Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.

Lectio divina pour le dimanche de Pâques

LE FILS, PAR SES PLAIES, MONTRE L’AMOUR DU PERE POUR L’HOMME !

Jean résume son évangile par cet ultime verset : « Afin que par votre foi vous ayez la vie. » Ce n’est pas une suggestion, ce n’est pas un commandement, c’est l’orientation de notre vocation profonde qui vient d’être renouvelée, rajeunie il y a une semaine à peine dans notre fête pascale, fête si importante, si lourde de richesses et d’enseignements, qu’il nous a fallu toute une semaine, le sept de la perfection et les sept jours de la Création, pour vivre cet Haec Dies, « ce jour que fit le Seigneur », chantant notre joie quotidiennement avec les mêmes textes, comme pour ruminer cet événement aussi extraordinaire aujourd’hui qu’il y a 2000 ans.

Vivre le mystère du Christ en préparant le mystère de l’Église !

Notre vie liturgique se poursuit dans la même direction vers un aboutissement, vers la complétude du mystère de Jésus qui sera le mystère de l’Eglise. Il s’accomplira au bout de sept fois sept jours – la perfection des perfections – jusqu’à la Pentecôte qui célèbrera la naissance publique, officielle, charismatique de l’Eglise. C’est le mystère de Jésus diffusé et communiqué, continué jusqu’à la fin des temps, jusqu’à la Jérusalem Céleste !

Temps donc extrêmement important, temps fondamental puisqu’il nous fait passer du mystère du Christ au mystère de l’Eglise, du mystère de notre être baptismal au mystère de notre agir missionnaire. Je propose trois réflexions pour orienter, déjà !, ce temps.

Abba !

La première s’enracine dans la Collecte où nous demandons de comprendre toujours mieux : « quel Baptême nous a purifiés, quel Esprit nous a fait renaître, par quel sang nous avons été rachetés. »

L’Esprit dont on parle, déjà !, aujourd’hui dans l’Evangile, en prévision de cette Pentecôte, l’Esprit c’est bien entendu l’Esprit de Jésus, Celui-là qu’Il a exprimé, qu’Il a insufflé dans la création de la nouvelle Eve, l’Eglise, en remettant l’esprit sur la Croix.

C’est cet Esprit dans lequel Il fut consacré, cet Esprit qui Le reliait d’Amour avec Son Père, cet Esprit qui Lui a permis cette nouveauté extraordinaire de dire personnellement, seul, non pas en tant que peuple mais en tant que personne : Abba !

Les Juifs déjà appelaient Dieu : Père, mais au nom de l’ecclesia, c’est à dire de la communauté juive, du peuple. Dieu était leur Père comme Dieu était leur rocher. Tandis que sur les lèvres de Jésus, il y a une relation interpersonnelle de « moi » à « toi », de Lui à Son Père : Abba ! Papa !

Voilà ce qu’est l’Esprit, cet Esprit que Jésus nous donne ! C’est dans cet Esprit que nous sommes re-nés, cette renaissance de l’eau et de l’Esprit, c’est à dire la renaissance baptismale, dont Jésus parle à Nicodème. Si donc nous sommes, nous chrétiens, re-nés de cet Esprit, nous pouvons dire aussi comme nous le suggère Paul : Abba ! « Vous n’êtes plus des esclaves mais vous êtes des fils, vous avez reçu l’Esprit qui vous permet de dire, de vous écrier : Abba Père. »

« Voici mon sang versé pour vous… »

Non seulement nous en avons le droit, mais nous le devons puisque le Seigneur Lui-même nous le commande : « Lorsque vous priez, priez ainsi : Père que ton nom soit sanctifié… » Et nous le devons prononcer non seulement de la bouche mais aussi du cœur ! C’est toute notre vie qui doit s’inscrire dans cette orientation de filiation que Jésus est venu nous révéler. D’ailleurs c’était déjà l’orientation fondamentale que nous avions reçue au début de ce spatium pænitentiæ qu’est le Carême.

Nous devons, dans notre vie de baptisés, dans notre vie du Christ en nous, nous devons être conformes à Sa vie de Fils qui a dit : Abba, Pater. Nous devons avoir une vie de filiation. Si nous avons reçu le même Esprit, c’est pour avoir la même vie exprimée par ce sang qui nous a rachetés : « Voici mon sang versé pour vous, pour la multitude… » Ce sang nous a été donné pour que nous Le buvions sacramentellement afin qu’Il devienne la sève de notre vie, le sang filial !

Voilà ce à quoi nous sommes appelés par cette renaissance à l’Esprit. Donc cette Collecte est dite dans ce dimanche d’Octave de Pâques pour nous faire comprendre que nous devons être dans une joie effective et non pas seulement affective. Le renouvellement de notre promesse baptismale lors de la Vigile est pour entraîner en nous des nouvelles exigences concrètes pour une vie de filiation dans l’Esprit. Nous devons vivre comme le Christ puisque nous sommes re-nés de Son Esprit, rendus conformes dans notre Baptême renouvelé à Pâques.

