »

Is.55, 1-11 1Jn.5, 1-9 Mc.1,7-11

Essayons de faire l’exégèse de cet épisode de la vie de Jésus qui clôt le temps de Noël et qui n’est pas toujours facile à interpréter. Le Baptême, dans notre Liturgie, est le rite de la purification du péché tant originel que personnel. Alors, Jésus étant sans péché, pourquoi s’est-il fait baptiser ? Paul nous dit que « le Père l’a fait péché » pour nous ; c’est à dire qu’Il Lui a mis sur l’épaule le poids du péché du monde « propter nos. » C’est donc pour nous que Jésus accomplit cet acte baptismal. Non pas pour Sa propre purification dont Il n’a pas besoin, mais pour notre éducation. Essayons alors de trouver quels sont les sens que Jésus veut nous faire découvrir. Je vous en propose deux.

 

Regardons d’abord la place de ce rite baptismal par rapport à l’Histoire du Salut, et tout particulièrement par rapport à l’Ancienne Alliance qui vient à peine de se clore puisque le ministère public de Jésus n’est pas encore commencé.

On a beaucoup parlé des rites de purification des Esséniens, cette secte religieuse qui vivait dans le désert de la mer Morte, recherchant la pureté dans la relation à Dieu, secte dont peut être Jean-Baptiste a fait partie et que le Christ connaissait.

Mais il faut aller voir plus loin. Le lien entre le Baptême et l’Ancienne Alliance n’est pas seulement un lien rituel, c’est un lien de Révélation et c’est un lien prophétique.

« Lorsque Jésus remonta de l’eau, le ciel se déchira. »

La clé de cette relation, Marc lui seul nous la donne en employant deux expressions peu communes, surtout la première, celle-ci : « Lorsque Jésus remonta de l’eau, le ciel se déchira. » Cette expression est unique dans le Nouveau Testament. Elle nous renvoie, sans aucun doute donc à la même expression, aussi unique dans l’Ancien, employée par Isaïe au chapitre 63ème « Ah ! Yahvé, si les cieux se déchiraient, si tu montrais ta face, si tu descendais sur la terre pour nous sauver ! »

Avec Isaïe, nous nous situons dans le contexte très particulier du retour de l’exil. Souvenons-nous : 597, première prise de Jérusalem ; puis en 587, rébellion, d’où deuxième prise de Jérusalem par Nabuchodonosor. Tout est détruit et le peuple juif est déporté à Babylone. C’est vraiment la misère, l’abandon de Dieu…

50 ans après, Sirus lève le décret de déportation et permet au peuple de retourner chez lui. Joie ! Mais voilà que le peuple se divise : certains, enrichis à Babylone, veulent rester s’y trouvant très bien.

Seigneur où es-Tu ? Qu’as-Tu fait de nous ? Pourquoi nous laisses-Tu ?

Ceux qui partent pèlerinent (comme durant l’Exode) vers la terre qui est la leur pour y trouver les Samaritains qui, entre temps, ont pris possession des lieux.

C’est le désespoir ! Où est-il le Livre de la Consolation du prophète Isaïe qui chantait, durant l’Exil, le retour dans la Terre Promise comme un nouvel Exode, une nouvelle libération de l’esclavage, non plus des Egyptiens mais des Babyloniens ?

Voilà ce temps promis enfin arrivé et rien ne se passe comme prévu ! Les Samaritains, qui leur font la guerre, ne veulent pas entendre parler de la reconstruction d’un temple. Ils sont là, avec leur religion, avec leurs coutumes, avec leur politique… Oui, c’est le désespoir du peuple et c’est ce qui explique le cri d’Isaïe : Seigneur où es-Tu ? Qu’as-Tu fait de nous ? Pourquoi nous laisses-Tu ? Pourquoi nous oublies-Tu ? Et dans ce nouvel Exode, dans cette deuxième démarche de libération pour arriver dans notre Terre Promise, notre terre qui est la nôtre, envoie-nous quelqu’un, envoie-nous un sauveur, envoie-nous un libérateur !

« Lorsque Jésus remonta de l’eau… »

Et c’est ainsi que, tout naturellement, Isaïe dans ce chapitre 63ème demande « aux cieux de se déchirer » pour laisser venir le Sauveur du peuple juif.

Isaïe se souvient de Moïse et de l’Exode ; il se souvient de cet homme consacré par l’Esprit pour « tirer le peuple de la mer », le « remonter de la mer. »

La mer c’était le Nil pour le peuple hébreu, c’est à dire les eaux de l’esclavage, du mal. Dans ce même chapitre 63ème Isaïe parle de Moïse qui a remonté, a retiré le peuple de la mer pour le faire accéder à la Terre Promise. C’était le prophète, c’était le sauveur ! Moïse qui était tiré des eaux a tiré le peuple des eaux, il l’a sauvé !

