Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« Je le suis, MOI qui TE parle » !

Lectio divina pour le dimanche 19 mars 2017

Avec le 3ème dimanche de carême, une rupture s’opère dans notre liturgie préparatrice à Pâques. Avec les deux premiers dimanches, l’Eglise nous a brossé un tableau de l’esprit du carême (synthèse de notre vie chrétienne et synthèse de l’Histoire du Salut) en nous montrant le contraste et le combat entre l’ombre et la lumière. L’ombre du Mal dans son origine, avec la Chute, l’ombre du Mal dans sa toute-puissance avec la tentation par laquelle Satan éprouve Jésus dans le désert. De l’autre côté, la Lumière : la Lumière de Dieu dans son origine chez l’homme, avec la vocation d’Abraham et dans sa fin explosive avec le mystère de la Transfiguration du Christ, figure de notre propre transfiguration.

Par ces deux dimanches, nous ont été offertes toutes les données nécessaires pour prendre position. Pour Jésus ou contre Lui, pour le Mal ou contre le Mal, pour Dieu ou contre Dieu. Avec le 3ème dimanche, et sous-entendue une réponse positive de notre part, comme de la part des catéchumènes qui se préparent au baptême, commence la catéchèse baptismale pour ces catéchumènes, comme pour nous déjà baptisés, qui nous préparons au renouvellement de nos promesses du baptême lors de la Vigile pascale.

« La foi est ce qui donne accès au monde de la grâce. »

Les évangiles que l’Eglise nous propose pour les trois prochains dimanches -la samaritaine, l’aveugle-né et la résurrection de Lazare- sont donc centrés sur la porte qui doit faire entrer dans la Vie divine et qui s’appelle la vertu de foi.

Saint Paul nous le dit dans la lecture : « La foi est ce qui donne accès au monde de la grâce. » La foi c’est d’abord cette prédisposition de l’âme du catéchumène qui s’oriente vers Dieu, et qui lui permettra de recevoir ensuite dans le baptême la foi en plénitude, vertu théologale offerte gracieusement par Dieu, venant couronner cette aspiration de son esprit à la Vérité et à l’Amour.

La foi, c’est ensuite l’énergie divine qui permet notre adhésion de baptisé aux vérités révélées par le Christ. Nous avons la foi et pourtant nous aspirons à une foi plus complète. Une part importante de la problématique johannique tourne autour de cette évolution de la foi, chez les apôtres, chez les disciples, chez les foules qui suivent Jésus. La foi est à la fois très pure chez ces gens simples, mais vraiment incomplète. Jésus est là pour la porter à son perfectionnement.

« Pourquoi parles-tu avec cette femme ? »

Avec ce 3ème dimanche, nous est présenté un des plus beaux textes de l’évangile.

Une samaritaine… Une femme, d’abord, à une époque, dans le monde sémite, où la femme était absolument déconsidérée et sans aucun droit.

Une samaritaine, qui plus est… Les dix tribus du Nord après le règne de Salomon et pour des questions tout à fait terre-à-terre d’impôts, de centralisation, et d’administration, se séparent des deux tribus du Sud (le Royaume de Judas). Commence alors à se créer une nation à part, le Royaume d’Israël qui va faire son unité à l’aide d’un nouveau culte. Ce ne sera plus le culte de Yahvé dans le Temple de Jérusalem, mais un culte inventé de toutes pièces par Jéroboam et mélangé aux cultes étrangers avec Jézabel. Jusqu’au moment où, aux environs de l’an 700, les assyriens envahissent le pays, déportent les juifs, et installent à leur place des colons. Ces colons d’Assyrie, les juifs les appelleront plus tard les Samaritains. Ces gens n’ont donc rien à voir ni par la race, ni par la religion, ni par les races ethniques, avec le peuple élu.

