Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« QU’EN ME REGARDANT, CE NE SOIT PAS MOI QU’ON VOIT, MAIS TOI EN MOI. »

Lectio divina pour le 5ème Dimanche Ordinaire Année C
Is. 6,1-8 1Co. 15, 1-11 Lc 5, 1-11.

Plusieurs petits détails peuvent nous interpeller dans les lectures du 5ème dimanche. Tout d’abord, pourquoi Dieu a-t-Il besoin des hommes pour se dire aux hommes ? Ensuite, Isaïe n’est-il pas un peu prétentieux lorsqu’il répond : « Moi » à la demande que Dieu lui fait : « Qui enverrai-je pour me révéler ? Qui sera mon messager ? ». Troisième détail intéressant notre sens de l’Eglise : ce ne sont pas les apôtres qui vont constituer la suite de Jésus. Jésus, avant même d’appeler les quatre premiers disciples, est suivi par une foule immense… L’Église ne se constitue pas par Pierre. Elle est bien constituée par Jésus. De même que, voyant la foule affamée, sans pasteur, Jésus a multiplié les pains, de même voyant la foule qui Le presse pour entendre Sa Parole, Il monte dans une barque, s’éloigne du rivage, enseigne et appelle près de Lui les quatre premiers apôtres. Autant de questions sur lesquelles il est bon de réfléchir…

Prenons par exemple la première : pourquoi Dieu a-t-Il besoin des hommes pour parler aux hommes ?

« Intimior intimo meo »

Dieu est, comme le rappelle Isaïe, partout dans le monde : Son manteau (c’est-à-dire le signe de Sa personne, de Sa puissance) est étendu dans tout le temple (qui signifie l’univers). C’est vrai, Dieu est immanent au monde. Il l’est en chacun d’entre nous ; « Il est plus intime à moi-même, que je ne le suis moi-même » disait Saint Augustin. Pourquoi donc Dieu a-t-Il besoin d’un instrument, d’un porte-voix, d’un porte-parole pour nous dire des choses, s’Il est au fond de notre cœur ?

Parce que si Dieu est immanent, Dieu n’en reste pas moins le « Tout-Autre. » Revenons à la vision d’Isaïe : « Saint, saint, saint… » La triple répétition signifie la plénitude, Dieu, Yahvé, est le Saint, Celui qui est Tout-Autre, celui qui est Séparé, l’Inatteignable ou comme le disent les mystiques : l’Inconnaissable. Dieu est Celui que l’homme, appartenant au monde de la créature, et surtout au monde du péché, ne peut pas atteindre, ne peut pas connaître.

Il va donc falloir un pont, un lien, un « religieux » qui rassemble le monde de Dieu et le monde de l’homme pour qu’effectivement Dieu puisse Se dire à l’homme et pour que l’homme puisse comprendre cette Parole.

« Dieu est Amour. »

Nous savons que dans le monde spirituel dans lequel nous évoluons, nous les hommes, ce qui réunit les êtres, c’est le sentiment, au sens profond du mot : l’amour c’est-à-dire cette tension vers l’autre, ce mouvement spirituel qui me fait aller vers l’autre, et qui fait que l’autre vient à moi.

Il faut donc qu’il y ait un amour qui réunisse le monde de Dieu et le monde de l’homme. Et il faut que cet amour, bien entendu, surgisse des deux parties. Il doit surgir du monde de Dieu et il doit surgir de la terre, de la pâte humaine. Il faut que cela soit un Amour divin, revêtu de l’humanité. Et puisque Dieu est l’Amour, il faut que cela soit Dieu fait homme !

« Il y a un seul Dieu et aussi un seul médiateur, Jésus-Christ… »

Le Christ, dira Saint Paul est véritablement l’Unique Médiateur parce que dans Sa personne, Il a deux natures. Il appartient parfaitement à deux mondes. Il est comme disent les théologiens, consubstantiel à Son Père dans Sa nature divine, et consubstantiel à l’homme dans Sa nature humaine.

Et Il est donc, par cette configuration toute particulière, le seul apte à réunir dans l’Amour le monde de Dieu et le monde de l’homme. Jésus, est le médiateur unique entre Dieu et l’homme par Son mystère d’Incarnation et de mort, dans l’Amour, pour l’Amour. Pour l’Amour de Dieu, pour l’Amour de Son Père, dont Il a également aimé les hommes : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. »

Jésus, le Christ, est Celui qui est envoyé par Dieu pour révéler Dieu, pour réunir le monde de Dieu et le monde de l’humanité. Jésus dira : « La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi, le Dieu véritable, et celui que tu as envoyé » justement pour Te dire, pour Te révéler : Ton Fils Jésus qui ne fait qu’un avec Toi.

« Et le Verbe s’est fait chair… »

Jésus est un prophète. Il n’est pas qu’un prophète, mais Il est avant tout un prophète, envoyé par Dieu comme porte-parole de ce Dieu-Parole, Yahvé : Celui qui Se dit, et Celui dit les Paroles de Vie, (ce que l’on appelle les Commandements).

