Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

NE RIEN PRÉFÉRER À L’AMOUR DU CHRIST !

Lectio divina pour le 28ème Dimanche Ordinaire
Sag.7, 7-11 Héb.4, 12-13 Mc.10, 17-30

Nous entendons ce que dit l’auteur de l’épître aux Hébreux sur le côté tranchant, aiguisé, subtil de la Parole de Dieu qui pénètre les cœurs, qui sonde les reins, qui voit toutes choses… Toutes choses lui sont présentes et en particulier notre âme. C’est une description un petit peu dure de la Parole de Dieu surtout si nous la comparons à son activité au moment de l’Annonciation lorsqu’Elle s’incarne dans le sein de Marie.

Nous sommes dans le mois du Rosaire donc nous devons avoir en tête ce mystère des mystères, ce mystère où tout commence, le mystère de l’Annonciation où l’ange Gabriel avec tant de délicatesse vient demander à Marie la permission pour le Verbe de se blottir en son sein. Et puis cette Parole de Dieu qui tout d’un coup nous est présentée de manière si incisive…

Il faut retenir les deux aspects. D’ailleurs Jésus lui-même présentera ces aspects : d’un côté doux et humble de cœur et de l’autre incisif et ne mâchant pas ses mots.

« Comme il se mettait en route… »

Cet épisode du jeune homme riche nous pourrions peut-être nous l’appliquer justement avec douceur certes, mais aussi avec honnêteté : pourquoi ne serions-nous pas nous aussi des jeunes hommes riches s’en allant tout tristes parce que nous avons de grands biens ? Et aussi parce que la Parole de Dieu entendue en ce dimanche, explicitée dans l’homélie, nous gêne, déplace nos habitudes, nous agace, nous meurtrit, nous humilie ?

Nous nous situons avec ce petit passage de saint Marc, dans le parallèle avec le chapitre XVIII de saint Luc appartenant à la grande incise dans laquelle Luc raconte la montée de Jésus à Jérusalem. D’où cette précision de l’évangéliste : « Comme il se mettait en route… »

C’est vraiment le grand voyage de Jésus, après celui de l’Incarnation qui consiste à voyager du Père sur la terre. Ce grand voyage de l’Incarnation est réduit, synthétisé en quelque sorte et représenté de manière visible aux yeux des apôtres et donc de l’Eglise par ce bref voyage des neuf chapitres lucaniens.

Tout disciple du Christ est appelé lui aussi à se mouvoir, à être dynamique.

Nous nous situons donc aux alentours des mois d’octobre-novembre de l’année 29.

Mais si l’évangéliste nous parle de cette mise en route de Jésus, c’est aussi pour nous rappeler que Jésus est un itinérant : Il va, Il vient… Il va Il vient de la Galilée en Judée, de la Judée en Samarie ; Il va Il vient dans le Temple, Il va Il vient à Jérusalem, de Béthanie ou de Bethphagé au Temple et retour. Il n’est pas immobile, Il bouge ! Et tout disciple du Christ est appelé lui aussi à se mouvoir, à être dynamique.

Alors nous nous situons donc sur cette route de Jérusalem avec cet épisode du jeune homme riche que Marc nous présente avec sa fougue.

« Jésus le regarda et l’aima »

Oui, c’est avec précipitation qu’il accourt vers Jésus et se jette à genoux montrant bien par là que le Christ n’est pas seulement un Rabbi mais possède quelque chose de transcendant, une autorité à nul autre reconnue. Luc, lui, nous parle d’un notable, de quelqu’un qui est dans une situation élevée. On pourrait se demander lequel des deux a raison. Est-ce que c’est ce jeune homme plein de ferveur qui attire le regard de Jésus et qui attire Son amour (parce que Jésus a Lui aussi, dans ce voyage perpétuel, placé toute Son énergie, tout Son amour) : « Jésus le regarda et l’aima » ? Est-ce ce jeune homme plein de ferveur ou est-ce au contraire ce bourgeois bien établi, ce notable ?

