Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« SACHANT CELA, HEUREUX ETES-VOUS SI VOUS LE FAITES ! »

Lectio divina pour le Jeudi Saint
Ex.12, 1-14 1Co.l1, 23-26 Jn.13, 1-15

En méditant sur cette célébration, je réfléchissais sur l’exclamation de Pierre qui m’a interpellé : « Toi, Seigneur, me laver les pieds à moi, pécheur !? » Jésus lui répond : « Tu ne comprends pas maintenant, mais viendra un temps où tu comprendras. » Et je vous invite aujourd’hui à réfléchir sur ce geste de Dieu, sur ce qu’il exprime, pour que nous aussi, à la suite de Pierre, nous puissions ressortir de la célébration en ayant compris et que nous puissions ainsi accomplir Son désir : « … afin que vous aussi fassiez de même. »

« Je suis doux et humble de cœur… »

Pour peu que l’on regarde l’humilité de Dieu qui s’exprime de manière si évidente par ce geste réservé, dans le monde romain, au dernier des esclaves, on s’aperçoit de Son amplitude, de Sa largeur, de Sa profondeur, comme l’Amour que Paul décrivait aux Ephésiens…

L’humilité de Dieu semble coller à l’Etre divin, à ce qui nous en est révélé. L’humilité est indissociable de la nature divine et elle en a ainsi son infinité. De même que l’on dit : Dieu Tout-Puissant, de même on dit : Dieu humble.

Nous pouvons relever trois moments essentiels qui manifestent cette humilité et qui s’appellent, qui se suivent, qui se développent jusqu’à créer cette nuée curieuse, car à la fois révélatrice et protectrice de Dieu, comme la nuée du Thabor…

« Exinanivit semetipsum… »

Le premier moment d’humilité, c’est celui de l’abaissement de Noël : Dieu se fait chair, visible, temporel, passible, pour se dévoiler. « Qui me voit, voit le Père » ! Humilité du mystère de l’Incarnation.

Le deuxième moment d’humilité, c’est le mystère que ce jour nous fait contempler : Dieu se fait Pain : plus largement, Il se fait sacrement. Mais précisément le Jeudi Saint -et par l’Eucharistie tous les sacrements sont évoqués-, Dieu se fait pain, pour être assimilé : « Qui me mange vivra à jamais. »

Il y a un troisième moment d’humilité après ce mystère de l’Incarnation, et ce mystère de l’Eucharistie. Et ce troisième moment, c’est encore aujourd’hui que l’Église nous le dévoile.

Dieu se perd dans l’humanité pour la guider vers la Vie éternelle. C’est le mystère de l’Église, c’est le mystère du sacerdoce ministériel comme du sacerdoce baptismal : « Qui vous écoute, m’écoute. »

« Qui vous écoute, m’écoute » !

Trois moments essentiels qui nous dévoilent l’humilité de Dieu qui se fait chair, qui se fait pain, qui se perd dans l’humanité ! Nous remarquerons que ces trois moments se complètent se suivent, s’appellent, se développent jusqu’à faire une totalité, une plénitude d’effacement de soi, une plénitude de dépouillement…

Dieu se fait chair, Dieu consent par le mystère de l’Incarnation à se faire temporel et visible ; Dieu se fait homme, mais Il reste l’objet de mon regard de foi : « Qui me voit, voit le Père. »

Et puis, aujourd’hui, dans le mystère de l’Eucharistie, Il descend encore plus bas : d’homme Il passe à la matière, au pauvre pain : Dieu se fait pain, mais Il reste encore l’objet de ma faim, de mon désir spirituel, de mon développement intérieur : « Qui me mange, aura la vie. »

Et dans le mystère de l’Église, Il semblerait que Dieu ait choisi un écrin plus beau qui est celui de l’homme créé à l’image de Dieu : Dieu entre en Lui-même en entrant dans l’homme ! Il quitte le pain pour venir dans mon âme. Oui, c’est vrai. Mais remarquons comme Dieu disparaît, Dieu s’efface : « Qui vous écoute, m’écoute » !

Dieu n’est plus. C’est l’homme, c’est le baptisé, c’est le prêtre, c’est l’Église qui deviennent le foyer de la foi : « Qui vous écoute, m’écoute » !

Nous saisissons bien la différence ! L’ascension dans l’humilité, l’élévation dans l’abaissement… « Qui me voit… », « Qui me mange… » Et puis ce don suprême que l’on entendra demain avec le don de Sa Mère : « Mère, voici ton fils, fils, voici ta mère » ! Don suprême de la vie de Dieu qui s’efface et disparaît et se perd dans l’humanité. « Qui vous écoute, m’écoute » dit-Il aux disciples, dit-Il ainsi à ceux qui croiront en eux, c’est-à-dire à chacun de nous : « Qui vous écoute, m’écoute » !

