Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

AIME MOI ! JE SUIS CES FOUS QUE TU NOMMAIS…

Lectio divina pour le dimanche 4 mars 2018

Avec ce 3ème dimanche de Carême commence la dernière étape de l’instruction théologique et liturgique ainsi que de l’insertion des catéchumènes dans l’Eglise universelle. Ils sont nombreux dans le monde, et plus particulièrement en France, ces nouveaux croyants qui désirent entrer en communion parfaite avec l’Eglise, communauté de saints (au sens où l’entend Paul) faite de personnes communiant aux réalités de sainteté, c’est-à-dire aux mystères de Dieu. Et nous nous en réjouissons…

Pour que nous puissions, chacun, entourer et aider efficacement ces catéchumènes de l’Eglise, nous nous devons de réfléchir sur les grâces et les exigences du baptême dont nous bénéficions déjà et préparer le renouvellement en vérité de nos promesses baptismales, qui se fera au cours de la Vigile pascale.

« Vous êtes le temple de Dieu et l’Esprit habite en vous… »

Qu’est-ce que le Baptême si ce n’est cet acte par lequel, au nom de Jésus, le ministre retire du profane pour consacrer à Dieu (c’est-à-dire pour « faire sacré », pour communier à la sacralité de Dieu, à Sa sainteté), une personne humaine qui devient ainsi fils ou fille de Dieu appartenant à la « domestici Dei… » dira Paul, c’est-à-dire à la maison de Dieu au sens romain du mot, à la maisonnée de Dieu, à la gens, à cet ensemble d’amis qui sont autour de Dieu, et partagent Sa vie.

Le baptême est une consécration. Consécration rejoint le mot de sacrifice qui veut dire « faire sacré ». Tout baptisé est devenu sacré. Pourquoi ? Car il est temple de l’Esprit écrit Paul. Par cet Esprit divin qui l’habite, il est donc devenu sacré dans son corps, il est devenu sacré dans son intelligence, il est devenu sacré dans son cœur, ces trois parties de sa personne qui le font alors appartenir à Celui-là seul qui est totalement sacré, Dieu.

Mais parce que nous sommes faibles, parce que notre nature est touchée par le péché, nous avons toujours tendance à désacraliser notre personne, à défaire ce que le baptême a constitué. Au lieu d’être consacrés à Dieu, d’être en union avec le Sacré divin, nous nous re-consacrons à nous-mêmes, nous sacralisons notre personne et faisons d’elle le centre de notre vie. Nous sommes seuls avec nous. C’est ce qu’on appelle l’égoïsme ; égoïsme du corps qui se manifeste dans la gloutonnerie, égoïsme du cœur qui s’exprime par la colère, égoïsme de l’intelligence dont l’orgueil est la traduction courante.

« Puisque l’Esprit est votre vie, laissez-vous guider par l’Esprit… »

Dans la Collecte, nous demandons à Dieu de nous aider à renouveler notre consécration baptismale par des moyens simples que l’Eglise met à notre portée.

Le jeûne permet de nous re-consacrer, revitaliser la consécration de notre corps par la diminution de notre égoïsme des passions, de notre confort, de notre bien-être.

L’Eglise nous propose d’accélérer le mouvement de notre prière pour déraciner l’égoïsme de l’esprit qui se manifeste par l’orgueil. En effet, par la prière nous nous élevons à Dieu, nous nous quittons nous-mêmes dans l’acte de l’intelligence pour descendre dans le cœur y contempler l’Autre : la présence divine déposée par le baptême.

Et l’Eglise nous propose par le partage, par l’aumône, (vocable si beau, même s’il est un peu vieilli), de déraciner en nous l’égoïsme du cœur qui se traduit par la colère vis-à-vis de tout ce qui ne nous rapporte rien en terme de sentiment, d’affection, de consolation… L’autre, et ses besoins propres, est là aussi le premier obstacle.

« Détruisez ce temple et je le relèverai… »

Nous sommes entrés depuis 15 jours dans ce processus de purification, nous y sommes entrés parce que nous croyons. Nous avons la foi.

Nous croyons Dieu d’abord. Dieu qui, nous l’avons prié dans la Collecte, nous promet de nous sauver, de nous relever, nous qui avouons nos fautes, qui avons conscience de cette désacralisation de notre personne et qui venons apporter aux pieds de Jésus ces erreurs, ces dérapages multiples.

La libération de l’homme est déjà figurée dans la première lecture avec la mémoire de la libération du peuple juif. C’est aussi le thème de l’évangile avec l’annonce de la reconstruction du Temple.

Le peuple juif fut libéré par le passage de Dieu, figure de la Pâque de Jésus, ce relèvement du Temple dont parle le Christ dans l’évangile. Mais ce relèvement n’est pas la seule résurrection de Son corps physique.

