Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« Arrêtez de faire le mal, faites le bien ! »

Lectio divina pour le 28ème Dimanche ordinaire, le 15 octobre 2017

Réfléchissons sur trois points qui semblent essentiels dans la Collecte de ce 28ème dimanche par laquelle nous demandons à Dieu la grâce pour faire le bien, et le faire sans relâche. Que peut-on dire sur ces trois points ?

« Jésus passait et faisait le bien »

Tout d’abord « faire le bien » est une des définitions les plus synthétiques et en même temps les plus anciennes de l’être-chrétien.

Saint Pierre l’utilise pour la première fois dans l’une de ses épîtres en parlant de Jésus Lui-même : « Jésus passait et faisait le bien et c’est cet homme-là que vous avez crucifié. » Passer, c’est vivre parmi les hommes et c’est tout le mystère de l’Incarnation. Faire le bien, c’est tout le mystère de la Rédemption qui s’achèvera en plénitude dans le sacrifice de la Croix, mais qui commence dès la naissance de Jésus et qui imprègne toutes les journées du Christ, tant celles de Sa vie cachée que celles de Son ministère public. Souvenons-nous de Cana…

Nous pouvons alors nous poser immédiatement une question. Pour nous chrétiens – c’est à dire pour nous qui sommes du Christ depuis cette première fois où, à Antioche, on a donné aux disciples du Christ le nom de chrétiens – lorsque nous passons quelque part (et nous passons tous quelque part : dans notre vie de famille, d’association, professionnelle, dans la rue, au magasin… ) y a-t-il du bien qui se dépose ? Comme le fleuve avec les alluvions qui forment la bonne terre dans laquelle tomberont ensuite, peut-être fort longtemps après, les semences qui donneront les meilleurs blés…

Chacun doit effectivement se questionner : lorsque je passe quelque part, ne serait-ce que dans la vie la plus courante qui fait le fil de mes journées, est-ce que du bien se dépose de ma personne autour de moi ? Sachant que c’est en fonction de cette réponse que je serai jugé…

« Faites le bien ! »

Ensuite nous remarquons que la Collecte utilise précisément le mot, l’expression : « faire le bien. » Il ne s’agit donc pas de créer le bien ! Souvent nous vivons dans cette illusion apparemment bon enfant. C’est une sainte ambition que de vouloir créer, mais laissons cela à Dieu le Père ! Seul Dieu crée c’est à dire « fait à partir de rien. »

Et seul Dieu peut créer le bien parce qu’Il est Créateur et parce qu’Il est le Bien suprême, le Bien infini ! À nous, simples petites créatures humaines, nous est demandé seulement de faire le bien, de le produire à partir de quelque chose. N’allons donc pas imaginer des plans les plus faussement miraculeux…

Faire le bien c’est le produire à partir de quelque chose. Et ce quelque chose qu’est-il ? C’est tout simplement tout ce qui est, tout ce qui existe. Le bien et l’être sont universellement et à jamais liés comme nous le voyons lorsque nous contemplons Dieu qui est à la fois l’Être parfait et le Bien suprême : « Je suis celui qui suis. »

Ce qui permettra au Christ de dire, dans cette logique : « Dieu seul est bon. » Le Bien et l’Être sont réunis de manière parfaite dans la Sainte Trinité et c’est cela qui nous permet de dire que, dans notre vie de créatures, le bien et l’être sont liés l’un à l’autre.

Donc faire le bien, c’est produire ce bien à partir de quelque chose qui existe, de ce qui est. Or tout est, tout existe. C’est ce qui permettra à Saint Paul de dire que rien n’est mauvais : « Que nous buvions, que nous mangions, que nous dormions… » Rien n’est mauvais en soi si tout est capable d’être transformé en bien avec notre agir !

Mais quelle exigence alors pour nous : puisque tout ce qui nous entoure est toujours de l’être, faire le bien est une tâche constante ! Il s’agit donc effectivement, comme le précisait la Collecte de « faire le bien sans relâche. » Oui, que ce soit la cuisine ou le ménage, le travail professionnel ou les enfants à éduquer, la recherche ou la philanthropie, tout cela est de l’être, donc transformable en bien.

« Quoi que nous fassions, faisons-le au nom du Seigneur. »

Mais il faut quelque chose d’autre pour faire le bien : il faut l’aide de Dieu. C’est pourquoi, la citation de Paul se complète par : « Quoi que nous fassions, que nous mangions, que nous buvions, que nous dormions, faisons-le au nom du Seigneur. » Il ne s’agit pas seulement de baptiser le bien que nous faisons.

Au nom du Seigneur, cela veut dire que ce soit le Seigneur qui soit le moteur de cette action, le moteur de se restaurer comme le moteur de dormir, le moteur de travailler comme celui de se reposer, le moteur d’aimer et le moteur de construire les relations humaines. Il ne s’agit pas de crier après quelqu’un au nom du christianisme et de l’Évangile. Il s’agit d’être suffisamment évangélique pour pouvoir parler à son frère et l’aider à faire le bien !

