Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« DIEU A ETE DE L’HOMME ! »

Lectio divina pour le 29ème Dimanche Ordinaire
Is. 53,10-11 Héb. 4,14-16 Mc. 10, 35-45

Aussi curieux que cela puisse paraître avec ce texte des apôtres qui réclament les premières places -texte que nous comprenons bien parce que c’est aussi pour nous, une habitude de rechercher les premières places !- se continue finalement l’enseignement de dimanche dernier où nous avions entendu, avec l’épisode du jeune homme riche, Jésus nous faire remarquer que c’est de Dieu que procède toute bonté.

« Vouloir ce que Dieu veut… »

Effectivement notre dimanche s’ouvre sur cette Collecte par laquelle nous demandons à Dieu de « vouloir ce qu’Il veut », c’est-à-dire de désirer, d’aimer ce qu’Il aime, l’amour étant l’acte de la volonté. Nous demandons à Dieu d’aimer ce qu’Il aime et « de servir sa gloire sans partage », sachant que chez Dieu la gloire n’est rien d’autre que l’Amour !

Si nous le demandons c’est donc que Dieu souhaite que nous fassions cette demande et que nous recevions effectivement cette grâce. Une grâce particulièrement délicate qu’Il nous propose, une grâce de force, de lumière pour arriver avec notre cœur limité, -notre cœur d’homme !- à poser un acte d’amour qui ait les dimensions de Son Amour à Lui, de Son Amour divin, donc sans limite, d’une profondeur immense, et sans acception de personne.

La Bible regorge de toutes ces caractéristiques de l’Amour de Dieu, « lent à la colère et plein d’amour, « plein de tendresse et de miséricorde… « .

Dieu nous propose de nous donner donc cette grâce afin d’aimer les autres et tous les êtres. Ce qui comprend donc les hommes, mais aussi, comme l’a si bien perçu saint François d’Assise récemment fêté, toute la Création, tous les êtres qui participent de l’Être de Dieu car ils ont été créés par Lui. Oui, nous sommes appelés à aimer tous les êtres parce qu’ils sont une participation de l’Être de Dieu. Et pour ce qu’ils sont en tant qu’êtres, et non pas pour ce que nous voudrions qu’ils soient !

« Celui qui veut devenir grand… »

Dieu essaye de nous faire comprendre, par cette grâce de lumière que nous lui demandons, d’aimer véritablement. L’amour vrai consiste à adhérer à l’autre, à le voir par ce qu’il est, mais surtout pour ce qu’il est et non pas pour ce que nous croyons ou que nous voudrions qu’il soit !

Concrètement qu’est-ce que cela signifie qu’aimer de manière divine ? Comment cela va-t-il se traduire ? L’Evangile nous donne la réponse.

L’Evangile nous donne la réponse puisque Jésus parle de celui qui veut être grand. Or, grand c’est l’attribut de Dieu. Dieu seul est grand. Dieu seul est Saint. Dieu seul est Amour. Jésus donc va orienter cet épisode sur l’enseignement de la grandeur chez l’homme, grandeur participée de la grandeur de Dieu, donc de Son Amour.

En deux mots Jésus dit : Si vous voulez aimer… ( « Celui qui veut devenir grand… ») voilà ce qu’il faut faire. Et tout de suite, en même temps, par les mêmes paroles, Jésus réfère cette explication de l’Amour à Sa Personne, parce qu’il n’y a pas d’autre amour qu’en Jésus-Christ.

Ce faisant, Il nous renvoie à un autre épisode fondamental de l’évangile et de Sa vie qui est l’Annonciation : « Tu vas enfanter,… Il sera grand,… Il sera appelé le Fils du Très-Haut. » On peut donc dire que, d’une certaine manière, en disant « Celui qui veut devenir grand… » Jésus se réfère au mystère de Noël.