Jésus choisit là véritablement, pour cette première révélation, ce qu’il y a de plus méprisable pour un juif, ce qu’il y a de plus opposé à la foi juive, à la vie religieuse du monde juif, du peuple élu, du peuple d’Israël. C’est à cette femme, qui plus est adultère et vivant avec son cinquième mari –« Tu as raison de dire que ce n’est pas ton mari »- donc une femme véritablement proscrite, une femme de rien et qui n’a rien pour plaire, c’est à cette femme que Jésus va révéler, pour la première fois de manière explicite sa messianité !

Pourquoi ? Pourquoi cacher sa messianité aux apôtres ou ne la dévoiler que peu à peu à travers un miracle comme celui de Cana ? « Ce fut le premier des signes de Jésus à Cana de Galilée, et ses disciples crurent en Lui… »

A noter d’ailleurs que l’on ne sait pas en quoi ils crurent : que Jésus était prophète ? Que Jésus était un homme de Dieu ? Tandis que là, à cette femme, la révélation est tout à fait précise et claire : « Je sais qu’Il doit venir le Messie et qu’Il nous fera connaître toutes choses Je le suis, moi, qui te parle ! »

« Je le Suis, moi qui te parle ! »

C’est à cause de la disposition de son cœur que le Christ se révèle à cette femme. A cause de cette ouverture du cœur qui la fait être en désir de Salut. Elle se sait dans l’ignorance, et elle aspire à savoir, à connaîtrePeut-être que, bien simplement au départ, comme Jean le précise, la femme est intéressée, mais ne le sommes-nous pas aussi ? : « Donne-moi vite de cette eau que je n’ai plus à venir puiser ! »

Mais chez nous aussi. Et il n’y a rien de honteux à reconnaître que notre aspiration vers Dieu est souvent provoquée par un fait de notre vie quotidienne, un détail ou une réalité plus importante comme la maladie, la mort, l’échec… C’est, par exemple parce que le monde change que nous nous demandons qui le fait devenir, et c’est parce que nous procréons que nous nous demandons s’il y a un maître de la vie, etc…

Dieu dans Sa bonté utilise tous ces canaux de notre questionnement pour venir jusqu’à nous, humblement… Ne soyons donc pas critiques vis-à-vis de cette pauvre femme qui semble s’intéresser à Dieu à partir de ce détail si terre-à-terre de la lassitude à venir puiser. Ce besoin matériel n’est qu’une étape dont Dieu se sert et l’ouverture du cœur reste totale chez cette femme : « Je sais qu’Il doit venir le Messie et qu’Il nous fera connaître toutes choses… »

« Et la mort est entrée dans le monde par la désobéissance d’un seul »

Et nous ?

Ce qui éloigne la Samaritaine de Jésus n’est pas tant son statut de non juive et d’hérétique, c’est son état de pécheresse. Et c’est en cela qu’elle nous représente. Car il y a un puits sans fond entre notre nature d’homme pécheur et l’Innocence de Dieu rendue présente et visible en Jésus.

Nous pouvons sourire de l’histoire de la Samaritaine, mais nous sommes nous aussi des adultères. Nous trompons notre nature profonde reçue de Dieu pour aller vers Lui. Nous la trompons quelquefois sans trop savoir comment, ni pourquoi. Nous sommes à la recherche de la vérité avec notre intelligence ; nous sommes à la recherche de l’amour parce que nous avons un cœur et que nous sommes faits pour aimer. Mais nous n’atteignons ni cette vérité ni cet amour, parce qu’il y a eu une chute originelle et ses conséquences fracturantes : « Et la mort est entrée dans le monde par la désobéissance d’un seul », nous a rappelé la Liturgie du premier dimanche de Carême.

Alors, nous sommes comme des aveugles qui marchent à tâtons, dans l’obscurité. Nous nous contentons de fausses vérités, d’amour trompeur et trompant. Nous sommes adultères, nous vivons dans des compromissions spirituelles, intellectuelles et cordiales. On le fait plus ou moins volontairement parce que justement cette vérité est difficile à saisir et que nous sommes fatigués de la rechercher, comme le montre de manière assez crue notre société actuelle en démission de tout ce qui est Vrai. Nous sommes fatigués de chercher un amour vrai, une amitié profonde qui construit… Nous sommes vraiment comme cette Samaritaine qui nous représente.