Oui, pour faire le bien, il faut cette aide de Dieu qui est, rappelons-le, le Créateur du Bien. Il est donc Celui avec lequel je vais procréer le bien. Comme dans la génération humaine !

Mais comment Dieu va-t-Il agir pour me permettre de transformer l’être en bien, de faire le bien dans ma vie, de passer et de faire du bien, de faire que ma vie soit un passage par lequel se dépose du bien, à l’image du passage de Son Fils dans notre vie ?

Dieu va agir à trois niveaux.

Il va d’abord me donner l’existence. Il faut que j’existe, il faut que je sois. Il me crée et Il me donne dans cette existence la volonté, c’est à dire la potentialité d’aimer. Nous avons un cœur et c’est ce cœur qui va nous suggérer l’idée, le projet de faire du bien, le projet d’aimer, le projet de valoriser, le projet de faire grandir, de développer, d’éduquer, de rendre heureux, de réjouir. Si nous pouvons faire le bien, c’est parce que nous sommes et que nous sommes avec un cœur.

« Dieu nous donne le vouloir. »

Le deuxième moyen par lequel Dieu agit c’est la grâce sanctifiante c’est à dire cette configuration à Son Fils Jésus-Christ par le Baptême d’abord et ensuite par les autres sacrements, l’Eucharistie principalement. Ils vont me configurer à Son Fils Jésus-Christ ce qui me donnera la capacité de voir comme le Christ voit. Et le Christ, nous le savons, voyait et voulait le bien !

Les signes sont multiples dans l’Évangile par lesquels Jésus manifeste visiblement le bien réel – non pas seulement le bien premier de la rédemption intérieure, mais le bien – l’attachement à l’homme et à son humanité : les guérisons des aveugles, des boiteux, des sourds, des paralysés… Donc lorsque je suis en état de grâce, établi dans la grâce sanctifiante, je vois le bien comme le Christ le voit, je vois l’autre comme un champ de bonne terre sur lequel je vais pouvoir déposer une semence de bien. Voilà ce que Saint Paul appelle le vouloir : « Dieu nous donne le vouloir. »

« Dieu nous donne le faire. »

Puis il nous dit ensuite : « Il nous donne le faire. » C’est le troisième moment par lequel Dieu nous permet de faire le bien. Après nous avoir donné la visualisation du bien par la grâce de la configuration à Son Fils, Il va jusqu’à nous donner cette grâce de l’instant présent (que nous recevons d’ailleurs par les mêmes sacrements) et qui va consister à accueillir chaque moment de ma vie et le vivre en charité.

C’est là où se passe la production du bien, quand, par cet accueil je transforme chaque minute en avènement du Royaume ! Chaque minute de ma vie, chaque instant de ma vie, qu’il soit humainement heureux ou malheureux, triste, difficile ou joyeux, qu’il soit élevé parce que spirituel ou intellectuel ou terre à terre, chaque instant de ma vie peut devenir avènement du Royaume, c’est à dire quelque chose d’autre, quelque chose d’extra-ordinaire c’est à dire au-delà de l’ordre des choses pour atteindre l’ordre de Dieu. Et ça c’est ce qu’on appelle la grâce de l’instant présent.

C’est le fruit de la grâce sacramentelle que je reçois à travers tel sacrement précis, cette confession d’aujourd’hui ou d’hier, cette Eucharistie d’aujourd’hui vers laquelle je m’approche avec une demande bien précise (je demande au Seigneur dans cette confession, dans cette Eucharistie, telle amélioration, le développement de telle ou telle vertu : de patience, de miséricorde, de tendresse, de capacité d’action ou de réaction à tel ou tel évènement bien précis). Et c’est la réception de ce sacrement qui me permettra au moment précis où arrive l’évènement, où arrive la réalité, de passer à l’acte et de transformer cette minute en l’avènement du Royaume, faisant de cette minute quelque chose d’absolument nouveau.

« Je suis avec vous tous les jours… »

Alors bien entendu ce qui est le plus nécessaire pour moi est mon adéquation à cette grâce de l’instant présent au lieu de vivre ma vie seulement biologiquement, comme les animaux. Je dois vivre, au contraire, de manière attentive à cette présence de Dieu qui est là, minute par minute, pour m’aider à transformer la minute de ma vie et la vivre en charité, en sorte qu’elle soit le dépôt de mon bien.

Évidemment, pour être adéquat à cette grâce de chaque instant, il faut déjà que je sois conscient de son existence, donc de l’existence de la présence de Dieu à ma vie. Dieu n’est pas seulement présent à la messe ou au tabernacle : Il est présent en moi. Il est présent à ma vie, à chaque minute, à chaque instant.

Et pour être conscient de cette présence de Dieu à ma vie, Dieu en tant qu’Il est mon Père, il faut que je sois présent à Dieu. C’est ce que l’on appelle la prière, qui n’est rien d’autre que la présence à Dieu, en même temps qu’elle est là pour que je sois présent à Lui.

