La rédaction (LRD) : Le succès de votre son et lumière « Terra Alsatia » fut inattendu car vous avez fonctionné à guichet fermé chaque jour. Comment une paroisse se lance-t-elle dans un tel projet ?
Don Armand d’Harcourt (DAH) : L’initiative fut d’abord celle d’un entrepreneur local, dirigeant d’une entreprise spécialisée dans le son et la lumière (TSE) et attaché à notre église St Etienne. Il est venu nous présenter un projet ambitieux, pour ne pas dire insensé : monter en 4 mois un spectacle de niveau professionnel avec 200 bénévoles amateurs (que nous étions priés de trouver) en 50 représentations, mais surtout avec un objectif minimum de 18 000 spectateurs… de quoi nous laisser sans voix.
Si les choses ont pu se faire si vite c’est d’abord parce que le contact et la confiance s’est tout de suite établi. Ensuite il y avait une opportunité étonnante : disponibilité de l’entreprise, du metteur en scène sur une période qui collait avec la vie de la paroisse. Nous avons immédiatement compris que ce projet, bien qu’exigeant avait quelque chose de providentiel et que nous avions une véritable opportunité pastorale à saisir.
Après nous avions en face de nous des spécialistes du métier. Il y a eu presque 50 personnes salariées sur le projet : metteurs en scène, graphistes, intermittents, chargés de communication, techniciens, électriciens, costumière…
LRD : C’est énorme, comment sont-ils recrutés, gérés et surtout financés ?
DAH : C’est précisément le rôle du producteur et surtout le risque financier qu’il prend. Un spectacle de cette ampleur demande un budget de production de près de 500 000€. C’est la raison pour laquelle l’entrée était payante, et le risque énorme car jamais à Mulhouse un spectacle n’a été réalisé dans ces dimensions. Comme paroisse, nous avions le confort de n’avoir aucune charge financière et de pouvoir travailler avec des moyens professionnels : communication, technique…
LRD : Quelle a été la place de la paroisse dans l’organisation ?
DAH : Un projet comme celui-ci repose sur la bonne entente des 3 organisateurs principaux : le producteur qui investit, l’artiste qui écrit et met en scène et la paroisse qui recrute, fédère et accompagne les bénévoles. Notre rôle fut simultanément de trouver les bénévoles, et d’accompagner la rédaction du scénario.
LRD : Un mot peut-être sur le recrutement. On dit souvent qu’il est difficile dans les paroisses de trouver des bénévoles, vous en avez recruté plus de 200, y-a-t-il une recette cachée ?
DAH : Non malheureusement, mais c’est évidemment l’originalité du projet et l’histoire racontée qui ont suscitées un tel attrait. Toutefois il fallait faire connaitre le projet. Nous avions un mois pour les trouver et je ne vous cache pas d’avoir fait quelques nuits blanches au début. D’abord une vaste campagne de communication a été lancé sur les réseaux sociaux, tractage, affiche, annonce dans les journaux et à la radio, en chaire, présentation du projet à des établissements scolaires, associations locales… En réalité nous avions un objectif de 180 bénévoles et à la fin du mois nous en avions plus de 300. Tout âge (5 à 91 ans) tout milieu… Et toute fonction : équipe d’accueil, de communication, acteur, figurant, couturière, costumière, … Ces dernières n’ont pas chômé car il a tout de même fallu trouver près de 300 costumes au 4 coins de l’Alsace. J’en tire la leçon qu’il y a toujours de bonnes volontés si un projet est enthousiasmant et ambitieux. Mais je crois surtout qu’il était providentiel et que Dieu a pourvu.
LRD : Mais ce qui fait sans doute l’attrait d’un tel projet, c’est son message. Quelle histoire avez-vous voulu donner Terra Alsatia ?
DAH : C’est évidemment le rôle et le génie de l’auteur : Damien Fontaine. En partant de la construction de notre église (1855) il nous a immergé dans les aventures de 2 familles ballotées dans la période passionnante et souvent tragique qui fut celle de l’Alsace de la fin du XIX jusqu’à la libération de 45. Le cadre était historique avec des références à des personnalités de Mulhouse et de notre église mais l’histoire romancée. Le message de fond était que la paix est un don de Dieu qui se construit chaque jour par le pardon et la prière.
LRD : Mais un tel projet a-t-il vraiment sa place dans une église, n’est-ce pas finalement transformer un lieu de prière en salle de spectacle ?
DAH : Cette question était essentielle pour nous, car nous n’avons pas vocation à organiser des spectacles (ni d’ailleurs le temps). Et par ailleurs un tel spectacle est très invasif dans la vie ordinaire de la paroisse. Mais nous avons voulu saisir cette opportunité providentielle, pour en faire un véritable projet missionnaire. Concrètement nous avions 4 objectifs pastoraux : D’abord fédérer des bénévoles en dépassant largement le cadre paroissial, (environ les 2/3 nous étaient inconnus). J’ai moi-même vécu durant les 4 mois aux milieux d’eux comme prêtre et comme acteur. Ce qui a créé des liens sans égale.
Après nous avons travaillé avec soin le scénario, nous avons corrigé, rédigé parfois les scènes, tout spécialement les dialogues de prêtres. Nous souhaitions que soit transmis un message de paix, d’espérance et de foi accessible à tous.
Enfin nous avons souhaité que chaque représentation soit présentée par un prêtre. Autrement dit, nous avons pu adresser la parole en direct, chez nous à 24 000 personnes, dont l’immense majorité n’était jamais venue dans l’église.
Enfin il y avait un objectif culturel, faire découvrir notre église, notre histoire et faire comprendre qu’en Alsace, plus qu’ailleurs sans doute, la foi est une clé nécessaire pour comprendre notre histoire.
LRD : Outre le succès qu’a rencontré le spectacle, considérez-vous avoir rempli ces objectifs ?
DAH : Oui car tout d’abord nous ne l’avions pas cherché. Ensuite il est certain que du point de vue de rayonnement de la paroisse et de l’Eglise, nous avons porté un message à plus de monde qu’en 10 ans de ministère ordinaire. Mais la vraie réussite n’est heureusement pas quantifiable : combien se sont rapprochés de l’Eglise, des sacrements, de la foi ? Nous avons eu beaucoup de témoignages réjouissants en ce sens, mais je crois de tout cœur que nous ne connaissons pas tous les fruits de Terra Alsatia.
don Armand d’Harcourt
3 mai 2024