D’où cette deuxième expression « remonté des eaux. » Moïse le grand, le grand Moïse « a remonté le peuple des eaux », c’est-à-dire qu’il a sauvé d’Egypte pour lui donner la Terre Promise. C’est dans ce sens bien précis que Marc emploie ces deux expressions : « les cieux se déchirèrent une fois que le Christ  remonta des eaux. »

Les cieux qui se déchirent, c’est le signe que l’appel d’Isaïe vient d’être entendu et se réalise. C’est dire donc, pour Marc, que Jésus délivre, comme Moïse, le peuple de l’esclavage du mal.

« Celui que vous écouterez… »

Jésus est le nouveau Moïse. Celui-là même d’ailleurs que Moïse prophétisait : le Grand Prophète « celui que vous écouterez. »

Nouveau Moïse, Jésus est un homme comme lui. Moïse demande à Dieu d’envoyer un prophète, un homme afin que les Juifs puissent entendre la Parole de Dieu sans mourir.

Jésus est un homme, Il est consacré par l’Esprit -la colombe- comme Moïse ; et comme Moïse Il délivre le peuple. Mais Lui le fait d’une manière définitive.

Il est consacré par l’Esprit en tant que Fils : ce n’est plus seulement un messager comme Moïse, c’est la Face même de Yahvé « le resplendissement de la face du Père, le reflet de sa gloire. »

Fils de Dieu et donc Dieu Lui-même, Il se tire Lui-même des eaux, Il se sauve Lui-même, Il remonte Lui-même du Jourdain pour entraîner le peuple. C’est le nouveau peuple de Dieu qu’Il entraîne dans un nouvel exode (qui n’est plus l’exode de l’Egypte, qui n’est même pas l’exode de l’exil de Babylone), qui est l’exode du peuple de l’Eglise vers la Terre promise, nouvel exode définitif et éternel !

« Moi je vous baptise dans l’eau, lui va vous baptiser dans l’Esprit. »

Lorsqu’on s’arrête un instant à l’analyse des termes choisis par l’évangéliste, nous arrivons à détecter sa pensée. Mieux : à entrer dans le mystère de la Parole de Dieu !

La Révélation est là aujourd’hui pour nous dire que le Baptême du Seigneur n’est pas seulement la manifestation apologétique de la Trinité ; ce n’est pas seulement pour reprendre un beau rite de purification qui était si bon qu’il sera assumé, comme dit Jean-Baptiste : « Moi je vous baptise dans l’eau, lui va vous baptiser dans l’Esprit. »

C’est aussi pour nous montrer comment toute l’espérance du peuple d’Israël, contenue dans le cri lancé par Isaïe vers le ciel pour que le ciel se déchire et donne le Sauveur, vient de s’achever parce qu’elle se réalise.

« Si les cieux se déchiraient pour faire venir le salut. »

C’est effectivement les cieux qui se déchirent parce que le nouveau Moïse, le Moïse définitif vient de remonter de l’eau pour tirer le peuple des eaux du mal !

La meilleure preuve de l’exactitude de cette compréhension des textes prophétiques est que pour le premier dimanche de l’Avent (qui commence notre attente de chrétien liée à l’attente de tout l’Ancien Testament), c’est cette lecture du prophète Isaïe qui nous est donnée à méditer. C’est ce cri « Si les cieux se déchiraient pour faire venir le salut. »

Et aujourd’hui, jour du Baptême du Christ qui conclut le temps de Noël, le temps de la venue du Sauveur, le temps de la venue du nouveau Moïse, Marc fait référence à ce même cri du prophète.

« Tu es mon fils bien-aimé… »

Le deuxième sens que l’on peut découvrir de cet acte du Baptême est celui-ci.

Pourquoi Dieu a-t-Il tenu à manifester publiquement l’amour qu’Il porte à Jésus ? Non pas à Son Fils qu’Il aime de toute éternité (le Verbe qui est auprès de Dieu), mais à Jésus c’est-à-dire à la personne du Verbe ayant assumé la nature humaine de Jésus : « Tu es mon fils bien-aimé, en toi je mets tout mon amour. »

Lorsque un homme, une femme vivent l’amour, ils le vivent dans l’intimité. L’amour est ce qu’il y a de plus secret, de plus intime, de plus personnel, relation de personne à personne dans la totalité des deux personnes.

Et pourtant l’homme et la femme ressentent le besoin d’exposer publiquement l’amour qu’ils se portent : c’est le mariage, institution naturelle avant d’être sacramentalisée par le Christ. Parce que l’homme et la femme ressentent le besoin d’opposer aux tiers (comme l’on dit en droit) de manifester au prochain cette réalité nouvelle qui se constitue par le sentiment de l’amour. Cette réalité, c’est : nous ne sommes plus deux mais une seule chair, donc nos destins de l’un et de l’autre sont liés. Si vous appelez l’un vous appelez l’autre…

Et l’un comme l’autre, l’homme et la femme, les deux conjoints, les deux fiancés sont co-responsables de leur destin, de leur croissance, de leur épanouissement. C’est une des fins du mariage que ce soutien mutuel.