Les deux hypothèses ne sont d’ailleurs pas en contradiction. On peut penser que c’est un jeune homme qui, depuis sa tendre enfance, a essayé de pratiquer les commandements de Yahvé et que grandissant, montant dans la hiérarchie de la cité, il sent qu’il s’éloigne peu à peu de Dieu, de ces 613 commandements que respectaient les pharisiens, avec leur manie de la démultiplication des lois et des pratiques !

« Bon Maître… »

Il sent cet éloignement et il voudrait revenir à Dieu.

Et il revient. D’où cette conversion, je dirais récente : c’est presque un néophyte que Jésus voit venir à lui…

Il se précipite donc ainsi : « Bon Maître… »

Nous remarquons que l’épisode qui commence par ce terme, se termine aussi par le même concept de bien : « Et il s’en alla tout triste parce qu’il avait de grands biens. »

Entre « bon Maître » et « grands biens », entre le bon et le bien, nous avons toute une dissertation sur le bonheur. Non pas sur ce qu’est le bonheur parce que ce jeune homme riche sait ce qu’est le bonheur : c’est la Vie éternelle. D’où d’ailleurs sa question : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Donc il ne se pose pas cette question du point de vue philosophique.

Il se pose la question de savoir comment arriver au bonheur. Et c’est une question que finalement nous nous posons tous. Car nous sommes tous aspirés vers la vie, vers une vie en plénitude qui prendra telle ou telle figure suivant notre conception de l’homme, de la philosophie, suivant la civilisation dans laquelle nous vivons. Mais nous sommes tous aspirés vers cette éternité et nous nous posons la question du comment.

« Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? »

Il y a en tout homme ce désir de posséder cette vie dont nous sentons qu’elle nous échappe. Chaque seconde nous mourons un peu, nous sommes déjà plus vieux maintenant que lorsque nous avons commencé cette lecture ! La vie s’échappe de notre corps, de notre cœur, comme l’eau lorsque nous voulons l’emprisonner dans nos mains.

Et au fond de nous, pourtant, il y a ce désir de posséder c’est-à-dire d’avoir, continuellement, à perpétuité, d’être maître de la vie avec tout ce que cela comporte de réflexion intellectuelle, de passion sentimentale, de cordialité, etc… C’est un désir tout à fait naturel, inhérent à notre condition d’êtres raisonnables, c’est un désir légitime que le Christ respecte.

« Que dois-je faire pour avoir… ? »

Mais chez ce jeune homme il y a une petite incompréhension que Jésus va s’employer à dissiper.

Le jeune homme riche pense que cette vie éternelle à laquelle il aspire, il peut l’acheter, la capter par un bien, par une bonne conduite : c’est un jeune homme riche, habitué au commerce, habitué à la gestion des biens !

« Que dois-je faire pour avoir la vie ? » N’est-ce pas la question que nous nous posons nous aussi ? «Que dois-je faire Père pour avoir le Ciel, pour être exaucé ? Combien d’argent dois-je donner ? Combien de messes dois-je pratiquer ? A quel moment de la célébration puis-je arriver pour avoir la messe ? Combien de fois dois-je me confesser chaque année pour être un bon chrétien, pour pouvoir profiter de l’éternité ?

« Que dois-je faire Maître pour avoir… ? » Nous aussi nous voulons capter la Vie éternelle. Et Jésus va essayer de redresser ce regard, normal surtout à Son époque avec l’esprit des pharisiens, l’esprit de la Loi, l’esprit de l’œuvre. Il essaiera tout à l’heure de briser cette habitude de l’achat, de l’argent : « Va vends tes biens… » Il tentera de déconnecter le cœur de l’homme d’avec son portefeuille.

« Dieu seul est bon. »

Mais tout de suite, avant même et pour arriver à cette fin, Jésus passe à un niveau supérieur pour répondre à la requête légitime, bonne, (pas totalement bonne, mais pleine de bonne volonté) de cet homme qui cherche la vie. Pour ce faire, il met cette requête au niveau de Dieu, non pas au niveau de l’homme qui peut monnayer le bien, mais au niveau de Dieu : « Dieu seul est bon. »

Oui, « Pourquoi m’appelle-tu bon ? Dieu seul est bon. » C’est-à-dire que Dieu seul est le bien et donc, en conséquence, tout bien vient de Dieu.