« Si scires donum Dei ! »

Mais sommes-nous, comme elle, ouverts à Dieu, en désir et recherche de Sa Lumière ?

Sommes-nous, comme elle, conscients que nos amours et nos recherches intellectuelles ne sont pas totalement satisfaisantes ? Que nos couples, nos familles, nos amitiés sociales ne sont pas vraiment toujours très habités par la Vérité de l’Amour, pour reprendre Paul ? Que notre soif du Vrai n’est pas vraiment toujours étanchée par la Celui qui est la Voie ?

Si nous sommes ouverts à cette recherche, à ce Vrai et à ce Bon, dont notre nature a besoin (puisque nous avons une intelligence et un cœur), si nous sommes ouverts comme la Samaritaine l’était, alors Dieu viendra à notre rencontre par Jésus, sur notre route, malgré les fondrières de nos péchés…

Jésus arrive là, au puits de Jacob, en cette Samarie complètement désolée, au paysage sec, dans l’horrible chaleur de midi. Il fait chaud, Jésus n’en peut plus. Il a déjà fait 40 ou 50 kilomètres en provenance de la Galilée… Mais cette route, et cette fatigue, c’est aussi la route et la fatigue de Son Incarnation, de Sa venue vers nous. C’est la fatigue du grand voyage de Dieu qui descend du Ciel et qui tombe dans notre monde fou, malheureux, étouffant, sans vie, sans espoir, et qui Le fatigue.

Parce qu’Il fait un avec nous, Il est aussi fatigué de notre fatigue, comme lorsque l’évangéliste nous Le décrit comme un pasteur attristé de voir son troupeau sans berger.

Voilà que le Christ vient à nous pour nous proposer quelque chose : « Si tu savais le don de Dieu… Si scires donum Dei.» Si nous savions le don de Dieu, si nous savions ce que nous pourrions recevoir, aujourd’hui même, dans notre messe dominicale de ce 3ème dimanche de Carême vécu pour la nième fois depuis notre baptême, si nous savions le don de Dieu et qui est Celui qui nous demande à boire… Oui, si j’avais su, c’est moi qui Lui aurait demandé de l’eau vive…

Adorer le Père en esprit et en vérité…

Le don de Dieu, c’est cette approche de Dieu qui vient jusqu’à moi en Jésus ! Dieu s’approche de moi et se manifeste. Il se fait visible par Son Fils. Il me révèle, par Son Fils, Sa Paternité amoureuse, la même qu’Il exerce envers ce Fils Bien-aimé en qui Il met tout Son amour, comme Il nous l’a redit dimanche dernier dans l’épisode de la Transfiguration : « Il viendra le temps des adorateurs en esprit et en vérité parce que le Père est Esprit. » Le grand mot est lâché devant la pauvre Samaritaine. Yahvé n’est plus seulement un Dieu, c’est un Dieu qui est Père ! Voilà le don de Dieu.

Le don de Dieu pour moi, après la Samaritaine, c’est déjà de savoir que je peux entendre cette phrase du Christ me révéler que Dieu est mon Père ! A travers l’évangile, à travers l’Eucharistie, à travers la Réconciliation, à travers ma prière, à travers ma méditation de la Parole de Dieu, Celui qui Est me révèle l’Amour que le Père me porte et qui est semblable à l’Amour que le Père porte au Fils : « Tu les as aimés, comme Tu m’as aimé… » dira Jésus, peu avant de mourir.

Jésus est donc venu, Il est là face à moi, pour me dire cet Amour paternel de Dieu et pour m’assurer qu’Il me donnera l’Amour nécessaire pour répondre à Cet Amour.

