Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.

DEVIENS CE QUE TU ES : IMAGE DU DIEU DE MISÉRICORDE !

Lectio divina pour le 10ème dimanche du Temps Ordinaire

Nous sommes plongés, avec le 10° dimanche, dans la description que fait Luc des interventions miséricordieuses du Christ dans notre humanité. Nous pouvons remarquer la ressemblance entre l’épisode du centurion, qui précède, et celui de la pauvre veuve de Naïm que nous écouterons ce dimanche. Le parallèle est aisé : il y a le centurion et la veuve, le serviteur et le fils, la maladie et la mort, la guérison enfin et une résurrection. Avec, comme bouquet final, la foi : la foi du centurion d’un côté et la glorification de Jésus comme prophète envoyé par Dieu.

Le rapport de Dieu à l’homme pécheur est un rapport de miséricorde

Et pourtant, si nous prêtons attention à cette péricope de la veuve de Naïm, nous remarquons deux détails qui vont faire bifurquer notre réflexion sur un point théologique spécifique.

Le premier détail est l’indigence, la misère, la souffrance décrites aujourd’hui et poussées à l’extrême. Cette femme, donc pas grand-chose pour le peuple sémite, veuve, donc sans soutien, sans appui, perd l’unique objet de son amour, de sa raison de vivre : son fils ! Or, dans la vision théologique de l’homme que le Christ nous enseigne, la souffrance la plus extrême, la misère la plus insupportable est le péché, c’est-à-dire le refus du plan de Dieu sur moi, l’incohérence avec ce que je suis de par ma création créée à l’image de Dieu.

Le deuxième détail est que le Christ, en ressuscitant le fils de la veuve, donne un signe anticipatif de Sa Résurrection. Il nous déclare déjà ainsi, comme Il le fera de manière solennelle dans Sa propre Résurrection, qu’Il est victorieux de la mort, c’est-à-dire du péché.

Ces deux points orientent donc notre réflexion sur un enseignement bien particulier que le Christ désire nous donner par ce passage évangélique : le rapport de Dieu à l’homme pécheur est un rapport de miséricorde.

Le mal, ou l’incohérence avec l’image de Dieu qui est en moi

Si nous orientons ainsi notre réflexion sur cette vision théologique de la souffrance qui signifie le péché et de la résurrection qui est la victoire contre le péché, le fils mort représente la part de moi-même qui est morte à la Vie divine. Ce sont mes actes mauvais, des actes donc qui sont divergents de l’Esprit d’Amour. C’est aussi la part de mon être qui est rendue mauvaise par ces actes incohérents qui enveniment mon cœur, mon corps, mon esprit, formant ainsi ce que l’on appelle le vice. Voilà un mot qui fait peur, mais qui est simple : le vice, c’est le mauvais habitus, la mauvaise habitude. Lorsque je fais un acte bon, je prends une habitude bonne, une vertu, comme lorsque je m’entraîne au sport ou à la musique ; lorsque je fais un acte mauvais, je fais un premier pas dans une habitude mauvaise, vers le vice.

Tout cela, c’est la part de mon péché, c’est-à-dire l’incohérence avec ce que je suis profondément, l’incohérence avec l’image de Dieu que je porte en moi-même de par ma création, et qui finit par rendre de plus en plus floue cette image à l’intérieur de mon âme. Voilà le fils mort.

« Deviens ce que tu es ! » (Pindare)

A côté, il y a la veuve qui vit et qui souffre. La veuve, c’est la part de mon être qui n’est pas touchée par cette incohérence du péché. Ce sont mes valeurs de sainteté qui restent en moi : le travail, l’humilité, l’obéissance, la chasteté, le don du service, que sais-je ?… Des vertus morales, mais aussi la vertu théologale de la foi ou d’espérance qui restent en moi, qui ne sont pas totalement atteintes par le péché et qui représentent en moi un reste de l’image de Dieu. Ces valeurs de sainteté font en sorte que mon être total, ma personne reste en état de réceptivité par rapport à Dieu parce que je garde en moi une présence de Dieu, je garde en moi une ressemblance à Dieu.

Je suis donc dans la désunion. Une désunion qui est crucifiante, douloureuse comme cette veuve qui pleure, crucifiante et douloureuse même si je n’arrive pas à l’exprimer. En effet nous n’arrivons pas toujours (sauf dans certaines périodes particulièrement stressantes où nous nous sentons vraiment écartelés), à discerner, du moins à expliquer cette désunion qui pourtant nous déchire. L’homme, l’âme, est fait pour l’unité. Je ne peux me développer que dans l’unité intérieure. L’âme est appelée, par sa nature même d’unification de ma personne, à vivre et à se développer dans l’unité, et donc dans cette union avec sa nature profonde qui est d’être à l’image de Dieu.

Le Fils, effigie du Dieu invisible

L’homme se construit dans l’unité qui est, pour lui, la conformation à l’image de Dieu que lui donne son existence. Lorsque je deviens ce que je suis, je suis en unité avec moi-même, avec mon être profond d’homme créé, de fils. Cette conformation à l’image de Dieu passe par la conformation au Christ, unique médiateur, unique évangile comme dit Paul aux Galates ! Le Christ qui est l’Image du Dieu invisible, l’effigie de sa substance, dit l’Epître aux Hébreux, est véritablement mon modèle parce qu’Il est l’image parfaite de Dieu, engendré non pas créé, mais image parfaite de Dieu qui m’est donnée justement pour faire mon unité intérieure, pour me conformer à cette image de Dieu déposée en moi par ma création. Conformation à Dieu, configuration au Christ, cela veut donc dire Vie dans l’Esprit de Jésus puisque tous ceux qu’anime l’Esprit sont fils de Dieu dit Paul.

