Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« POUR MOI VIVRE C’EST LE CHRIST ! »

Lectio divina pour la Sollenité de la Toussaint
Ap.7, 2-14 1Jn.3, 1-3 Mt.5, 1-12

Avec la Toussaint, l’Eglise célèbre, comme nous le prions dans la Collecte, la sainteté de tous les élus de Dieu.

Le saint est celui qui vit, qui bouge, qui demeure dans la Maison divine…

Nous avons souvent l’idée d’une sainteté un peu statique. Il n’y a pas que les non-croyants ou les athées qui lapident les chrétiens : il y a aussi l’Église, nous-mêmes lorsque nous ‘lapidons’ les saints c’est-à-dire lorsque nous les ramenons à des statues de pierre bien figées.

Regardons dans nos églises les saints qui sont présentés à notre exemple. Provoquent-ils notre réflexion sur une vie ou sont-ils seulement l’objet sans âme et poussiéreux de notre dévotion ? Combien sont-ils ceux qui déposent un cierge à sainte Thérèse, à sainte Rita ou à saint Antoine et qui n’ont jamais eu la curiosité de lire une vie de ce saint ? Pour être avec eux en communion, communion de pensée mais surtout communion de foi…

Et pourtant si nous prenons les textes du Nouveau Testament, nombreuses sont les appellations de la sainteté qui sont tout à l’opposé de cette ‘vue statuaire’. Saint Paul parle des saints qui sont les vivants pour Dieu ; il parle de ceux qui sont citoyens du Royaume de Dieu ; il précise en disant que le saint est celui qui appartient à la maison de Dieu, qui est « domestici Dei » (au sens où les Romains parlaient de la gens, de la famille et de tous ceux qui tournaient autour de l’intérêt familial autour du pater. Saint Paul, toujours, précise en écrivant que ces saints qui appartiennent à la maison de Dieu sont les héritiers de Dieu, ils sont enfants adoptifs de Dieu.

Regardons comme ces définitions de la sainteté sont vivantes ! Elles sont prises de notre langage juridique, familial, politique, social, cordial : le saint est celui qui vit, qui bouge, qui demeure dans la Maison divine.

« Je désire d’un grand désir manger cette pâque avec vous. »

En face de ces descriptions que nous aurions intérêt à méditer aujourd’hui en prenant notre Nouveau Testament, quelle doit être notre attitude ?

C’est l’attitude du désir. Je suis sûr qu’elle est au fond de notre cœur à chacun d’entre nous, mais peut être trop enfouie, comme un désir trop lointain, inaccessible ou même oublié… Alors, face à la sainteté qui nous est présentée aujourd’hui dans toute la gloire des ors, de la lumière, de la fête, notre désir devrait grandir et attiser notre cœur, voire le brûler…

Comme le Cœur du Christ qui, quelques heures avant Sa mort dira à Ses disciples : « Je désire d’un grand désir manger cette pâque avec vous. » C’est le désir de la sainteté, de Sa sainteté humaine, de Sa sainteté voulue, recherchée délibérément, vécue jour après jour. Manger cette pâque, c’est-à-dire mourir à moi-même pour être totalement à mon Père !

« Renonçant à l’amour d’eux-mêmes jusqu’à en mourir… »

Désirer la sainteté, c’est se mettre dans les pas de Jésus vrai homme qui nous a précédés, marqué du sceau de la foi, au sens plénier puisque Jésus est l’Oint, le Consacré par l’Esprit.

Désirer la sainteté c’est marcher dans ces pas de Jésus et c’est marcher aussi donc dans les pas de ceux qui nous ont précédés en suivant le Maître.

Ceux-là ont « lavé leurs vêtements dans le sang de l’Agneau », ils ont accepté de mettre leur vie si proche de la Croix que le Cœur ouvert de Jésus a éclaboussé Son sang sur cette vie. Il a purifié cette vie par l’Eucharistie, par la Réconciliation, par le Sacrement des malades…

Tous ces saints sont ceux qui se sont mis tout près de la Croix du Christ pour, comme disait Péguy, se cacher derrière Lui et passer avec Lui dans le chemin vers le Père, profitant de cette avancée fulgurante du Christ ressuscité dans le sanctuaire céleste, « renonçant à l’amour d’eux-mêmes jusqu’à en mourir… » !

« Nul ne rentre dans le Royaume s’il ne renaît de l’Esprit. »

Le grand message de la Toussaint (avant celui des défunts que nous allons célébrer demain et qui lui est lié), c’est notre enfantement à Dieu !