Il est envoyé par Dieu aux hommes pour dire aux hommes la Parole de Dieu, préfiguré qu’Il a été par les prophètes, (dont Isaïe est un échantillon particulièrement important dans le monde de l’Ancien Testament). Tous, sont des hommes porte-parole de la Parole de Dieu : « Après avoir parlé maintes et maintes fois par les prophètes, Dieu envoya son Fils, resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance », pour nous dire ce qu’Il est, commence ainsi l’épître aux Hébreux.

Jésus est prophète et Il est le Prophète, Celui qui est prédit par Moïse, dès l’Exode. Il est le prophète parce qu’Il est Celui qui révèle parfaitement Dieu. Il est le Verbe, Il est Lui-même la Parole qu’Il doit dire, vivant dans le sein du Père, nous dit Saint Jean, donc capable de nous révéler parfaitement le mystère de Son Père : « Qui me voit, voit le Père »…, « Je ne dis que ce que je vois chez mon Père… »

« Commencement de l’Évangile-Jésus Christ Fils de Dieu »

Le message de Jésus, est donc essentiellement conforme au message de ceux qui L’ont précédé : Saint Paul insiste dans l’épître : « Conformément aux Écritures ! » Et en même temps, le message est essentiellement différent parce qu’Il n’annonce pas quelqu’un, « Celui qui doit venir » comme dira Jean. Il n’annonce pas la Parole d’un autre. Il s’annonce ! Il est porte-parole de Lui-même !

C’est lui l’Évangile, dira Marc au début de son évangile en employant une forme grammaticale très significative : « Commencement de l’Évangile-Jésus Christ Fils de Dieu. » Commencement de l’Évangile-Jésus Christ : car c’est Lui la Bonne Nouvelle ! Voilà comment il faudrait traduire, et non pas l’Évangile « de » Jésus-Christ.

D’ailleurs, Saint Paul, nous dit dans son épître que le noyau essentiel de la prédication apostolique, c’est la vie et la mort de Jésus, conformément aux Écritures. Il n’y a rien d’autre. C’est pourquoi, il dira ailleurs : « Je ne veux rien savoir d’autre que Jésus (vivant) et Jésus crucifié (et Jésus ressuscité). »

« Aujourd’hui s’accomplit cette Parole… »

Voilà la différence essentielle qu’il y a entre Jean Baptiste et Jésus.  « Aujourd’hui, avons-nous vu dimanche dernier, s’accomplit cette Parole » Oui, l’Esprit Saint est sur Moi, et j’ai été consacré pour envoyer la Bonne Nouvelle, c’est-à-dire, Moi-même, aux pauvres… Dieu-Parole s’est fait chair dans Sa Parole pour que Sa Parole nous dise le mystère de Dieu.

Et Jésus, toujours conformément aux Écritures, s’insère dans ce cycle de la révélation de Dieu, à la fois dans une continuité merveilleuse et dans une nouveauté fondamentale. Il s’inscrit à la suite d’Isaïe, de Jérémie, de Jean Baptiste.

« Par Son Fils, Dieu nous a tout dit… »

Par Son Fils, dira Jean de la Croix, qui est Son Tout, Dieu nous a tout dit. Et pourtant, de même que Dieu avait besoin d’Isaïe et de Jérémie, pour Se dire jusqu’au moment où Il envoie Son Fils (comme dans la parabole des vignerons homicides) afin de révéler parfaitement aux hommes Son mystère, de même Jésus va avoir besoin de prolonger cette mission, de continuer cette transmission, de développer cette tradition jusqu’à la fin des temps par les apôtres.

Il y a une foule qui Le suit, et Jésus ne suffit pas à cette foule. Aujourd’hui, Jésus n’est pas visiblement là : il y a des prêtres, il y a des évêques, il y a un Souverain Pontife… Il y a les prédicateurs, il y a des apôtres… Car Jésus, conformément aux Écritures, poursuit ce mouvement de la transmission : Il va confier à des hommes, Il va confier à Pierre, comme Dieu avait confié à Isaïe, cet office merveilleux de transmettre la Parole de Dieu, qui n’est plus seulement Yahvé, mais qui est Dieu révélé comme notre Père.

« Les disciples reçurent le nom de chrétiens… »

Pierre ne s’appellera plus un prophète, il s’appellera du nom de Celui qui a accompli les prophéties et qui a accompli le prophétisme : le Christ. Il s’appellera donc un chrétien.