Le sacrement signifie l’intervention salvatrice de Dieu incarné

Deuxième point. Vous avez vu que dans le livre des Actes des Apôtres, les apôtres font des signes. En faisant ces miracles, ils continuent tout naturellement par une grâce particulière ces gestes sauveurs qu’a fait Jésus durant Sa vie : la guérison des paralysés, des sourds, des muets, des aveugles… Tous ces gestes sauveurs, Jésus les a faits pour signifier, pour imager les guérisons intérieures, la guérison spirituelle de l’âme par rapport au mal qui s’appelle le péché.

Et si le miracle signifie l’intervention divine, (dans l’Ancien Testament il y en avait déjà), seul le sacrement signifie l’intervention de Dieu incarné.

Qu’est-ce que le sacrement ? C’est un signe lui aussi, comme les miracles, efficace, institué proprement par Jésus-Christ pour continuer cette guérison intérieure, cette guérison de l’âme atteinte par le mal que l’on appelle le péché et dont les signes, les gestes sauveurs n’étaient que des images, des propositions, des signes…

Les miracles existent dans l’Ancien Testament, mais seuls les sacrements sont les signes de la Nouvelle Alliance, de la guérison, par Dieu incarné, de l’intérieur de l’homme atteint par le mal que l’on appelle le péché.

Et seule l’économie du sacrement, à commencer par le Baptême jusqu’à l’onction des malades, seule l’économie du sacrement est la preuve que le Christ, c’est à dire Dieu Sauveur, est vivant c’est à dire sauvant par Son Eglise comme le dit l’Apocalypse.

Alors ne ramenons pas notre foi à un amour prodigieux du merveilleux : le véritable prodige et la véritable merveille de Dieu, c’est ce qui s’opère par le sacrement, notre réconciliation pascale, notre Eucharistie dominicale, votre sacrement de mariage, le sacrement qui nous permet de continuer la mission du Christ – Prêtre, le viatique qui permet de donner la force à celui qui fait son dernier voyage.

Dieu, en Jésus, se soumet à nos exigences

Troisièmement. Par ce dimanche d’Octave pascale se terminent les apparitions de Jésus à Ses apôtres, et curieusement, c’est l’apparition à Thomas que l’Eglise a choisie. Parce que cela se passa huit jours après, certainement, mais pour d’autres motifs aussi.

Pourquoi l’Eglise propose-t-elle à notre réflexion aujourd’hui cette apparition et cette réaction un peu négative de Thomas l’apôtre ? Thomas est un homme très proche de nous et c’est pour cela que l’Eglise l’a choisi aujourd’hui dans sa filiale défaite devant Jésus. Thomas est un pessimiste. C’est un réaliste. Mais c’est aussi un homme d’un grand courage : c’est lui, rappelons-nous, qui voulait monter avec Jésus à Jérusalem pour mourir avec Lui, au moment de la mort de Lazare.

Cet homme d’un grand courage est un existentialiste. Un existentialiste désemparé, pour ne pas dire désespéré. Thomas est l’homme révolté de Camus. Un homme qui voit très loin c’est à dire très profondément, dans sa nature. Et Thomas est désemparé parce qu’il voulait justement monter avec Jésus pour L’accompagner à Sa mort et qu’il n’a pas pu le faire ! Comme les autres il s’est débandé, il est parti, il L’a laissé, il a fui… Et Thomas se retrouve face à cette lâcheté, à cette lâcheté existentielle : c’est la nausée, c’est presque le dégoût de soi.

Cette réflexion intérieure, ce regard d’incarnation sur lui-même, extrêmement profond, ce n’est pas la mystique de saint Jean. Il est désemparé, il est désarçonné, il est révolté par cette lâcheté, il sent la nécessité de la foi, lorsque les apôtres lui parlent de l’apparition de Jésus, mais il n’ose pas croire. Il se refuse à tomber dans ce qu’il pense être un piège contre sa propre lâcheté… C’est trop facile la foi quand on a laissé tomber Jésus ! Cela va contre son regard existentiel. Ce n’est pas viril, c’est factice. La foi est une facilité pour Thomas.

Et pourtant il en sent la nécessité. Il représente notre société actuelle qui rejette ou pense rejeter Dieu et qui, pourtant, sent au plus profond d’elle-même, cette nécessité de croire, ce désir de se donner. Mais il y a cette retenue humaine, cette fierté de ne pas accéder au bonheur par un acte de facilité, un acte de confiance dans quelque chose qui ne touche pas l’histoire, dans quelque chose au-dessus de nous, d’impalpable.

