Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« S’IL ME MANQUE L’AMOUR, JE NE SUIS RIEN… »

Lectio divina pour le 4ème Dimanche Ordinaire
Jér. 1,4…19 1Cor. 12,31-13,13 Lc. 4,21-30

Nous allons poursuivre notre réflexion sur les trois prières que nous évoquions dans notre précédente Lectio et qui forment comme la colonne vertébrale de nos liturgies dominicales. Nous avions réfléchi sur la Collecte, la première prière qui donne le sens à la Liturgie de la Parole et donc aussi à notre Liturgie eucharistique. Nous avions analysé la Prière sur les Offrandes qui entame la liturgie proprement eucharistique. Et enfin nous avions terminé par la Post Communion qui clôture l’ensemble dans l’action de grâce et nous rappelle le fruit obtenu par notre Liturgie.

Adorer Dieu et aimer notre prochain…

Aujourd’hui nous avons une Collecte qui, quoique très brève, est essentielle pour nous mettre en face de notre vie spirituelle, de notre vie chrétienne, donc de notre vie à spiritualiser par le Christ. Nous avons demandé à Dieu de : « pouvoir l’adorer d’un cœur sans partage et de pouvoir aimer tout homme d’une vraie charité. »

Cela paraît simple, mais que mettons-nous sous le nom d’adoration ? Et comment résolvons-nous ce problème de la partition entre ce qui revient à Dieu et ce qui revient au prochain ? Je pense à la famille qui est notre premier proche prochain et dont les exigences pratiques, culinaires ou conviviales, semblent quelquefois venir buter contre notre besoin de rencontrer Dieu dans nos prières personnelles ou dans notre Messe dominicale. Essayons donc de voir ce qui se cache sous cette Collecte.

« Ad te levavi animam meam… »

L’adoration exprime un mouvement qui a une forme et un fond.

La forme nous est précisée par le préfixe « ad. » Ad-orare, qui nous précise que c’est un mouvement qui part d’en bas, de l’homme, pour aller toucher l’Unique, le seul Dieu. « Tu n’adoreras qu’un seul Dieu. » Rappelons-nous que notre Année liturgique commence par ce verset du psaume 24 : « Vers toi j’élève mon âme… Ad te levavi animam meam… » qui résume toute la forme de ce mouvement vital qui part du monde créé pour essayer de rejoindre le Créateur.

Mais ce mouvement a un fond, un sens, une raison, une définition. Et ce sens nous le connaissons bien pour l’appliquer dans notre vie quotidienne au niveau de nos rapports humains. Ad-orare : si ad donne la forme, orare va nous donner le fond.

Orare, c’est prier ; mais cela vient du mot latin os : la bouche. Donc ad-os c’est la bouche tournée vers… C’est bien comme cela que nos relations humaines commencent ou s’achèvent ou s’expriment. Nous nous tournons vers…, nous tournons notre bouche vers l’autre pour partager…

Pour partager par la parole, voire la prière : c’est le verbe, la parole.

Et dans un deuxième temps pour partager par l’esprit, au sens biblique du mot c’est-à-dire le cœur : c’est le baiser avec tout ce qu’il comporte au niveau de sa symbolique profonde. Le baiser d’amitié, le baiser d’amour, c’est le partage de l’esprit, du souffle…

Donc ad-os c’est tourner vers l’autre sa bouche pour partager une vérité, une idée, pour partager un cœur, un sentiment, un désir, un amour !

 Etre face à Dieu, en Lui et en relation avec Lui

Ainsi en est-il dans la Trinité révélée par Jésus-Christ : il y a effectivement le Verbe et l’Esprit.

Il y a en Dieu un échange : c’est toute la révélation du Christ. Dieu n’est pas seul. Dieu est un Dieu en relation. Père, Fils, tous les deux « tournés-vers » : s’exprimant dans le Verbe et s’aimant dans l’Esprit, dans le Baiser. Car les mystiques appelleront le Baiser mystique ou le Baiser d’amour ce Souffle de Dieu qu’est l’Esprit Saint qui relie le Père et le Fils. Il est l’Air, la Vie, le Don.