Nous revenons au discours de Jésus à Nicodème. Je vous imagine un peu surpris : comment, nous qui sommes adultes, parents, voire grands parents…, pourrions-nous parler d’enfantement ?! Et je laisse Jésus répondre : Comment, tu es chrétien depuis des années et tu ne sais pas encore cette vérité que « Nul ne rentre dans le Royaume s’il ne renaît de l’Esprit » ?!

La fête de la Toussaint, c’est la fête de la renaissance spirituelle. Nous sommes tous des médiocres, nous sommes tous fatigués, nous sommes courbés par le poids des ans, de la lassitude, ou du moins de l’habitude mortifère… C’est pour cela qu’il y a la fête de la Toussaint : pour nous ressaisir, regonfler notre tonus, notre désir de l’enfantement spirituel !

« Nous sommes participants de la nature divine »

« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils » dit Jésus à Nicodème. Dieu est amoureux des hommes ! Oui, Dieu est amoureux des hommes pour avoir pu permettre un tel enfantement, pour avoir pu les appeler à un ce fabuleux destin de partager Sa vie, de partager Sa maison, de partager Sa nature qui est Amour ! « Nous sommes participants de la nature divine » écrivait Pierre. Réfléchissons à cela aujourd’hui dans la joie de nos fêtes familiales : Dieu est amoureux des hommes, Dieu est amoureux de moi ! C’est si beau !

C’est d’autant plus beau que cet enfantement est déjà en gestation, si je puis dire. Saint Jean nous le précise dans la deuxième lecture : « Nous sommes appelés à être enfants de Dieu et nous le sommes » !

« Si vous ne redevenez comme des enfants… »

Nous sommes déjà des enfants de Dieu, non pas parfaits certes. D’ailleurs, notre vie n’est autre que le temps que Dieu nous laisse avec miséricorde et patience pour nous permettre de grandir dans notre état d’enfant !

Oui, rester enfant tout en grandissant, c’est le mystère de la voie de l’enfance de la petite Thérèse. C’est surtout le mystère de l’Évangile : « Si vous ne redevenez comme des enfants… » Et encore : « Le Royaume de Dieu est comme cet enfant… »

Je suis appelé à être enfant en perfection et je suis déjà enfant, ce qui fait que la joie de la Toussaint dont nous parlons en cette solennité en regardant le futur, elle est déjà dans mon cœur !

« La création gémit dans les douleurs de l’enfantement… »

Nous devrions apprendre chaque soir, lorsque nous faisons notre examen de conscience, à voir non seulement nos fautes, nos maladresses, nos erreurs, nos péchés, mais à voir le bien que nous avons posé avec la grâce de Dieu dans la journée. Nous faisons du bien si nous ne faisons pas le Bien. Nous avons une partie de nous-mêmes qui est vertueuse. Nous avons une foi si nous n’avons pas la foi de Jésus ; nous avons une espérance, nous avons une charité, nous avons une bonne volonté… C’est déjà cet enfantement de Dieu, cette « création qui gémit sous l’influence de l’Esprit dans les douleurs de l’enfantement, de la rédemption » disait saint Paul.

Le salut ce n’est pas un coup de baguette magique de Merlin l’enchanteur qui va tout à coup nous transformer. Notre transformation elle est ‘trans’-, mais elle est justement ‘-formation’. Elle est donc quotidienne.

« Heureux… »

La joie qui est déjà dans nos cœurs, parce que nous sommes déjà enfant de Dieu, c’est la joie des Béatitudes que nous propose l’Évangile de la Liturgie : « Bienheureux, êtes-vous,… serez-vous… »

Nous aurons remarqué que ces béatitudes sont toutes au futur, sauf deux. La première qui décrit notre état d’enfant de Dieu : « Heureux les pauvres d’esprit car le Royaume de Dieu est à eux. » C’est une réalité présente : nous sommes baptisés, nous sommes donc, même en étant encore pécheurs, des enfants de Dieu !

Et puis, la dernière qui lui est automatiquement liée par cette logique de la Croix : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le Royaume de Dieu est à eux… »

Jésus le dit dans l’Évangile : « Ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront. » Il suffit que nous soyons baptisés pour être persécutés. Pas forcément par le voisin d’en face ! Nous sommes persécutés par ce qui n’est pas le bien : « Qui n’est pas pour moi est contre moi. » Nous commençons à être persécutés par notre propre moi intérieur qui est encore sous l’emprise de la loi charnelle. Ne voyons donc pas toujours les ennemis de l’autre côté ! Mon premier ennemi, c’est moi-même, c’est cette part de moi qui n’arrive pas encore à se laisser christianiser. « Heureux les pauvres d’esprit… », « Heureux les persécutés… », ces deux béatitudes sont au présent et décrivent mon état actuel, notre état actuel.

« Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu… »

Mais les autres béatitudes qui se situent entre ces deux-là sont au futur parce qu’elles indiquent la perfection, ce vers quoi nous devons tendre. « Heureux les doux, ils obtiendront la terre promise… », « Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu… » « Heureux les assoiffés de justice, ils seront rassasiés… » C’est notre horizon à nous tous, baptisés et enfants de Dieu !

Demain sera la fête des défunts. Voilà notre horizon d’homme biologique. Mais notre horizon d’homme spirituel ce sont ces béatitudes au futur vers lesquelles nous marchons.

Si elles sont au futur c’est parce qu’elles indiquent la perfection vers laquelle nous devons tendre.

Mais il y a aussi une deuxième raison. C’est parce qu’elles sont la conséquence des deux béatitudes qui sont au présent : les béatitudes de la perfection, au futur, ce vers quoi nous tendons, sont là parce que nous sommes d’abord enfant de Dieu, et donc nous tendons à redécouvrir et reformer en nous l’image du Fils de Dieu.

« Tout concourt au bien de ceux que Dieu aime »

Ces béatitudes de la perfection sont aussi la conséquence de la béatitude de la persécution. Cela peut nous expliquer pourquoi nous sommes persécutés, pourquoi nous souffrons, pourquoi il y a des antagonismes. Comment réagir lorsque nous sommes persécutés par le mal, par la médisance, par l’injustice, par tout ce qui, autour de nous, nous agrippe, nous fait mal, nous blesse ?

Oui, pourquoi ces souffrances, ces épreuves ? Pour la perfection ! « Tout concourt au bien de ceux que Dieu aime » dit l’Écriture. Et Pascal dit également dans ses Pensées que « tout concourt à notre sanctification. » C’est dire que cette béatitude, au présent, de la persécution, est le moteur, bien involontaire certes, de ces béatitudes au futur, que nous sommes appelés à acquérir.

Lorsque nous sommes troublés par un mal qui vous vient de quelqu’un, d’un évènement, d’une réalité quelconque, pensons-y… Et ne nous retournons pas contre la personne, contre cet évènement qui ne sont finalement que des instruments (eux aussi quelquefois involontaires) de cette Providence de Dieu, qui veut utiliser ce mal aléatoire pour nous purifier et nous faire atteindre cette perfection.

« Sans moi vous ne pouvez rien faire… »

Alors comment atteindre cette perfection ? Nous le savons : sans Lui nous ne pouvons rien faire. Donc si nous sommes appelés par Dieu le Père à devenir l’image de Son Fils, à devenir enfants de Dieu, c’est qu’Il nous donne ce Fils avec qui nous pouvons tout ! C’est donc que Jésus-Christ peut vivre en moi si je L’accueille en mon cœur. L’homme des béatitudes, le Pauvre, c’est Lui. Ce n’est pas saint François d’Assise qui n’en est qu’une pâle application, belle mais pâle ! Le Juste c’est Lui… Ce n’est pas nous avec nos petits désirs de justice sociale ! Le Doux c’est Lui, le Pur c’est Lui…

« Celui qui me mange vivra par moi. »

Cette Présence réelle, nous l’avons au fond de notre cœur depuis que, par le Baptême Dieu, le Père L’a mise en nous par l’Esprit-Saint afin que nous puissions effectivement atteindre cette perfection des Béatitudes.

Et, au risque de choquer, la Présence réelle du tabernacle, de l’Eucharistie que nous recevons en communiant, n’est faite que pour cette Présence réelle du Christ en moi. Je ne dois pas m’arrêter au tabernacle. Si Jésus m’a donné l’Eucharistie, le Pain de vie, c’est justement pour que je L’assimile et pour qu’assimilant ce Pain, je vive en m’assimilant à Lui. Une fois que j’ai adoré, que j’ai contemplé au tabernacle, une fois que j’ai communié à mon Eucharistie du dimanche, ensuite je suis mieux à même de contempler la présence réelle de Dieu en moi. « 

« Pour moi vivre c’est le Christ » dit saint Paul. C’est le collage de ma vie, de mon âme, de mon sang, de ma chair, de mon cœur, à Jésus qui est venu en moi par l’Eucharistie et que je découvre par la foi, que je désire par l’espérance et que j’aime par la charité ! C’est ce qu’ont fait les saints et c’est ce qui nous reste à faire…

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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