« …En toi je mets tout mon amour. »

Si Dieu donc prend la peine de manifester non pas dans l’intimité (du désert par exemple lorsque Jésus se retire seul pour prier), mais publiquement l’amour qu’Il porte à Jésus, c’est pour ces mêmes raisons.

C’est pour nous dire que, depuis cet instant-là, depuis Jésus, Dieu est lié à Jésus-homme et à travers Jésus-homme à tout homme comme un mari est lié à sa femme ! Les deux ne font plus qu’un et ils sont tous les deux responsables de leur existence.

Le prophète Isaïe, dans la première lecture, met en avant cette co-responsabilité des destins de Dieu et de l’homme. Dieu propose la nourriture, mais c’est à l’homme de venir pour manger, pour se rassasier.

Et lorsque l’homme vient vers Dieu, lorsque l’homme cherche Dieu et trouve Dieu, il y a plus de joie au Ciel dira l’Evangile que pour un seul juste qui n’a pas besoin de repentir. Il y a donc effectivement une ‘co-relation’ pour ne pas dire une corrélation entre la vie de l’homme et la vie de Dieu. Depuis Jésus, comme le mari et la femme, ils sont co-responsables et ils sont liés l’un à l’autre de manière indéfectible.

« Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait ! »

Ils sont liés de manière tellement forte, comme le laisse pressentir l’union de la nature divine et de la nature humaine en la personne de Jésus (qui sera reproduite de manière analogique dans l’Eglise, réalité humano-divine), cet homme et ce Dieu, cette humanité et cette divinité que celui qui touche l’homme touche Dieu !

C’est tout l’enseignement du chapitre 25 de Matthieu touchant le Jugement : Vous m’avez nourri, vous m’avez vêtu, vous m’avez visité, en nourrissant ce petit, en visitant ce malade, en habillant ce pauvre… dit Dieu en Jésus.

Mais il nous faut comprendre également que lorsque l’on touche Dieu, on touche l’homme !

Si l’on touche vraiment Dieu par le sentiment de l’amour, seule réalité humaine qui puisse toucher l’autre et faire communier à l’autre, si l’on touche Dieu, c’est-à-dire si on L’aime vraiment alors, nous dit saint Jean dans la deuxième lecture, on aime l’homme qui est né de Dieu !

Cet homme qui est né de Dieu, ce n’est pas seulement l’homme en tant qu’il est créé. Nous nous situons dans le contexte du Baptême de Jésus, dans un contexte donc sponsal, à l’image du mari et de la femme.

Eve est née d’Adam et l’Eglise, dira Augustin, est née du côté du Christ à la Croix, comme Eve est née d’Adam. Donc celui qui est né de Dieu, dans l’épître de Jean ce n’est pas seulement l’homme créé par Dieu, c’est celui qui croit en Jésus-Christ. C’est donc celui qui appartient à l’Epouse de Dieu, qui fait partie de cette famille de Dieu dont le Christ est l’Epoux. L’Eglise est l’Epouse et le Christ est l’Epoux. Donc si j’aime vraiment Dieu, j’aime celui qui appartient à Son Epouse, j’aime la partie de Son Epouse qui est mon prochain, mon frère baptisé.

« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés… »

Cet amour là n’a rien à voir avec un amour philanthropique ; ce n’est pas un amour de copinage. Nous ne nous aimons pas parce que nous pensons la même chose, parce que nous avons le même âge, parce que nous sommes de la même classe sociale.

L’amour dont parle le Christ là est suscité par la foi. C’est la foi qui me fait voir mon frère croyant et me le fait aimer comme le Christ l’aime : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés… »

Et cet amour là est formé par la foi. Mon frère croyant, mon frère baptisé peut être quelqu’un qui humainement n’est pas du tout dans mes catégories sentimentales, mais le regard que je reporterai sur lui c’est le regard de Jésus-Christ, ce Jésus qui nous unit tous ensemble : « Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. »

C’est pour cela que Jean nous dit : « La foi a vaincu le monde. » Mon regard mondain sur l’autre, mon regard naturel, mon regard humain, mon regard premier est assumé, transformé, supplanté par un autre regard qui est le regard chrétien, le regard de la foi.

Voilà le deuxième sens qu’on peut donner à cet épisode du Baptême où Dieu manifeste publiquement l’amour qu’Il porte à Jésus pour bien faire comprendre aux hommes, à nous tous, à l’Eglise, au monde, que désormais l’homme et Dieu ne font plus qu’un : ils sont co-responsables de leur destin et ils sont liés l’Un à l’autre !

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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