Donc Jésus nous parle de l’Amour en le référant au Père et à Lui-même, comme Il le fit dimanche dernier avec le jeune homme riche quand Il avait dit : « Dieu seul est bon ! »

« Celui qui veut être le premier… »

Et Jésus insiste à travers Marc : « Celui qui veut être le premier… » Là ce n’est plus une référence au mystère de Noël mais toujours une référence à Jésus-Christ à travers le mystère pascal. Saint Paul nous dit qu’ « Il est premier-né d’entre les morts. » Ainsi « celui qui veut être le premier » devra se conformer à Jésus Premier-né d’entre les morts…

Donc qu’est-ce que c’est que l’amour ? La référence à Dieu. Il ne s’agit pas de philanthropie, il s’agit de charité, il s’agit d’amour théologal. Il s’agit vraiment de cette grâce d’Amour que Dieu se propose de nous donner et qu’Il va manifester en Jésus-Christ du début de Sa vie, (mystère de Noël, mystère de l’Incarnation), à la fin de Sa présence terrestre, historique plus exactement, qui est le mystère de Sa Résurrection, mystère du Premier-né d’entre les morts !

Et que va nous dire Jésus sur cet amour ?

Il va nous dire : il faut servir ! « Qu’il soit le serviteur, qu’il soit l’esclave… » Cela nous rappelle l’hymne aux Philippiens de saint Paul : « Ayez en vous les sentiments qui furent dans le Christ-Jésus lui qui de condition divine s’est dépouillé pour être l’esclave. »

Donc Jésus parle de ce qu’Il connaît ! Il parle au nom du Père qui L’envoie afin qu’Il expérimente devant nous l’Amour de Dieu, ceci pour que nous sachions comment est cet Amour.

« Qu’il soit le serviteur… »

Qu’est-ce que veut dire être serviteur, être esclave ? Cela veut dire se mettre à la disposition totale de l’autre. Et ce qui est important ici c’est le terme ‘total’. Nous avons dans notre vie de chrétien, une intention, une volonté de nous mettre à la disposition de nos frères. Mais cette mise à la disposition, nous la limitons dans le temps pour ne pas être quand même trop dérangés… Nous la limitons dans le montant de l’argent ou de ce que nous pouvons donner. Bref nous la limitons par toutes nos catégories qui essayent de mettre autour de notre personne quatre piquets et puis un fil de fer barbelé…

Etre serviteur c’est se mettre à la disposition totale. Et ce total se traduit par : ‘devenir l’autre’. Se mettre à la disposition totale de quelqu’un jusqu’à devenir ce quelqu’un. Pour qu’il n’y ait plus de distance, mais au contraire pour qu’il y ait communion et immédiateté de service.

Donc être serviteur c’est se mettre à la disposition totale jusqu’à devenir l’autre -c’est-à-dire à se dépouiller de ce petit pré carré dans lequel nous avons planté notre tente- pour se mettre en l’autre.

C’est ce que Jésus a fait dans le mystère de l’Incarnation : il s’est fait autre, il s’est fait homme.

« Servir sa gloire sans partage. »

Mais dans quel but servir ? Il faut savoir quelle est la finalité de nos actes pour pouvoir les orienter de manière ajustée.

Vers quoi marchons-nous ? De quel dépouillement s’agit-il ? Me mettre au service de quelqu’un, me mettre à sa place, pourquoi ? Dans la Collecte nous avons demandé d’aimer comme Dieu aime, donc d’aimer les autres, d’aimer les êtres comme Dieu les aime. Mais en même temps de « servir sa gloire sans partage. »

C’est dire que ces deux demandes, ces deux réalités, sont inséparables : à la fois le service de l’autre et le service de la gloire de Dieu.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela signifie que la gloire de Dieu est bien entendu orientée vers le don de la vie, vers le don de soi pour servir l’autre. Nous en avons deux exemples.

L’exemple du mystère trinitaire où le Père n’existe que parce qu’Il engendre Son Fils et où le Fils n’existe que parce qu’Il est engendré par le Père. Il y a don de la paternité et retour de la filiation.