« Puisque l’Esprit est votre vie, laissez vous guider par l’Esprit »

Il faut donc que toute ma vie soit dans l’Esprit du Christ. C’est cela la vie spirituelle : c’est une vie spiritualisée, pneumatisée. C’est mon travail vu dans l’Esprit Saint, c’est mon amour vu dans l’Esprit, ce sont mes rapports sociaux vus dans l’Esprit, c’est ma santé, etc … Tout ce qui fait ma vie quotidienne doit être vu et posé, vécu, reçu à la lumière de l’Esprit, et même, plus précisément, dans la mouvance de l’Esprit qui est le moteur, l’Energie -comme tout amour est énergie- pour me faire accomplir ma vie dans la configuration maximale à l’image du Fils et donc à l’image du Père.

« Spiritum vivificantem »

Face à cela, qu’est-ce que le péché ? Ce n’est pas une règle non suivie, ce n’est pas un commandement non appliqué. Le péché est le blocage d’une part de mes facultés à la motion de leur moteur spirituel qui est l’Esprit Saint donné par le baptême et par les sacrements pour justement spiritualiser ma vie.

Lorsque je sors de la messe, je suis configuré au Christ donc rempli de Sa charité. Aussi à chaque instant, je vais devoir comprendre, agir, parler ou me taire, donner ou recueillir… Je vais me situer devant cette exigence de cohérence : faire ce que j’ai à faire avec la motion de l’Esprit de Dieu que j’ai reçu dans ma communion, avec la vitalité du Pneuma : « Spiritum vivificantem » dit-on dans le Credo. Je suis appelé à agir avec cette vitalité caritative qui m’a configuré au Christ. Mais peut-être vais-je bloquer Sa sainte influence sur une part de moi-même, de mon intelligence, de mon cœur, de ma vie ? C’est cela le péché. C’est fermer la porte dans une part de ma personne à l’action vivificatrice, purificatrice, illuminatrice, caritative de l’Esprit Saint. Quand j’espère ce blocage ou quand je le laisse se produire, je ne développe plus en moi l’image de Dieu.

Dieu est toujours saisi de pitié devant notre misère…

Mais le Christ est là pour nous enseigner quelque chose de merveilleux. Il est saisi de pitié. Il n’est pas admiratif comme avec le centurion plein de foi. Dans cet épisode de la veuve, Il est saisi de pitié. Il me voit à la fois veuve et fils mort, à la fois ayant des parcelles de sainteté que j’ai reçues et cultivées, que j’ai fait croître. Et Il me voit avec mes instincts, mes passions, mes blocages, mes fermetures à l’action de Son Esprit pour une part de ma vie. Oui, Il est saisi de pitié devant ma désunion, devant ma croix, devant ma douleur même si je ne la ressens pas comme Lui, Lui la ressentant mieux que moi, comme une mère souffre plus du mal de son petit que ne le fait l’enfant lui-même.

Il est dans mon cœur et Il vient me toucher. Il vient toucher le fils mort, Il vient toucher cette part de moi-même qui s’est fermée à la motion de la grâce, c’est-à-dire à l’Esprit, et Il me ressuscite. Il ressuscite mon intelligence, mon corps, mon cœur. Il se met devant la porte de l’intelligence, devant la porte du cœur, devant la porte du corps pour dire : « Je suis à la porte de l’âme et je frappe… » Je suis de nouveau là, avec Ma vitalité caritative pour pénétrer en toi dans cette faculté, dans cette qualité, dans cette part de ta vie afin qu’elle soit configurée à Ma qualité, à Mon intelligence, à Mon cœur, à Mon corps, à Ma lumière, à Ma chasteté et à Mon obéissance, à Ma pauvreté, à Ma douceur, à Mon humilité, à Ma bienveillance et enfin à Ma miséricorde.

Etre présent à Dieu c’est laisser Dieu être présent à moi par Son Fils

Pour nous, il suffit d’être là. Nous n’avons même pas besoin de demander. Le fils est là, il est porté, mort, accompagné par sa mère, et il est passivement touché ! La mère laisse toucher son fils mort. C’est le sacrement de réconciliation. La réconciliation, c’est lorsque nous venons avec nos valeurs de sainteté, même toutes petites, avec ce qu’il y a de bon en nous, nos regrets, – ne serait-ce que cela ! même par crainte de l’enfer -, même un soupçon de regret, lorsque nous venons au confessionnal pour que par l’absolution du ministre de Dieu, le Christ touche la part de nous-même qui est infestée par le péché, cette part de nous-même qui s’est bloquée et a refusé l’Esprit. Voilà ce qu’est la Confession. C’est magnifique !

« Venez et buvez, même sans argent… »

Nous voyons qu’à l’indigence extrême de cette veuve décrite au début de ce propos correspond la Tendresse extrême de Dieu. Dieu ne nous demande rien. Dieu ne nous demande pas de mérites. Dieu ne nous demande pas d’argent comme le précise Isaïe : « Venez et buvez, même sans argent. »

Dieu ne nous demande pas d’être saint pour venir à Lui. Il nous demande seulement qu’avec ce qui nous reste, le peu qui nous reste de lumière, d’intelligence, de vertu, nous apportions devant Ses mains ce qui a été refus, ce qui a été salissure, ce qui a été blocage, ce qui a été déformation de Son image. Alors, Il nous touche par l’absolution et Il nous ressuscite ! Il nous accueille chez Lui, comme le Bon Larron !…

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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