Don Martin, en mission à Taïwan

Jeudi 27 janvier 2022

Après avoir été détaché auprès de la Congrégation pour le clergé à Rome, don Martin est missionnaire à Taïwan depuis 2013. De passage en France, il témoigne de cette mission particulière au service de l’Eglise universelle.

Des montagnes à Taïwan

En quoi consiste votre mission ?

La proposition que m’avait soumise le modérateur en 2011 était de répondre à l’invitation de l’évêque de Taichung de s’insérer dans le corps professoral de l’une des 36 universités de l’ile, l’université de Providence. Elle appartient au diocèse, avec plus de 12 000 élèves dont 2 000 internationaux, et est à l’image de la société, c’est-à-dire très avec peu de chrétiens. Les étudiants et professeurs sont bienveillants mais très indifférents aux questions de la foi. Ils sont par contre assez facilement émoustillés par le contact avec des étrangers.

En 2013, je suis donc allé apprendre le chinois au Foyer de charité de Taipei, ce qui fait que je n’ai pu atteindre le but de ma mission – vivre et enseigner dans l’université de Taichung plus au sud – qu’un an et demi, avant d’y être accidenté. De retour en France, cette mission est aujourd’hui à reconstruire. Pour commencer, je vais retourner comme membre du foyer qui m’accueille et qui possède plus ou moins les mêmes besoins d’apostolat : une paroisse de 200.000 habitants, une université, un hôpital… nous ne sommes pas trop de deux ! Ensuite il s’agit de se refaire une place dans l’Eglise et la société de Taiwan, pour faciliter l’implantation de confrères de la communauté qui viendraient vérifier l’authenticité de leur vocation missionnaire.

Il n’est pas habituel d’avoir des « missionnaires » (au sens de partir à l’autre bout du monde) au sein de la CSM… D’où vient cet appel ? 

L’Abbé Guérin, notre fondateur, le répétait à propos de tous les groupements ecclésiaux : il faut être d’Eglise, il ne faut pas vouloir être l’Eglise. C’est vrai pour la Communauté Saint-Martin, elle ne peut pas tout faire, mais il faut qu’elle se serve de tous les moyens d’Eglise disponibles pour accomplir sa mission. Or la mission qui lui a été donnée est très claire : c’est la formation des prêtres, à laquelle même les laïcs peuvent contribuer. Et dans une formation d’Eglise, la dimension missionnaire doit être présente. Cela ne nous autorise pas à envoyer des membres au bout du monde, mais si des portes s’ouvrent dans un territoire de première évangélisation, et si quelqu’un en a la capacité et le désir, le Concile nous dit qu’on est alors en présence d’une vocation divine et que tout doit être mis en œuvre pour la soutenir.

En rédigeant les statuts de la communauté, j’ai beaucoup discuté avec Monsieur l’Abbé de la façon d’intégrer cette dimension, et il disait que ce n’était pas urgent, qu’il ne fallait pas se forcer en la matière, que cela se ferait naturellement quand nous prendrions de la maturité. J’espère que ces temps sont accomplis et pouvoir ainsi apporter ma contribution. Tout prêtre est ordonné pour l’Eglise universelle, et il y a différentes manières de réaliser cette dimension. Tout prêtre n’est pas appelé à partir au loin, mais si un membre a un désir en la matière, « entre comme tu le pourras dans cette vocation » dirait sainte Thérèse. Notre travail de formation doit d’abord susciter des disponibilités, et ensuite donner la possibilité de vérifier que cette vocation missionnaire est corroborée par une capacité physique et intellectuelle. J’espère que ma présence là-bas facilitera la maturation de la vocation chez d’autres ! En 35 ans de ministère j’ai reçu beaucoup de joies, mais celles reçues depuis les 8 ans de mon départ en mission à Taïwan sont de loin les plus belles, je peux seulement souhaiter de pouvoir les partager un jour avec d’autres !

Quelle est la situation de l’Eglise là-bas et quels sont en particulier ses enjeux actuels et à venir ?

A Taiwan l’Eglise commence tout juste, et reste une toute petite minorité : moins de 1% des 23,6 millions d’habitants. Ce qui a des conséquences que nous avons du mal à imaginer : la plupart des habitants n’auront pas l’occasion de rencontrer un catholique de leur vie. Alors qu’ici une musulmane baptisée me disait que pour elle la question s’était posée spontanément, qu’en France tout parlait de Jésus, là-bas ce n’est pas le cas, il n’y a aucun intermédiaire pour permettre la grande rencontre. Ce n’est qu’à travers les films américains qu’ils peuvent vaguement croiser des éléments de culture chrétienne : c’est ainsi que des étudiants, un jour où j’avais oublié de faire mon signe de croix avant le repas à l’université, m’ont demandé quelle était ma religion, parce que ils avaient retenu que les chrétiens priaient avant de manger et étaient contre l’avortement. Ce qui n’est pas faux, mais qui n’est pas encore la rencontre avec Jésus !

Face à la diversité ethnique qui compose la société taïwanaise et aux enjeux politiques, quel rôle joue l’Eglise ?

Ethniquement parlant, seize nations aborigènes sont présentes à Taiwan, mais ne représentent que 2,3% de la population. Ils ont été évangélisés avant l’arrivée des Hans de culture chinoise et sont presque tous chrétiens, catholiques ou presbytériens, mais malgré les efforts remarquables de Taiwan pour respecter et intégrer les minorités, cela reste des marginaux. Or la moitié des catholiques et 15 des 16 séminaristes proviennent d’entre eux, ce qui contribue à donner de l’Eglise l’idée d’une religion étrangère au reste de la population. Le monde chinois reste pour l’instant très peu pénétré par l’Eglise, et c’est le grand défi. Pour ceux qui sont touchés par la grâce, c’est une joie extraordinaire, de découvrir que Jésus leur permet de garder leur identité chinoise tout en devenant fils de Dieu, mais il faut qu’ils aient l’occasion de rencontrer l’Eglise. Cela passe parfois par les œuvres sociales : l’Eglise est très bien vue parce qu’elle a beaucoup aidé la population lors de l’exode de 1949, qu’elle a construit les premiers jardins d’enfant, des hôpitaux, des écoles, qu’elle s’occupe des marginaux, des lépreux. Elle a bonne réputation, mais demeure presque invisible.