Et cet Amour qu’Il va m’offrir gracieusement, c’est l’Amour même de Dieu : « L’Amour de Dieu a été diffusé dans nos cœurs par l’Esprit qui nous a été donné… » dira Paul.

« Qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui a soif »

Tel est le sens de la promesse de l’eau vive, à laquelle la Tradition rattache l’Esprit, Porteur de vie à la fois UN et Multiforme.

« Celui qui boira de cette eau n’aura plus jamais soif… » : voilà l’Amour de Dieu qui descend sur nous !  « Et cette eau jaillira en source de vie éternelle… » : voilà notre amour qui remonte grâce à cet Amour vers Dieu.

C’est de l’Esprit qu’Il parlait, dira Jean au sujet de la révélation que fera Jésus du don de l’Esprit, cet Esprit qui est la vie même de Dieu, qui est l’Amour. « Dieu est Amour… » L’Esprit Saint signifié par l’eau vive, l’eau qui sortait du temple, ce sera l’Eau qui sortira du côté du Christ et que nous recevrons dans notre vie sacramentelle : « Qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui a soif ! »

Telle est la révélation faite à la Samaritaine. Révélation d’un double Amour : l’Amour de Dieu qui descend dans mon cœur et se manifeste par le don du Fils sur la Croix, pour me faire échapper à la mort et me renouveler dans la grande régénération cosmique du jour de Pâques. Amour ensuite qu’Il dépose en moi pour que je puisse répondre à Son Amour, L’aimer comme un fils veut aimer son Père.

« Aimer, être aimé, faire aimer l’Amour… »

A cette révélation la Samaritaine répondra positivement par la foi. Et le plus bel acte de foi qu’elle posera, sera de repartir dans son village et proclamer ce qu’elle a vu et ce qu’elle a entendu.

Etre aimée : la Samaritaine vient de découvrir dans la Révélation du Christ (parce que son cœur était ouvert, parce qu’elle avait soif de quelque chose, parce qu’elle était en attente d’une Vérité, d’un Amour), qu’elle était aimée de Dieu !

Découvrant qu’elle était aimée de Dieu, elle se précipite dans l’Amour et se dépêche de faire aimer cet Amour !

Son cœur et son intelligence sont dilatés aux véritables dimensions pour lesquels ils sont faits tous les deux, la dimension spirituelle et infinie, à l’image de Dieu : « En esprit et en vérité » !

Elle peut embrasser le Vrai en regardant le Christ. Elle peut embrasser le Bon en regardant le Christ. Et son espérance ne déçoit point. L’espérance, c’est l’amour du Bien, non encore saisi. La charité, c’est l’amour du Bien que j’ai atteint. Elle a capté le Christ, elle est dans la charité, et en même temps elle n’a pas tout capté de la Vie de Dieu. Elle est donc aussi dans cette espérance qui ne déçoit point car elle est fondée sur un amour reçu, expérimenté, vécu !

« Je le suis, MOI qui TE parle 

La foi de la Samaritaine n’est pas une réponse à un Credo dur et froid, abstrait et intellectuel. C’est une réponse à la révélation d’une relation interpersonnelle d’amour que Dieu propose entre Lui et chacun de nous. « Je le suis, Moi qui TE parle » à toi et qui t’aime, au nom de mon Père, avec l’Amour de mon Père, cet Amour aussi que Je te donne pour que tu puisses y répondre. L’espérance ne déçoit point quand elle est fondée sur cette charité que la Samaritaine expérimente dans sa pauvreté et dans sa misère.

Alors, demandons que, par cette Eucharistie dominicale, notre cœur s’ouvre pour pouvoir recevoir, dans la Vigile pascale, un peu plus de la révélation du mystère de l’Amour de Dieu et pouvoir L’accepter, y adhérer dans la foi, nous y conformer de plus en plus dans l’espérance d’en vivre toujours mieux  !

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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