« Tout le jour son amour coule sur moi ! »

Ce travail de présence à Dieu pour vivre dans la présence de Dieu, c’est ce que l’on appelle la vertu de foi, l’adhésion de la foi : « Adhærere Deo bonum est » : « Pour moi adhérer à Dieu est un bien. » Comme le Psalmiste, je m’accroche à Lui, je me mets en Sa présence pour discerner justement Sa présence à Lui tout au long de mes jours et savoir ainsi que chaque pas que je pose, Il le pose avec moi ! Comme dit le Psalmiste : « Que je descende au shéol tu es là, que je monte au ciel tu es là… »

Après cette conscience de la présence de Dieu, il faut encore que je fasse appel à cette grâce, autrement dit que je sorte ce joker divin pour arriver à vivre cette minute et pour lui donner, par l’amour reçu de Dieu, la plénitude de son être.

Nous avons tous rencontré dans notre vie des personnes qui sont des êtres de plénitude. C’est aussi extraordinaire qu’incompréhensible : quoi qu’elles fassent, quoi qu’elles touchent, le résultat est merveilleux… C’est souvent le cas des pauvres, des petits, des malades, des souffrants qui arrivent à faire de leur épreuve, souvent extrême, un temps de plénitude, transformant ainsi leur vie, et, par la communion de grâce, la nôtre, à nous qui les avons rencontrés !

Voilà de quoi stimuler notre vertu d’espérance, nous poussant à user cette grâce de l’instant présent pour vivre en transformant la vie, sachant, avec le Psalmiste, que : « Chaque jour Dieu est fidèle… »

Enfin, la troisième nécessité qu’il y a pour accomplir cette grâce de l’instant présent c’est de se rendre compte que dans ce travail de la présence de Dieu et de la présence à Dieu en chaque instant, je suis effectivement en communion avec Dieu. Je ne suis plus seul : je suis avec mon Dieu et Dieu est avec mon âme.

Voilà ce que le Christ a changé en ressuscitant : Il est avec nous pour toujours, au creux de nos vies, au fond de notre cœur. Au fond même de la plus noire des souffrances, Il est en communion avec moi, Il est là ! C’est l’Introït de la messe de la Résurrection : « Je suis avec toi pour toujours » Voilà la troisième vertu, la vertu de charité, que nous devons demander pour être en adéquation avec la grâce de l’instant présent.

« Omnia instaurare in Christo »

Avec ce regard, nous comprenons que ce que décrit le prophète Isaïe, l’annonce du festin eschatologique (c’est à dire la Parousie), lorsque les hommes seront à jamais réunis avec Dieu, se réalise déjà ici-bas dans le Christ : « Tout le jour son amour coule sur moi » chante le Psalmiste.

Certes le Royaume de Dieu que décrit Isaïe atteint à une plénitude universaliste : c’est la plénitude des temps où toutes choses sont instaurées dans le Christ : « Car Dieu a voulu que dans le Christ toute chose ait son accomplissement total » comme l’écrivait Paul. « Omnia instaurare in Christo » pour reprendre la devise de S. Pie X.

Mais avant cette plénitude universaliste et pour y atteindre, il y a la possibilité déjà ici-bas d’instaurer un Royaume de Dieu dans une plénitude personnelle, la nôtre à chacun. Nous pouvons vivre dans la plénitude du Royaume ici-bas, dans cette plénitude personnelle que Dieu nous propose de réaliser : communier à Lui, être conscient d’être avec Lui, et savoir que dans cette communion sponsale, il m’est donné la capacité de vivre la vie, non pas pour en profiter de manière égoïste, mais pour en faire du bien, pour faire que cette vie au lieu d’être limitée à mon ego, déborde sur les autres.

« Tu me conduis sur le chemin d’éternité… »

C’est ce que le Christ nous propose pour entrer dans le festin des noces dont nous parle l’Évangile, festin de noces commencé ici-bas et qui nous donne la joie nuptiale dès maintenant.

Au lieu de rejeter ma vie, au lieu de fuir ma vie, au lieu de penser que la vie pour nous, chrétiens, est quelque chose à condamner, il nous faut voir que la vie est d’abord un don de Dieu.

C’est dans cette vie que Dieu vient me chercher, c’est dans cette vie que Dieu vient me rencontrer et qu’Il vient m’aimer, ce n’est pas ailleurs ! C’est la raison pour laquelle cette vie mienne est préparatrice de ma vie éternelle. C’est la raison pour laquelle la communion avec Dieu dans ce festin intime et personnel (communion sponsale qui s’achève par la communion eucharistique) nous mènera tous ensemble, en Église, au festin de la plénitude universelle à la fin des temps.

Demandons la grâce de revenir à cette conscience de la présence de Dieu à chaque instant, la grâce de l’instant présent qui change chaque minute de ma vie et qui la transforme en un avènement du Royaume.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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