Cette rencontre de Jésus avec Thomas est merveilleuse ! Thomas va très loin contre Jésus, il est dur dans ce qu’il dit aux apôtres : « Tant que je n’aurai pas mis mes doigts dans la marque des clous, ma main dans son côté… » Il est dur parce qu’il souffre : « Il faut que je touche, que je mette mes mains dans ses stigmates, dans son côté. » Mais c’est une dureté qui n’est pas la dureté de l’agnostique, ce n’est pas la dureté du méprisant, de l’ironique ; c’est la dureté de celui qui souffre parce qu’il se rend compte qu’il a retenu sa foi, il se rend compte qu’il n’a pas voulu faire ce pas.

Et Dieu, à cause de cette fierté, à cause de cette lâcheté, à cause de cette retenue d’homme, Dieu va se soumettre en Jésus à ses exigences. C’est à lui que Jésus va obéir, non pas à Pierre, non pas à Jean, non pas à tous ceux qui ont cru je dirais plus spontanément, plus instinctivement, c’est à lui :  « Mets ton doigt dans mes plaies, mets ta main dans mon côté… »

Dieu ne veut pas s’imposer ni par la puissance, ni par le pouvoir. Il ne veut susciter de notre part ni la peur ni l’intérêt. Il ne veut se faire reconnaître que par l’Amour : c’est pour cela qu’Il montre Ses plaies. C’est pour cela qu’Il va donner l’Esprit d’Amour. C’est pour cela qu’Il enverra Ses apôtres en mission dans une continuité parfaite entre le Père, le Fils et ces hommes.

Se rendre compte, avec Thomas, que l’on n’a pas osé croire à l’Amour

Donc Jésus va montrer à Thomas les marques de l’Amour avec lequel Il l’a aimé. Et Thomas va venir toucher ces marques comme la pécheresse a pu caresser les pieds de Celui qui lui a beaucoup pardonné et qui a entraîné beaucoup d’amour de sa part. Thomas va toucher ces plaies d’Amour, ces marques, ces stigmates de l’Amour de Jésus. Il va les toucher, mais plus pour se prouver quelque chose. Car il sait en voyant le Christ apparaître, il se rend compte de son manque de confiance, de son manque d’esprit d’enfance… Il se rend compte qu’il n’a pas osé croire, qu’il n’a pas voulu se donner à la magnificence de Dieu, comme Pierre, plus simplement, l’a fait en pleurant sur sa trahison ! Thomas, de suite se rend compte de tout cela et, pour s’humilier et pour demander pardon devant les autres, devant son Seigneur et son Dieu, devant les dix autres desquels il s’était excommunié, devant ce Jésus qui vient chercher pour la première fois dans l’Eglise la brebis perdue après Sa Résurrection, il fait les quelques pas qui le séparent du Maître et, en rougissant de sa propre misère, il va mettre les mains dans les plaies et dans le côté de Jésus…

Toucher l’Amour infini dont Dieu m’a aimé…

   Et de cette faute dont Dieu seul bien sûr connaît le poids, de cette attitude brutale de Thomas envers le Seigneur, va surgir le sommet le plus élevé, le premier des sommets les plus élevés de la foi de l’Eglise : « Mon Seigneur et mon Dieu. » C’est la première fois qu’un apôtre appelle Jésus du nom de Dieu !

Comme quoi il ne faut jamais désespérer de notre vie : nous pouvons nous aussi faire comme Thomas ! Nous pouvons nous aussi repartir d’un creux de vague, d’une misère, d’un tunnel, de ténèbres, d’un doute, d’une incohérence de vie, d’un désespoir existentiel profond terrible et apparemment sans fin, sans espoir, sans issue, pour tout d’un coup donner la foi, exclamer notre foi, si ce n’est publiquement comme Thomas du moins dans notre cœur !

Mais Jésus nous met en garde : « Bienheureux ceux qui croiront sans avoir vu. » ! Parce que le passage qu’a vécu Thomas, lorsqu’il s’est approché du Seigneur en reconnaissant que Jésus l’aimait, est une vraie purification : c’est la Pâque de Thomas. C’est une véritable mort, un véritable dépouillement intérieur et c’est parce qu’il a accepté ce dépouillement comme Pierre a accepté ses larmes (alors que Judas n’a pas accepté cet espoir), que Thomas s’élève sur les sommets de la foi. Voilà le troisième point que l’on peut méditer pour notre temps pascal.

Réfléchissons sur les exigences de notre vie chrétienne y compris les exigences dans notre vie concrète. Réfléchissons aussi sur notre foi dans le sacrement qui est le prodige des prodiges, la merveille des merveilles de Dieu. Et réfléchissons enfin sur la possibilité que Jésus nous donne à tout instant de venir toucher l’Amour par lequel Il nous a aimés pour dire avec Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »

Mgr Jean-Marie Le Gall 

Aumônier catholique Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart

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