Donc l’adoration pour l’homme ce n’est pas d’être une bûche assise sur son banc. L’adoration c’est, pour l’homme, d’être face à Dieu, en relation. Plus encore, c’est d’être inclus dans ce face à face intime, intérieur de la vie de Dieu, c’est participer à cet échange divin, et enfin c’est être canal par lequel cet échange va passer dans l’humanité. L’adoration c’est de se mettre, par la grâce, dans cette Vie de communion, d’échange, de communication, de partage que Dieu fait en Lui-même.

L’adoration ainsi comprise est quelque chose d’essentiel, de vital, de vivifiant, de réjouissant, de transcendant. On n’est pas forcément à genoux, les mains jointes. On peut être allongé, debout, prostré. L’essentiel est d’être entré en Dieu, de s’être invité dans l’échange intime du Père, du Fils et de l’Esprit.

« S’il me manque l’amour, je ne suis rien… »

Et visiblement, d’après l’Eglise qui nous fait demander : « d’adorer Dieu sans partage et d’aimer les hommes par une vraie charité », il n’y a pas d’exclusive dans cette relation à Dieu : je dois adorer Dieu et aimer l’homme.

Mais je dois adorer Dieu sans partage, donc les deux actions d’adorer et d’aimer ne se situent pas au même niveau. Ce n’est pas une partition puisque j’adore sans partage. En effet tout mon cœur est porté à cette adoration, tout mon être va essayer d’entrer dans cette intimité divine.

Donc il ne peut s’agir de partager un petit peu de Dieu avec un petit peu des hommes : un petit peu de Messe avec un petit peu de famille ; un petit peu de catéchisme et un petit peu de sa vie conjugale ; un petit peu de ceci pour un petit peu de cela, avec un petit mélange plus explosif qu’équilibré.

Car non : ce n’est pas une partition, c’est une implication.

C’est ce que nous explique Paul dans sa Lecture. Il nous montre que la véritable charité c’est en fait celle que Dieu a manifestée pour l’homme en Jésus-Christ comme nous le montre toute cette vie du Sauveur décrite dans l’Evangile et qui commence par ces premiers affronts de Nazareth : « Mais qui es-tu donc, n’es-tu pas le fils de Joseph ? » Voilà des gens qui n’acceptaient pas la grâce qui sortait de la bouche de Jésus comme nous dit l’évangéliste. Le ressentiment du mal vis-à-vis du bien, nous connaissons ça…

Alors la vraie charité, Paul nous la décrit comme étant cet agapé c’est-à-dire cette « manifestation » par le Christ de l’Amour de Dieu pour l’humanité. Cette vraie charité ne vient donc pas de nous-mêmes, elle nous est donnée de Dieu : « Vous cherchez le don supérieur à recevoir de Dieu, je vais vous l’enseigner, c’est la charité. »

Aimer l’homme comme Dieu aime !

Cela veut donc dire que je dois être en relation d’échange avec Dieu, pour échanger. Je donne quelque chose à Dieu, nous allons voir quoi, et Dieu me donne quelque chose : Il me donne cette charité, Sa charité !

Cela veut dire que pour aimer l’homme d’une vraie charité j’ai besoin de cette charité divine qui vient de Dieu par Jésus-Christ et que j’ai donc besoin d’être d’abord en communication avec Dieu, en échange, en partage, en communion… C’est ce que nous appelons l’adoration.

Ainsi ne pouvons nous pas aimer un homme d’une vraie charité si nous ne sommes pas d’abord en état d’adoration. Ce qui veut dire être en relation d’intimité, de partage, à l’intérieur de la Vie divine qui se déroule dans mon cœur.

Mais les manières d’être dans l’intimité divine sont multiples : à chaque âme son intimité, comme à chaque couple sa manière d’aimer et à chaque famille sa manière d’éduquer. On ne peut pas comparer : c’est tellement personnel la manière d’aimer, de partager, de communier !