« Pour faire de nous des fils… »

Là, nous avons l’épanouissement du mystère de l’Incarnation.

Si Dieu disparaît dans l’homme, si Dieu entre dans l’homme, c’est afin que l’homme soit sacrement de Dieu, que l’homme soit eucharistie de Dieu, que l’homme soit comme le pain que nous allons consacrer tout à l’heure, qu’il enferme et contienne Dieu ! Mieux : qu’il soit Dieu c’est-à-dire qu’il soit parfaitement à l’image de Dieu, qu’il soit parfaitement fils de Dieu.

Si Dieu disparaît dans l’humanité, si Dieu se perd en chacun de nous, c’est donc pour que l’homme soit l’incarnation de Dieu, c’est pour que l’homme soit le corps mystique de Dieu.

« Qui vous écoute, m’écoute » ! Jésus peut s’en aller, Il a fondé l’Église. Jésus peut s’en aller, Il a tout laissé.

C’est vrai que le mystère de l’Incarnation commence à Noël, lorsque Dieu prend chair. Mais c’est vrai aussi qu’il s’achève lorsque toute chair devient, à cause même de cette humilité divine, le Corps de Dieu !

Il y a quelque chose de plus beau que le mystère de l’Eucharistie, c’est le mystère de l’Église : toute chair, chacun et chacune d’entre nous, devient le Corps de Dieu, devient la forme visible, palpable de l’âme de Jésus, de l’Esprit de Jésus. « Vous êtes le temple de l’Esprit-Saint ! Ne savez-vous pas que l’Esprit est en vous, que vos corps sont le temple de l’Esprit ? »

« Il nous a marqué le chemin pour que nous allions sur ses traces »

Voilà l’achèvement du mystère de l’Incarnation : « Qui vous écoute, m’écoute ! »

Et si Jésus fait cela, c’est pour que nous aussi, nous fassions de même. Comme écrivait Pierre : « Il nous a marqué le chemin pour que nous allions sur ses traces. »

Parce que, pour que je sois le Corps de Jésus, pour que je sois ce par quoi Jésus se rend présent au monde, il faut que j’aie la même nature que le Trésor que je vais contenir. Pour être le corps de l’âme de Jésus, Lui qui est doux et humble de cœur, il faut que moi aussi je me dépouille dans l’humilité.

Et cela nous amène à la grande béatitude de l’Évangile qui résume les huit béatitudes du discours sur la montagne. Dans la phrase qui suit immédiatement ce passage de la Cène et que nous pouvons méditer, Jésus dit : « Sachant cela, heureux êtes-vous si vous le faites. »

« Sachant cela, heureux êtes-vous si vous le faites. »

Faire quoi ? Ce qu’Il a fait : prendre la dernière place, celle de ce dernier esclave de la maison destiné à laver les pieds. Prendre la dernière place… L’Évangile retentit de ces multiples fois où Jésus nous demande de prendre la dernière place, comme par exemple dans l’enseignement du repas où, invités, il nous faut nous installer en bout de table…

C’est pour nous faire entrer dans Son mystère d’humilité que Jésus propose à Son Père que nous soyons Son Corps. Ce n’est bien entendu pas pour nous enorgueillir ; c’est, au contraire, pour rentrer dans le mystère de l’humilité de Dieu, qui est le mystère du don de soi, qui est le mystère du don de la vie.

La Liturgie inclut ce geste très symbolique du Lavement des pieds. Nous devons prier pour que ce symbole soit efficace, significatif et porteur de grâces : pour que les prêtres, qui doivent être les exemples, et pour qu’ensuite, les fidèles laïcs du Christ, pour que nous tous enfin nous nous ajustions face à cette humilité de Dieu ; pour que nous sortions de l’église à la fin de la Liturgie en étant persuadés que la parole que nous allons prononcer, que le sourire que nous aurons, que l’attitude prise vis-à-vis de nos proches, des enfants, du conjoint, des amis, des confrères, ce sera la parole de Jésus, le geste de Jésus, le sourire de Jésus !

« … Afin que vous aussi fassiez de même. »

Voyez-vous, il n’est jamais trop tard pour reconnaître qu’effectivement dans notre vie, nous ne sommes pas toujours l’exemple du Christ ; nous n’avons pas suffisamment conscience que lorsque nous parlons, lorsque nous agissons, ceux qui nous entendent et ceux qui nous voient, pensent à cette phrase de Jésus : « Qui vous écoute, m’écoute… »

Prions pour que nous nous en rendions compte ! Pour que chacun à sa place, dans son devoir d’état, dans son milieu vivant, puisse prendre comme devise au soir de ce Jeudi Saint la devise du témoignage et donc la devise de l’humilité de Dieu : l’humilité la plus complète, celle qui donne le sens ultime au mystère de l’Incarnation, cette dernière humilité qui fait disparaître Dieu dans l’homme, afin que l’homme redevienne Dieu.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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