En tant que baptisés nous sommes apôtres, au même titre que Pierre, Paul, Jacques, Jean, André… Nous sommes surtout comme eux, des chrétiens. Nous sommes la continuation prophétique du Prophète par excellence : le Verbe. « Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu… Et Il est venu parmi nous… Et lui qui était dans le sein du Père, Il nous l’a fait connaître. »

« Eloigne-toi de moi, Seigneur, je ne suis qu’un pécheur… »

Il va y avoir une continuité entre la mission d’Isaïe et celle de Pierre car ces missions sont à la fois semblables et dissemblables, comme le fut celle de Jésus. Continuité d’abord dans la dissonance entre l’Envoyeur et Son Message et l’envoyé. Isaïe dit à Yahvé : « Mais je suis pécheur ! Et l’ange vient lui brûler les lèvres pour purifier sa parole. » De même Pierre : « Eloigne-toi de moi, Seigneur, je ne suis qu’un pécheur… »

Jésus reprend exactement le plan de Son Père pour amener jusqu’à la fin des temps la révélation de ce Père. Et pourquoi ? Pourquoi Pierre après Isaïe ou David le pécheur ?

Est-ce malgré le péché de ces hommes que Dieu, ne pouvant trouver personne d’autre, se résout finalement à prendre le pêcheur de Galilée ? N’aurait-Il pas pu prendre Jean ? Jean le théologien, Jean le visionnaire, Jean le vierge… Mieux encore, Il aurait pu prendre Marie l’Immaculée… Non, il prend Pierre !

Comme Son Père avait pris Isaïe. Pas malgré, mais par nécessité, afin que nul homme ne se glorifie de sa puissance, afin que voyant les faiblesses de celui qui annonce, la gloire ne revienne pas à lui mais à Dieu seul !

« Afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant Dieu… »

Pour que soit manifestée dans mes faiblesses, dira Paul, la puissance de Dieu : « Je ne suis pas venu chez vous avec un discours sage »… Je ne sais pas parler, dit Paul, et peut-être bégayait-il… En tout cas, Pierre, pour sûr, ne savait pas trop parler… Il n’était pas fait pour faire des discours, et c’est pourtant lui que Jésus va choisir.

Non seulement, Jésus ne lui dit pas : éloigne-toi de Moi, car effectivement, tu n’es qu’un pauvre pécheur ! Mais Il lui dit : oui, tu es pauvre, et Je vais te faire pêcheur d’hommes de manière à ce que le mystère de Mon Père soit révélé en plénitude, à travers ta pauvreté ! Que l’on ne croit pas parce que tu es intelligent, riche, romain ou grec, polytechnicien ou énarque, mais parce qu’en toi, il y a Quelqu’un qui habite, il y a le mystère de Dieu qui se voit et qui se révèle !

« La puissance se déploie dans la faiblesse… »

Le chrétien qui est apôtre est un homme pauvre, pauvre, pauvre… Humainement pauvre pour être maximalement porteur de la richesse divine !

Plus nous sommes pauvres, plus nous sommes crédibles. Ce qui fait passer le message, ce n’est pas le micro, c’est le cœur. Ce n’est pas l’argent, c’est la crédibilité de celui qui parle. Alors, nous tous, à la suite d’Isaïe, de Jérémie, à la suite de Pierre, nous devons savoir que nous sommes pauvres et que c’est justement à cause de cette pauvreté que Dieu nous a choisis, par le baptême, pour Le révéler à nos frères !

Il suffit pour cela que nous soyons habités par Jésus-Christ. Il suffit que nous soyons comme une crèche, vides, un creux prêt à se laisser envahir par Sa grâce. D’où la nécessité d’être pauvres, c’est-à-dire de ne pas être encombrés de richesses, intérieures comme extérieures : d’être vides tels la crèche de Bethléem pour que Jésus puisse habiter en nous et qu’en nous voyant, comme disait ce brave paysan d’Ars, on puisse dire : j’ai vu Dieu en lui, j’ai vu le Christ !

C’est ce qu’avait parfaitement compris Mère Térésa qui priait ainsi : « Qu’en me regardant, ce ne soit pas moi qu’on voit, mais Toi en moi. Demeure en moi. Ainsi je resplendirai de Ta splendeur et pourrai servir de lumière pour les autres. »

Nous ne devons pas faire de complexe en disant : je ne peux pas être apôtre, je suis pauvre, je ne suis pas intelligent, je suis pécheur…Tant mieux ! Cela ne veut pas dire qu’il faut pécher ! Mais tant mieux si nous sommes pécheurs, car ainsi nous comprendrons et pratiquerons mieux la miséricorde !

« Ne crains pas ! »

Comment voulez-vous que quelqu’un qui ne pèche pas puisse parler aux autres de la miséricorde de Dieu ? C’est le problème des pharisiens.

Si nous-mêmes avons expérimenté l’Amour de Dieu dans la miséricorde, dans le sacrement de la réconciliation, si nous avons expérimenté cette grandeur de Dieu qui vient habiter notre faiblesse, alors, nous sommes à même de Le faire comprendre aux autres.

« Ne crains pas » dit Jésus. Et Il nous le dit à chacun d’entre nous : ne craignez pas, Je vous ferai pêcheurs d’hommes.

Demandons cette grâce d’avoir l’humilité d’accepter la charge merveilleuse de pêcher notre prochain malgré notre propre péché…

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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