Jésus ne trompe pas les Juifs : Il parle du Temple en tant que lieu de la Présence divine, l’habitation de Dieu dans Sion, dans Jérusalem, la capitale du peuple élu. « Détruisez ce temple et je le relèverai- je le ressusciterai- en trois jours. » Ce n’est pas seulement la résurrection physique du corps du Christ, mais c’est le rétablissement annoncé par les prophètes de l’habitation en plénitude de Dieu : « Je viendrai en Sion, et je rétablirai ma demeure. »

Cette présence divine, cette habitation de Dieu dans l’humanité n’est pas circonscrite à Jésus. Elle est aussi dans le Christ total, c’est-à-dire, avec la Tête, dans le Corps mystique du Christ : l’Eglise. C’est d’ailleurs pour cela qu’Il est venu : « Pour que ton amour soit en eux et que moi aussi je sois en eux… »

Dans ce passage d’évangile Dieu nous promet donc que, si nous faisons cette démarche de conscientisation de nos fautes, nous serons relevés, nous participerons de Sa résurrection pour devenir à nouveau temple de l’Esprit, habitation de Dieu, c’est-à-dire demeure sacrée. Comme le sont les églises, mais au sens le plus fort, comme peuvent le devenir nos âmes : « Votre corps est le temple de l’Esprit Saint qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu… » insiste Paul.

« Et beaucoup crurent en Son Nom. »

Nous faisons cette démarche de purification parce que nous croyons en Dieu, ainsi que le précise l’évangéliste à la fin de notre texte : « Et beaucoup crurent en Son Nom. »

Croire en Dieu est infiniment plus beau que de croire Dieu, bien que croire Dieu soit nécessaire pour croire en Dieu.

Croire en Dieu est une adhésion beaucoup plus personnelle, non seulement à une vérité, à un dire, mais à une autre personne. Je ne crois pas seulement quelque chose que l’on me dit, mais je crois en quelqu’un, c’est-à-dire que j’adhère totalement, personnellement. C’est une communion de personne à personne, une adhésion qui est une confiance intime, une confiance qui me pousse à dire et à vivre, à réaliser que ma vie n’est plus ma vie, mais la vie d’un autre en moi, comme dira Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. »

Voilà ce qu’est la confiance, le « croire en Dieu » qui nous est donné par le baptême : sorte d’union réalisée par la foi, la foi opérant dans la charité dira encore Paul, c’est-à-dire une foi qui est véritablement adhésion et communion de vie, unité de vie. C’est d’ailleurs ce que les évangélistes notent à plusieurs reprises : « Il ne parlait pas comme les scribes, mais comme quelqu’un ayant autorité… » L’autorité est le propre d’une personne qui nous aide à grandir, à nous épanouir : auctoritas, celui qui fait croître…

« Aime moi ! Je suis ces fous que tu nommais…»

Quelle chose extraordinaire ! Mais comment l’homme peut-il avoir la prétention d’espérer cette communion, cette plénitude de la consécration ? Notre foi en cette communion, notre foi en Dieu est le fruit de la Révélation de Dieu. Nous ne nous serions pas permis, nous, pauvres humains, de penser un instant que nous pourrions envisager notre vie selon ce mode : que Dieu soit en moi et que je sois l’habitation de Dieu !

C’est Dieu qui nous invite. C’est bien là notre vocation car c’est Dieu qui parle d’abord, Dieu qui nous aime le premier, et nous propose ainsi une alliance ! « Aime moi ! Je suis ces fous que tu nommais… » comme l’écrivait magnifiquement Verlaine dans ses Sagesses… Dieu nous invite à l’Alliance comme celle que nous rappelle la première lecture : « Je suis ton Dieu, ton Dieu unique et ton Dieu jaloux, et tu seras mon peuple, si tu observes mes commandements. »

L’Alliance, c’est l’amour de Dieu proposé à la liberté de l’homme. L’Alliance, c’est la proposition des fiançailles que Dieu fait à chacun et chacune d’entre nous : « Je suis ton Dieu et tu seras mon peuple particulier », choisi, aimé, choyé, élu…

« Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l’accomplir… »

Mais surtout, notre foi en Dieu, notre adhésion à cette communion intime de Dieu se fonde sur une autre révélation qui suit la première et qui est tout aussi belle, c’est la révélation de la Loi.