Mais il faut d’abord cette présence à la vie trinitaire, sinon nous ne faisons pas de la charité, mais de la philanthropie. C’est totalement différent. Nous ne pouvons pas à ce moment là prétendre aimer l’homme d’une « vraie charité », nous ne pouvons pas prétendre aimer l’homme comme Dieu l’aime. En un mot, nous ne pouvons pas prétendre être chrétien. Nous sommes hommes, femmes, c’est tout. C’est déjà bien, nous existons. Mais notre foi ne nous engage pas, nous ne sommes pas engagés dans l’Evangile, nous ne vivons pas les promesses de notre baptême de suivre le Christ.

Offrir mon désir pour recevoir le Christ adorant !

Alors justement, comme nous l’avons vu dimanche dernier, nous allons apporter à l’Offertoire, notre demande d’adoration. Nous allons demander d’entrer en adoration. Nous allons apporter ce désir, cette demande d’avoir notre bouche tournée vers Dieu pour Lui parler et L’aimer, pour recevoir Sa Parole et Son amour parce que nous savons être en manque de cette intimité divine, de cet esprit d’adoration.

Nous apporterons cela tout à l’heure sur la patène, avec le pain, exprimant ainsi l’offrande de notre vie pour qu’elle soit vivifiée par l’Esprit, comme le fut celle du Sauveur.

Et par la communion au Pain de vie, c’est-à-dire par le Christ nous donnant Sa grâce, nous recevrons Son adoration exemplaire ! Comme nous pourrions recevoir la foi, l’espérance, la patience de Jésus, nous allons recevoir l’adoration du Christ qui sera proportionnée, bien sûr, au désir véritable d’adoration que nous aurons apporté à l’Offertoire. Si je n’ai pas de désir, je ne reçois rien et mes communions sont tièdes, fadasses, sans fruit…

Se nourrir du Christ pour vivre de Lui…

L’adoration du Christ que je vais recevoir dans le Pain de vie, va prendre la place du creux qui est en moi, de la béance, de mon désir, de mon besoin plus ou moins explicite !

Je vais demander et je vais recevoir cette adoration. Pas de manière magique, non !

Je vais recevoir la grâce de l’adoration de Jésus qui est en moi, qui va me donner le silence de Sa prière au désert ; qui va me donner la vérité, la profondeur de Sa prière au Père. C’est pourquoi Jésus put dire : « Tout ce que je dis… tout ce que je fais, je le dis au nom du Père. » Nous dans nos journées, il y a si peu de choses faites ou dites au nom du Père ! L’essentiel l’est au nom de notre personne !

Avec la vérité, la profondeur de la prière de Jésus, je recevrai la joie de la prière de Jésus : « Je vous donne ma joie pour que ma joie soit en vous. »

Je recevrai aussi la paix de Jésus : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix… », la paix, l’ordre que je partage avec mon Père.

Je recevrai peut-être même la passion de Jésus c’est-à-dire cette capacité d’être résigné, ‘passif’ aux souffrances que la vie nous charge de recevoir.

« Il m’avise, Il me dit Ses désirs et je L’avise, je Lui dis mes besoins ! »

Si pendant la semaine, en utilisant ce que la communion du dimanche met en moi de cette capacité de silence, de vérité, de joie, de paix, et même de passion pour souffrir mes ennuis, si je suis attentif à couper un peu la radio, à mettre un sourire sur mon visage, à essayer le matin et le soir de dire : que vais-je faire ou qu’ai-je fait au nom du Père ? , à mettre un peu de paix chez moi, dans mon quartier, dans mon travail, alors j’entre dans l’adoration du Christ et dans l’intimité de Dieu.

J’entre véritablement dans une communication sans secret, où il n’y a plus de non-dit. Comme disait le paysan au curé d’Ars : « Il m’avise, Il me dit ses désirs et je L’avise, je Lui dis mes besoins. » Nous parlons et nous entrons véritablement dans un dialogue de confiance.

Voilà ! C’est ce que nous demandons par la prière de la Post Communion. Car nous entrons à ce moment-là dans une foi, dans une confiance, dans une unité de plus en plus profonde. C’est la grâce que nous souhaitons pour tous.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

Retrouvez la lectio divina quotidienne (#twittomelie, #TrekCiel) sur tweet : @mgrjmlegall