Le 22 décembre : O Rex gentium

O Rex géntium et desiderátus eárum, lapísque anguláris, qui facis útraque unum: veni et salva hóminem, quem de limo formásti.

O Roi des nations, objet de leurs désirs, pierre d’angle qui réunis les deux peuples, viens sauver l’homme que tu as formé du limon (de la terre).

Commentaire

«Oracle de Yahvé… Courage, tout le peuple du pays! Ne craignez pas! Car ainsi parle Yahvé Sabaoth: Encore un très court délai et j’ébranlerai le ciel et la terre, la mer et le sol ferme. J’ébranlerai toutes les nations, alors viendra le Désiré de toutes les nations – veniet desideratus cunctis gentibus – et j’emplirai de gloire ce temple, dit Yahvé Sabaoth.»

Dans la paix joyeuse de ce 22 décembre comment se troubler à l’annonce d’un ébranlement fût-il mondial, fût-il cosmique: Il vient, le désiré de toutes les nations, qu’Il vienne!

O Roi pacifique, Roi plein de sagesse, toi dont le visage est pour toute la terre objet de désir, viens et sauve l’homme qu’au paradis tu façonnas de tes mains. Ce Messie que nous invoquons est Roi et aussi Créateur. C’est de lui que nous tenons le souffle de vie qu’il insuffla

dans notre forme humaine pétrie de la terre. En effet, «le premier homme modelé, Adam… fut modelé par la Main de Dieu, c’est à dire par le Verbe de Dieu, précise saint Irénée, car tout a été fait par son entremise.» A présent, cette même Main de Dieu, le «Verbe Artisan», vient rechercher sa brebis perdue.

Au moment où l’Eternel va revêtir cette forme d’homme pour venir habiter parmi nous, la liturgie nous fait dire  : O Rex. Comment ne pas penser à ce cri dérisoire, douloureux, de la foule au matin du jugement lorsque Pilate lui présente Jésus: «Voici votre Roi», et qu’elle répond: «Nous n’avons pas d’autre roi que César.»

Du reste l’allusion à la Croix n’est pas absente de cette antienne comme déjà dans l’antienne O Radix Jesse. Le thème de la pierre angulaire rejetée par les bâtisseurs y fait penser et aussi cette mystérieuse expression: qui facis utraque unum – « qui fais l’unité des deux ». C’est une citation de la lettre de saint Paul aux Ephésiens dont il faut relire le passage pour bien comprendre l’idée:

«Car c’est lui – le Christ Jésus – qui est notre paix, lui qui des deux peuples (les juifs et les païens) n’en a fait qu’un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine, pour créer en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau, faire la paix et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la croix : en sa personne il a tué la haine.»

Le voici qui vient, Homme Nouveau, sous les traits d’un nourrisson pour nous enseigner à redevenir enfants, pâte malléable dans la Main de ce Dieu tendrement Créateur, et non vengeur. Dans l’amour il nous a créés, dans un amour incommensurable il vient nous racheter. En cette Grande O, il est particulièrement émouvant de rappeler le moment solennel de la Genèse où Dieu prenant de la glaise du sol modela l’homme.

Dans son beau sermon de la Vigile de Noël sur le Répons O Juda et Jerusalem, saint Bernard évoque ce jour d’Adam devenu jour de péché au point que Jérémie s’exclamera: «Maudit ce jour où je suis né!» Cri de l’humanité blessée. «Ah! qu’il périsse pour nous ce jour de brouillard et d’obscurité, poursuit saint Bernard, jour de ténèbres et de

tempêtes que nous a légué Adam entraîné par l’ennemi: alors vos yeux s’ouvriront! Mais voici que brille le jour de notre rédemption, jour d’une antique réparation, jour de félicité éternelle. Aussi, ne craignez pas, demain vous sortirez de l’abîme de misère, et de cette boue, car pour nous en tirer, le Seigneur lui-même s’est enfoncé dans la profondeur du limon.» Par cette citation d’un psaume de souffrance, saint Bernard nous fait saisir tout ce que peut contenir de perspectives ce simple terme limo, le limon de la terre: c’est le drame de la précarité de la condition humaine qui y est contenu, mais de ce drame Dieu fait surgir les sources du salut.

Le Christ fait homme va devenir la pierre d’angle de toute la construction, «pierre de granit, pierre angulaire, précieuse et celui qui s’y fie ne sera pas ébranlé.»

Qu’Il vienne, ce roi puissant, invincible

lui, le désiré des collines éternelles

refuge d’âge en âge pour l’homme

qui sur la terre passe comme un souffle.