Nous prenons toujours la loi au sens étriqué, la loi comme diminuant notre liberté. Mais la Loi n’est que l’explication détaillée de ce qu’implique l’Alliance : « Je suis ton Dieu est tu seras mon peuple si tu observes mes commandements. »

La Loi est véritablement le noyau de l’Ancien Testament que Jésus viendra prendre pour l’embellir encore plus dans la Loi nouvelle des Béatitudes. La Loi, c’est la Torah (à laquelle les Juifs d’ailleurs ramènent toute l’ancienne alliance). Pour eux la Bible, c’est la Torah. Et torah, ne veut pas dire exactement loi, au sens de la loi positive, humaine, qui définit, délimite, détermine. Comment pourrions-nous parler de détermination pour un acte d’amour, un acte d’alliance qui est toute liberté, tout désir ? Le mot torah exprime plus exactement l’orientation, le jalon lumineux que Dieu pose sur ma route pour me permettre de cheminer à Sa rencontre, c’est-à-dire de répondre à l’appel de Son Alliance.

Nous aurons remarqué que les Commandements ne sont pas donnés à l’impératif. Ce n’est pas : « Ne commets pas de meurtre », « Ne désire pas le bien d’autrui… » C’est l’imparfait hébreu qui exprime un manque, une imperfection, Dieu sait bien notre faiblesse. Il sait bien qu’il est ridicule de nous commander impérativement de ne pas commettre de meurtre ou de ne pas mentir. D’où le texte divin : « Tu ne commettras pas de meurtre… », « Tu ne désireras pas le bien d’autrui. » Dieu me donne un conseil pour cheminer avec Lui, vers Lui, sur la voie de la Vie.

La Torah, c’est Dieu qui descend à la rencontre de l’homme pour que l’homme puisse remonter à la rencontre de Dieu dans le vécu de l’Alliance. La Torah, c’est ce que Dieu donne à l’homme pour lui permettre de L’aimer, pour le guider dans son amour pour Lui. D’où l’on comprend que Jésus ait dit : « Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l’accomplir… » Et dans quelle perfection l’a-t-Il accomplie !

« Consacre-les dans la vérité, ta Parole est vérité… »

La Loi présuppose donc un rapport d’intériorité.

Il est faux d’opposer la loi de l’Ancien Testament et celle du Nouveau. Les Juifs de l’Ancien Testament ont bien saisi cette intériorité de la loi. Relisons l’Ecriture : « Ce n’est pas le sacrifice que je veux, mais un cœur contrit, un cœur brisé. » Tous les prophètes reviennent sur ce message essentiel. La meilleure preuve en est que la loi est transmise par Moïse, et que Moïse est en rapport d’intimité avec Dieu. Moïse est l’exemplarité de l’homme vivant la Loi, la recevant et la transmettant.

La Loi ne peut pas être comprise sans ce rapport d’intimité. Non seulement cela, mais la Loi est la meilleure preuve de l’amour que Dieu me porte. Ce n’est pas une limitation puisque justement Dieu m’a choisi comme Il a choisi Israël, comme Il choisit l’Eglise. Dieu m’a choisi et Il porte un amour particulier sur chacun d’entre nous comme Il a porté un amour particulier sur chaque Juif de l’Ancien Testament du plus humble au plus grand des patriarches, comme Il a porté un amour particulier sur ce peuple, et comme Il porte un amour tout particulier sur l’Ecclesia, l’Eglise, la communauté de sainteté.

C’est parce qu’Il m’aime qu’Il me donne ce commandement, cette Parole de Vie, ce conseil pour cheminer avec moi et pour m’aider à répondre librement à Son Alliance, à la proposition de Son Amour…

Dire que la Loi va contre l’Amour de Dieu, qu’avant il y avait la Loi et que maintenant il y a l’Amour, est un non-sens et une erreur totale. C’est pourquoi Jésus dira : « Malheur à celui qui changera un iota de la loi. »

« Tu es mon fils bien-aimé en qui j’ai mis tout mon amour. »

La Loi est la meilleure preuve de cette élection que Dieu fait en Israël et dans l’Eglise, et à travers l’Eglise dans cette parcelle complète de l’Eglise qu’est mon âme. Voilà sur quoi se fonde ma foi. Je crois en Dieu parce que Dieu m’a donné Sa Loi, la Nouvelle comme l’Ancienne, pour remonter vers Lui.

Je crois Dieu et je crois en Dieu, j’adhère à tout ce qu’Il est, j’adhère à cette Résurrection de Jésus préfigurée par le signe du Temple, j’adhère à ce relèvement de l’humanité, j’adhère à cette re-consécration, à ce re-nouveau de la sacralisation de mon corps, de mon intelligence, de mon cœur, encore un peu plus cette année, au matin de Pâques, pour mieux correspondre à ma vocation baptismale, à cet appel que Dieu m’a lancé depuis toute éternité : « Tu es mon fils bien-aimé en qui j’ai mis tout mon amour. »

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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