Et ce dépouillement de soi à l’intérieur de la Trinité nous n’aurions pas pu le connaître si le Christ n’était pas venu non seulement nous en parler, mais le vivre devant nous ! Le Christ est effectivement venu donner Sa vie. La gloire de Dieu c’est ce don de la vie, ce don de la vie de Dieu à travers Jésus-Christ.

« Vers mon Père et votre Père. »

Le deuxième élément dans cette relation entre le service de l’autre et la gloire de Dieu, c’est que le service de l’autre doit être orienté vers la gloire de Dieu c’est-à-dire vers la plénitude de Son Etre, vers Sa Joie, vers Sa Communion.

Dieu est Père, Dieu est Fils : Ils sont pour être en communion. Non par ennui mais par amour ; et le résultat de cette communion, c’est la personne de l’Esprit. Donc la gloire de Dieu c’est cette communion, cette vie bienheureuse de la Trinité, cet Amour ineffable, ce mouvement infini du Père vers le Fils, du Fils vers le Père dans l’Esprit, mouvement que le Père cherche à déployer sur toute la création et dans lequel Il souhaite faire entrer l’homme, Son enfant, avec l’Incarnation de Son Fils bien-aimé !

Et là encore le Christ est venu pour créer, pour orienter Son service, Son dépouillement vers la communion avec Son Père, « vers mon Père et votre Père. »

« La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent » dira-t-Il à Ses disciples peu de temps avant de mourir c’est-à-dire, suivant le sens profond du mot ‘co-naître’ qu’ils naissent à Toi, le Père Dieu vivant et vrai. Donc le service de Jésus, (cette kénose diraient les théologiens), le dépouillement de Jésus est orienté vers la gloire de Dieu, vers cette communion de l’homme à Dieu, vers cette relation qu’Il restructure, je dirais même qu’Il recrée entre l’homme et Dieu, Lui qui est parfaitement homme et parfaitement Dieu.

C’est pour cela qu’Il est, comme le rappelle la lecture des Hébreux que nous venons d’entendre, Grand Prêtre faisant le lien entre deux mondes, le monde du ciel et le monde de la terre. Et cette finalisation du service vers l’union de l’homme à Dieu que l’on appelle la Rédemption, elle est absolument présente dans l’enseignement de cet évangile.

« Celui qui veut être le plus grand qu’il soit le dernier. »

Luc l’écrira avec une connotation qui lui est particulière, faisant dire à Jésus : « Celui qui veut être le plus grand qu’il soit le dernier. » C’est une référence à ce dernier esclave dont Jésus va prendre non pas seulement le rôle mais l’être même lors de la dernière Cène quand Il lavera les pieds de Ses apôtres. C’est en effet une des fonctions qui était attribuée au dernier esclave de la maison romaine.

Notre évangile de ce dimanche donne une autre référence à la Cène, à la communion eucharistique, au Mystère pascal : « Je suis venu non pas pour être servi mais pour servir et donner ma vie en rançon pour la multitude. » Il anticipe ce qu’Il dira lors de l’institution eucharistique : « Voici mon sang versé pour vous et pour la multitude », le mot ‘multitude’ traduisant le poloï grec c’est à dire ‘l’innombrable.’

Cela rappelle la caractéristique de la bénédiction divine lorsque Dieu dit à Abraham : « Ta génération, ta descendance sera innombrable comme les étoiles du ciel ou les grains de sable au bord de la mer… »

C’est pour cette multitude, pour ces hommes innombrables qui vont venir à l’existence, que Jésus offre Sa vie « en rémission des péchés. »

« Le grand prêtre capable de partager nos faiblesses. »

Nous voyons que le service de Jésus, ce dépouillement, cet amour qu’Il apprend à Ses apôtres à propos de cet épisode apparemment secondaire sur la jalousie entre Jacques, Jean et les dix autres, cet amour qu’Il essaye d’inculquer à Ses disciples, qui est l’Amour de Dieu et qu’Il nous demande de demander à Dieu, il est en finalité, référé parfaitement au Mystère pascal.

