Saint Martin et le déménagement du séminaire

Don Paul PREAUX
Homélie prononcée lors des Assises 2015

Ce n’est une surprise pour personne, la Communauté saint Martin a pris la décision de déménager à Evron. Nous avons été sensibles pendant ces longs mois de réflexion et d’investigation aux signes réels de la Providence divine. Je vois en particulier dans ce déménagement trois signes à vivre plus profondément sur les traces de saint Martin, à vivre la spiritualité martinienne.

Evron est une terre monastique, une terre de vie intérieure. Selon la légende de l’Épine, Saint Hadouin, évêque du Mans, fonda le premier monastère au VIIe siècle qui devint un centre de pèlerinage et une abbaye bénédictine. Comment ne pas y voir une similitude avec Marmoutier où S. Martin vivait une vie intense de prière. Sulpice Sévère écrit qu’après son ordination épiscopale, Martin, « pendant quelque temps, logea dans une cellule attenante à l’église. Puis, comme il ne pouvait supporter le dérangement que lui causaient ses visiteurs, il aménagea pour lui une cellule de moine à deux milles environ en dehors de la cité. » Marmoutier est né alors… Oui, qu’en quittant le château de Candé pour l’abbaye d’Evron, S. Martin ait voulu nous préserver de la tentation qu’on appelle aujourd’hui l’activisme. Pour Martin, Marmoutier a été non seulement son havre de silence et de contemplation, mais le canalisateur de son zèle pastoral. Je vois dans ce retour à une terre monastique, non pas un retour à une vie « plus religieuse », rassurez-vous mes frères !, mais un appel à nous enraciner dans une vie contemplative plus profonde, à une vie intérieure à la suite du Christ qui « le jour prêchait, et priait la nuit ». Jésus a acquis ses disciples de Dieu. Nous ne pouvons pas gagner les hommes au Christ, par nous-mêmes, par nos méthodes pastorales. Nous devons les obtenir de Dieu. Toutes les méthodes sont vides sans le fondement de la prière. La Parole de l’annonce doit baigner dans une intense vie de prière. C’est là, et seulement là qu’elle trouve sa fécondité apostolique.

Evron est une terre de charité envers les pauvres. Les Sœurs de la Charité de Notre-Dame d’Evron sont issues d’une première Société de fille charitables fondée en 1682, par une femme généreuse et courageuse qui s’inscrivait dans le sillage de Saint Vincent de Paul, Perrine Thulard. Les femmes qu’elle rassembla alors désiraient donner leur vie « pour instruire et élever chrétiennement les jeunes filles confiées à leurs soins ». Et, après la classe, elles allaient « visiter les pauvres malades, et les assister pendant le cours de leurs maladies, en leur rendant les services dont elles étaient capables. » C’est cette société qui s’installa en 1803 dans l’abbaye d’Évron. Comment ne pas y voir un rappel saisissant de la charité exemplaire de saint Martin : charité du pauvre d’Amiens et de Tours, mais aussi charité du service de la vérité. Marmoutier a été un important centre d’évangélisation. A partir de ce lieu, Martin n’a cessé de donner ce dont les hommes ont tant besoin : la vérité de la foi. A partir de ce lieu, saint Martin a combattu le culte des idoles qui, semble-t-il, pullulaient dans la région. Ce culte devait être terriblement oppressant. Impossible, en effet, d’espérer comprendre un dieu irrationnel, impossible de compter sur la miséricorde d’un dieu sans cœur. Evron nous appelle tous à vivre l’urgence de la charité sous toutes ces formes. Dans sa lettre apostolique Au début du Nouvel millénaire, le Bhx Jean-Paul II écrivait : « Beaucoup de choses, même dans le nouveau siècle, seront nécessaires pour le cheminement historique de l’Église; mais si la charité (l’agapè), fait défaut, tout sera inutile… C’est l’heure d’une nouvelle « imagination de la charité », qui se déploierait non seulement à travers les secours prodigués avec efficacité, mais aussi dans la capacité de se faire proche, d’être solidaire de ceux qui souffrent, de manière que le geste d’aide soit ressenti non comme une aumône humiliante, mais comme un partage fraternel… Pour cela, nous devons faire en sorte que, dans toutes les communautés chrétiennes – et donc à la CSM !– , les pauvres se sentent « chez eux ». Ce style ne serait-il pas la présentation la plus grande et la plus efficace de la bonne nouvelle du Royaume? Sans cette forme d’évangélisation, accomplie au moyen de la charité et du témoignage de la pauvreté chrétienne, l’annonce de l’Évangile, qui demeure la première des charités, risque d’être incomprise ou de se noyer dans un flot de paroles auquel la société actuelle de la communication nous expose quotidiennement. La charité des œuvres donne une force incomparable à la charité des mots

Quitter Candé, comme à l’époque quitter Voltri, nous pousse au détachement.

Oui, nous devons accepter de perdre quelque chose, surtout de nous perdre nous-mêmes pour le Royaume. Ce déménagement est un appel dès maintenant, à nous bouger intérieurement, à nous convertir. Vivons comme Martin, la spiritualité de l’exode, lui qui fut un grand itinérant pour le Royaume.

Je souhaite vraiment que ce changement soit pour chacun de nous l’occasion d’une plus grande générosité vis-à-vis du Seigneur et d’un nouvel élan missionnaire. Nous ne déménageons pas pour nous installer plus confortablement, ni pour flatter notre goût du changement, mais pour être toujours mieux au service de l’Eglise.

Ce nouveau départ sera l’occasion d’un détachement, mais vivons-le comme un appel à entrer dans une spiritualité de la confiance et de la disponibilité totale à Celui qui nous conduit et dont la présence nous est assurée jusqu’à la fin des temps (Mt 28, 20).

Don Paul PREAUX
Homélie prononcée lors des Assises 2015