Qu’on le dise avec le langage de la philosophie ou les paroles d’une chanson, notre monde semble produire des générations désenchantées, qui ne rêvent plus ni à un monde plus beau, ni à un avenir meilleur ! Les vents du présent semblent contraires et les eaux du lendemain bien troubles. Comment la lumière de Noël pourrait-elle bien illuminer notre monde et lui redonner une forme d’enchantement ?
Un monde désenchanté ?
Lorsqu’il écrit le Désenchantement du monde, en 1985, Marcel Gauchet n’innovait pas tout à fait. L’expression avait été forgée, dès le début du XXe siècle par l’un des pères de la sociologie, Max Weber. Ce qu’il entendait par là peut nous intéresser très directement pour répondre à notre question. Un monde désenchanté, selon lui, est marqué par le recul des croyances superstitieuses et, pour une part, religieuses, mais aussi par le progrès d’une rationalisation par la science et la technique. Selon lui, le judaïsme et le christianisme ont eux-mêmes enclenché ce processus – qu’il ne juge pas négativement – en rejetant toutes les formes de magie plus ou moins explicitement contenues dans les religions païennes. En effet, notre foi chrétienne, héritière de la révélation adressée à Abraham, à Moïse et aux prophètes, nous enseigne la transcendance de Dieu. Là où les païens, avides de magique et de merveilleux, divinisent la nature et l’ensemble des créatures, l’Écriture Sainte nous apprend à reconnaître, dans les choses créées, les traces d’un Créateur, qui est fondamentalement le Tout-autre. Mais, ce désenchantement contemporain semble aller plus loin, en nous privant de deux cadeaux inestimables : la reconnaissance du sacré et la grâce de l’émerveillement. À force de débusquer partout ce qui lui semble irrationnel, notre monde semble avoir perdu le sens de ce qui est beau, car voulu et aimé par Dieu. Dès lors, l’intelligence, cantonnée dans une froide rationalité, ne nous laisse que peu de champ pour nous émerveiller devant ce qui vrai, bon et beau, bref, devant la création, tout simplement !
« La source de l’émerveillement retrouvé n’est pas à chercher ailleurs qu’auprès de l’Enfant-Dieu, puisqu’Il est la Lumière qui brille dans les ténèbres. »
Alors, faut-il vraiment réenchanter ce monde désabusé et persuadé d’être meilleur car délivré de toute illusion, et comment y parvenir ? Les recettes sont multiples et elles occupent les rayons et les présentoirs de nos librairies : par la science, par l’art, par l’éthique, par les spiritualismes les plus ambigus, voire par l’astrologie la plus douteuse, nombreuses sont les recettes pratiques pour réenchanter, en quelques conseils fortement teintés d’individualisme et de développement personnel. La nature a horreur du vide… Mais, transportons-nous en esprit, l’espace d’un instant, à Bethléem, pour voir la merveille, source de tout émerveillement : « La lumière brille dans les ténèbres. » (Jn 1, 5)
La lumière de Noël, vraie source d’émerveillement
Voici le Dieu créateur de tout l’univers, si différent de nous, sous les traits d’un nouveau-né tout fragile, qui cherche à nous amadouer par son sourire et sa paix ! Le Dieu des philosophes et des savants est inséparablement Celui qui parle et entre en conversation avec Abraham, Isaac et Jacob, avec Moïse et les prophètes. Le Dieu tout-puissant, Maître des temps et de l’histoire, s’est fait petit enfant, pour nous sauver. La source de l’émerveillement retrouvé n’est pas à chercher ailleurs qu’auprès de l’Enfant-Dieu, puisqu’Il est la Lumière qui brille dans les ténèbres. L’ange Gabriel avait déjà été la source de la joie pour Marie, l’élue du Très-Haut, partie en hâte pour partager son action de grâces avec Élisabeth, bousculée, au-dedans d’elle, par les tressaillements jubilatoires du petit Jean-Baptiste, lui-même saisi par la présence du Fils de Dieu, qui s’est fait son cousin. Plus puissante que la tristesse, l’exultation est contagieuse. Désormais, ce sont des cohortes angéliques qui s’approchent des bergers pour les convier à la fête discrète et humble. Au plus lointain, les étoiles elles-mêmes se mettent au service de l’expansion de cette joie surnaturelle, en indiquant aux mages le chemin vers la merveille véritable. Cette joie de la Nativité du Christ rejoint tous les cœurs, parce qu’elle n’est pas construite par des artifices humains, mais parce qu’elle est divine : la lumière d’en-haut brille dans les ténèbres qui habitent le cœur de chaque homme et de chaque société.
Comme les bergers lassés par le labeur et la fatigue, comme les mages dont les recherchent trop humaines n’apaisent pas le désir de vérité, nos cœurs attendent d’être transformés par la vraie joie. En se faisant petit enfant, pour ne pas nous effrayer, notre Créateur est venu nous la donner. À nous, désormais, de L’accueillir et de redécouvrir, grâce à Lui, cette capacité d’émerveillement, pour devenir, comme Lui, la lumière du monde.