Et si le Ciel, la Vie éternelle doivent être effectivement possédés, c’est comme un don reçu, une grâce accueillie et non comme une marchandise, un bien que l’on achète !

Ainsi, par exemple, lorsque vous venez communier, ne prenez pas l’hostie, elle ne vous est pas due. Ouvrez la bouche, ouvrez les mains, signifiez par votre comportement cette réalité importante que le Christ veut faire comprendre au jeune homme riche, cette réalité de l’accueil, du don gracieux de Dieu. « Dieu seul est bon, pourquoi m’appelles-tu bon ? »

« Tu connais les commandements… »

Le Christ a l’air étonné de la démarche du jeune homme riche et nous aussi nous pourrions nous étonner de cette question curieuse parce que finalement pour avoir la Vie éternelle, pour arriver au royaume de Yahvé la réponse est simple ! Elle fut donnée à Moïse : ce sont les Paroles de Vie, cette Parole percutante, mais qui donne la Vie : les Dix Commandements.

Il le sait ce jeune homme riche, il les pratique même et Jésus, lorsqu’Il lui répond, lui redonne les commandements. Mais pas les dix ! En effet le Christ ne cite pas les trois premiers commandements regardant notre comportement avec Dieu : Il sait quel est le cœur du jeune homme.

Par contre il insiste sur les sept derniers, les commandements relatifs à l’amour du prochain : le faux témoignage, la concupiscence, le vol, le mensonge, tout ce qui fausse nos relations humaines, c’est-à-dire entre un homme et un autre homme, entre deux frères. Et déjà nous percevons ce que Jésus, par Matthieu, dira à la fin de l’évangile, au chapitre XXV : « J’étais nu et vous m’avez habillé, j’étais prisonnier et vous m’avez visité, j’étais malade et vous m’avez soigné. »

Jésus nous renvoie donc les sept commandements de l’amour du prochain. Et le jeune homme de dire : « Mais Maître, je le fais, je le pratique et depuis ma jeunesse ! Que me manque-t-il encore ? »

Le jeune homme riche aime Dieu, mal certainement, mais c’est cet amour qu’il possède en lui-même qui le pousse à rechercher autre chose, à développer son sentiment, à grandir en lui ; comme nous essayons de mieux aimer un ami, de mieux aimer un enfant, un conjoint… « Maître, que dois-je faire en plus ? »

« Maître, que dois-je faire en plus ? »

Et Jésus répond : « Une seule chose te manque… »

Quelle est la chose qui peut nous manquer à nous qui, comme le jeune homme riche, sommes des pratiquants dominicaux ? Nous avons de quoi nous glorifier, être heureux : nous pratiquons les commandements, nous pratiquons le culte ! Mais est-ce que nous ‘pratiquons Jésus-Christ’ ? Nous connaissons l’expression familière : il pratique quelqu’un, il pratique du sport… Mais pratiquer quelqu’un c’est dire une communion, une connivence… Dans ce sens, est-ce que nous pratiquons Jésus-Christ ??

Ça c’est autre chose ! Et voilà le point que Jésus veut faire ressortir dans la réflexion du jeune homme riche. « Une seule chose te manque » : cet Unique Nécessaire qu’Il confiera à Marthe et à Marie peu de temps avant de mourir, cet Unique Nécessaire que tu n’as pas et qu’avec raison tu demandes pour être dans la Vie éternelle (c’est-à-dire pour être dans la Bonté, dans le Bien, dans le Bonheur)…

« Viens, suis-moi… »

Il y a quelque chose de nouveau dans l’Alliance nouvelle, c’est la présence de Dieu, la proximité de Dieu, l’intimité nouvelle que l’homme a avec Dieu. L’intimité qui n’est plus l’intimité vécue telle que Moïse, Abraham et les Pères ont pu la vivre dans le désert mais une intimité de proximité, palpable, visible, « touchable » comme dira saint Jean dans son épître.

