« Au septième jour Dieu se reposa de l’œuvre qu’il avait faite. » (Gn 2,2)
C’est la conclusion bien connue du premier récit de la Création. Ce septième jour est aussitôt béni et consacré par Dieu, de sorte que tous les hommes soient invités à le rejoindre en son repos ce jour-là – c’est l’objet du troisième des dix commandements. Attention toutefois, il s’agit de bien comprendre le repos dont il s’agit ! Au septième jour, Dieu s’est reposé de créer. De même, les hommes sont invités à s’abstenir de toute création de jour-là ; bien entendu, il s’agit des créations qui sont à leur portée. Finalement, toutes les règles prévues par la législation du sabbat se ramènent à ceci : ne rien faire surgir de nouveau. Aucune nouveauté ne doit jaillir ce jour où Dieu s’est abstenu de créer. Qu’il s’agisse de cuisiner, de faire du feu ou simplement d’appuyer sur un interrupteur, il ne faut rien susciter de neuf.
La question du sabbat n’est pas motivée par un simple mimétisme. Plus profondément, du côté des hommes, la tension qui se dessine entre le jour « extraordinaire » et les autres jours « ordinaires » renvoie à une autre tension : celle qui oppose progression et jouissance – au sens noble du terme. Le sabbat est par définition ce jour où le progrès cesse : on se retrouve donc face à ce qui est accompli, à disposition, et dont on peut jouir pour être heureux. Si l’insatisfaction est le moteur naturel de toute progression, il faut l’oublier ce jour-là. En effet, cet espace de non-progression ouvre une fenêtre de jouissance où l’on peut se rappeler que, pour être heureux, il s’agit moins de faire que d’être. Sans aucun doute, la mise à distance de nos insatisfactions a déjà quelque chose de libérateur en soi.
Il y a une différence fondamentale entre le dimanche des chrétiens et le sabbat des Juifs. En réalité, le point d’aboutissement du sabbat n’est pas le dimanche, jour de la résurrection, mais le samedi saint. Ce dernier est à proprement parler le jour où le Seigneur – le Christ – se reposa de toute l’œuvre qu’il avait faite : jour de repos et de silence ; jour dont aucune nouveauté n’est à attendre. C’est le rapprochement que la liturgie nous invite à faire quand nous lisons l’épitre aux Hébreux à l’office des ténèbres de ce jour : « Car celui qui est entré dans son repos s’est reposé lui aussi de son travail, comme Dieu s’est reposé du sien. » (He 4, 10) Le jour des chrétiens, précisément, c’est le jour qui suit. Mais contrairement au sabbat, qui était jour où aucune nouveauté ne devait éclore, le jour du Seigneur est un jour où surgit le Nouveau par excellence. Le dimanche signe en effet l’irruption du divin dans la création. C’est le jour ou l’éternel se mêle à l’histoire, de sorte que tous les instants que nous vivons depuis puissent nous offrir, chacun, un point de fuite vers l’infini. C’est pour cela qu’en soi notre huitième jour ne finit jamais. Ainsi, contrairement au sabbat « extraordinaire » qui s’oppose aux autres jours « ordinaires », nous autres chrétiens avons un jour perpétuellement supplémentaire pour mieux nous rappeler que tous les jours sont extraordinaires.
Le sabbat et le dimanche se ressemblent néanmoins en un certain aspect. Ce sont deux jours où l’on n’attend rien des hommes. Si le dimanche célèbre une nouveauté, il célèbre celle qui vient de Dieu. Ainsi, pour les chrétiens, le dimanche n’est pas un jour où il ne faut rien espérer, au contraire ! C’est le jour par excellence où nous attendons que Dieu fasse irruption dans nos vies. D’ailleurs, la majeure partie des apparitions du ressuscité, d’après les Évangiles, a bien lieu le dimanche.
Ainsi, pour nous chrétiens, le dimanche fait moins mémoire du repos de Dieu que de son activité décisive. Dès lors, il s’agit moins de l’imiter dans son activité que, précisément, d’accueillir cette dernière et de la célébrer : c’est le sens de notre repos, et finalement de notre fête.