Nous dépassons, de manière transcendante, la philanthropie, l’action sociale dont nous avons pourtant tant besoin dans nos pays. Il ne s’agit pas de rayer d’un coup de plume l’O.N.U., l’O.M.S., le B.I.T. et tous ces sigles de plus en plus barbares qui envahissent nos écrans de télévision, pour exprimer un souci toujours plus grand de l’humanité, non !

Jésus se place à un autre niveau. Il s’agit de rédemption, il s’agit de réunion de l’homme à Dieu. Et c’est dans ce sens là que Jésus vient se dépouiller, vient devenir un autre, vient devenir un homme pour prendre sur Lui tout le poids de l’homme qui empêche cette réunion.

Ce poids, c’est le poids de sa souffrance, le poids de son péché, tout ce qui empêche l’homme de rejoindre son Père. Et nous retrouvons le thème de l’épître aux Hébreux : « le grand prêtre capable de partager nos faiblesses » pour nous réunir à Son Père.

« Je suis au milieu de vous. »

C’est par amour, par service que le Christ s’est fait solidaire des hommes.

A quel point ? Il le dit d’ailleurs dans ce passage : « Je suis, -c’est-à-dire Dieu-, au milieu de vous » c’est-à-dire les hommes. Tout le mystère de l’Incarnation, cette médiation unique dont parlera saint Paul à Timothée (« un médiateur unique entre Dieu et les hommes ») est présent dans cette phrase « Je suis au milieu de vous. »

A tel point Il devient autre, à tel point Il nous prend sur Lui, à tel point Il se fait homme que tout ce qui nous appartient, c’est-à-dire le péché, vient à Lui et tout ce qui Lui appartient c’est-à-dire la grâce de la Rédemption vient en nous. Péguy disait que « Dieu a été de l’homme. »

Et ce qu’Il demande à Ses apôtres en dépassant infiniment la petite querelle des places, c’est de poursuivre cette solidarité avec l’homme, cette solidarité qui consiste à prendre sur soi la misère, la peine de l’autre, comme Il le fit Lui-même : « Venez à moi vous tous qui peinez et je vous soulagerai. »

Ça passe bien entendu par le pain, par le toit, par les vêtements, par tout ce que fait le Secours Catholique, Saint Vincent de Paul et tous les organismes. Mais ça le dépasse infiniment puisque le véritable poids qui pèse sur l’épaule de l’homme c’est le péché c’est-à-dire cette tristesse, cet éloignement de Dieu, cet aveuglement.

L’Eglise, lieu d’accomplissement de l’union entre l’homme et Dieu.

Donc Jésus nous invite à prendre aussi sur nous, nous les chrétiens, nous Son Eglise, ce poids de nos frères sur nos épaules. C’est ce qu’on appelle la participation à la Rédemption. Il faut que l’Eglise devienne -comme disait un mystique oriental- le lieu d’accomplissement de l’union entre l’homme et Dieu.

Il faut que nous ayons cette conscience de notre responsabilité de co-rédempteurs avec le Christ et à la suite de la Vierge Marie.

Et l’on peut dire que les poèmes du Serviteur Souffrant dont nous venons d’écouter une péricope dans la première lecture n’annoncent pas seulement le Christ, ils annoncent aussi l’Eglise. S’ils annoncent la Tête, ils annoncent aussi le Corps. C’est à nous aussi que ces versets d’Isaïe sont envoyés.

C’est à nous aussi d’être le serviteur, celui qui devient autre, qui prend sur lui la misère non seulement sociologique mais la misère profonde, la misère de solitude, la misère morale, la misère de cette humanité en recherche…

Prendre sur nous ces misères, dans la prière, dans l’écoute, dans le sacrifice, c’est cela l’amour, l’Amour divin ; c’est cela que Jésus demande à Ses apôtres de vivre, c’est cela qu’Il nous demande. Et Il nous le demande car Il nous a donné à jamais la possibilité de le faire par la force de Son Esprit d’Amour dont nous sommes le temple, comme dit saint Paul.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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