« Viens, suis-moi… », « Venez, voyez… » dit-Il aux premiers disciples ; « Voyez où je demeure » et demeurez avec moi… pour que à travers le Fils vous puissiez être avec le Père, avec le Bon, avec celui qui est Bon. Car « Qui me voit, voit le Père »,… Et : « Nul ne va au Père que par moi… » Voilà l’intimité nouvelle, voilà ce que Jésus est venu apporter au jeune homme riche.

Lui était excusable puisque Jésus venait d’apparaître en Palestine. Mais nous qui vivons après 2000 ans de christianisme, de tradition, d’éducation, est-ce que nous avons saisi cette fabuleuse révélation. Est-ce que nous répondons à cet appel du Christ : « Viens, suis-moi… » ?

« Ceux qu’il a aimés il les a appelés à devenir configurés à son Fils. »

Jésus aime ce jeune homme et tout amour pour Jésus est aussi un appel, est une vocation. Souvenez-vous de ce que dit saint Paul : « Ceux qu’il a aimés il les a appelés à devenir configurés à son Fils. » Jésus appelle ce jeune homme. Il ne se contente pas de l’aimer, de le féliciter ou de lui apprendre quelque chose, Il l’appelle à sa suite.

Et pour répondre à cette vocation, Il va lui demander de tout abandonner, de tout lâcher.

Cet appel au dépouillement total est valable pour tous les disciples, pour vous, pour nous, pour les moines, pour les prêtres. Mais c’est à certains seulement qu’en fait Jésus demandera d’accomplir pratiquement cette vocation.

Il faut comprendre avec justesse la distinction qu’il y a entre le dépouillement total qui est celui des âmes consacrées dans le sacerdoce ou la vie religieuse et votre vie chrétienne dans le monde et ne pas trop rapidement diviser les deux appels et surtout ne pas fonder cette division sur cet appel du jeune homme riche en disant que seuls les personnes consacrées (les moines, les prêtres) sont appelés au dépouillement total. Tout disciple du Christ est appelé à abandonner totalement ses biens et sa personne à Jésus, mais ce n’est qu’à certains (laïcs, prêtres ou religieux…) que pratiquement Jésus demandera d’effectuer ce détachement.

« Une seule chose te manque… »

Jésus dit bien : « Une seule chose te manque… » C’est donc une vocation bien personnelle.

Cette demande du Christ au jeune homme de se dépouiller de tous ses biens n’est pas un choix arbitraire. Ce n’est pas arbitraire que Dieu demande aux hommes qui veulent le suivre de s’établir dans la pauvreté. C’est pour nous permettre d’être disponible, pour nous permettre d’avoir le cœur pris seulement par Lui.

La réponse du jeune homme riche est là pour justifier devant nous cette demande de Dieu : « Il s’en alla tout triste parce qu’il avait de grands biens ».

Alors pour nous qui sommes aussi des jeunes hommes riches nous pouvons nous poser la question : est-ce que nous pratiquons le Christ ou est-ce que nous pratiquons seulement le culte ? Est-ce que nous sommes dans l’intimité avec le Maître, oui ou non ?

Et si nous ne le sommes pas, quels sont les biens qui nous en détachent, qui nous en empêchent ? A quoi tenons-nous plus que le Christ pour reprendre la formule de saint Benoît qui demandait à ses fils de ne rien préférer à Jésus-Christ ?

« Nihil amori Christi praeponere ! »

Si je ne suis pas dans l’intimité de Jésus-Christ de manière habituelle, pacifique, joyeuse, c’est qu’il y a quelque chose qui me retient dans ma vie, une richesse, une richesse économique, une richesse spirituelle, morale, intellectuelle… Que sais-je ?…

Toutes les richesses sont bonnes pour nous faire dire que nous n’avons pas besoin de Jésus et pour freiner notre suite du Christ, pour refuser finalement de marcher derrière Lui et donc de trouver le Père et avec Lui, la Vie éternelle.

C’est la grâce que nous nous souhaitons les uns les autres en ce dimanche : arriver à déterminer au fond de notre cœur si vraiment nous pratiquons Jésus-Christ et si non, déterminer ce qui nous empêche cette pratique.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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