Homélie de don Paul Préaux

à l’occasion du Lectorat, le vendredi 15 mai 2020
Evangile : Jn 15, 12-17

Le 15 mai, 16 séminaristes de la Communauté Saint-Martin ont été « institués » au ministère du lectorat, l’une des dernières étapes vers l’ordination diaconale. 

« Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis pour que vous alliez et que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure»

Chers frères futurs lecteurs,

Le Seigneur vous a fait attendre cette année, car prévu initialement le 25 mars ces lectorats ont été reportés à aujourd’hui ! Pourquoi cette attente ? A cause de la pandémie et de ses conséquences, écriront les journalistes. Si notre regard en reste à la surface des choses, à l’événementiel, il ne voit que maladie contagieuse, inquiétude pour l’avenir, deuil inconsolable, injustice pour les plus démunis provoqué par ce désastre inédit.

Mais est-ce suffisant ? Ne peut-on pas y voir un signe de la Providence ? Dire d’un événement qu’il est providentiel, c’est non seulement le reconnaître inattendu, mais aussi, selon le contexte, y reconnaître l’action de Dieu, là où d’autres voient l’effet du hasard. La divine providence désigne en effet, « les dispositions par lesquelles Dieu conduit avec sagesse et amour toutes les créatures jusqu’à leur fin ultime » (CEC, 302), c’est-à-dire, pour les hommes, leur union à Dieu. Le Christ nous révèle que nos vies, nos personnes, ne sont pas soumises à un destin aveugle et capricieux, à la fatalité. Le Christ nous sauve de la fatalité. Lorsque Jésus nous parle de la divine Providence dans l’Évangile, il nous parle d’un Père tendre, aimant, qui voit avec dévouement chaque détail de notre vie, même le plus petit qui soit : Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux (Mt 10,29-31).

Mais attention, cette providence divine n’implique pas que nous restions inactifs ou passifs. Au contraire, nous appartenons au plan providentiel de Dieu, qui nous a confié l’univers et l’humanité.

Vous-mêmes, chers frères, vous avez vu dans cette attente imposée un signe de la providence de Dieu qui vous a permis de creuser davantage votre désir de devenir « lecteurs ». Être plus en vérité devant Dieu et l’Église. Ce sursis vous a rappelé que rien n’est mérité, ni automatique, mais qu’avec Dieu nous sommes toujours dans le registre de la gratuité et de l’abondance. « Ce n’est pas vous qui avez choisi Jésus, c’est lui qui vous a choisis, établis pour que vous alliez et que vous portiez beaucoup de fruit ».

Que le Seigneur puisse nous aider à voir – dans les événements de chaque jour – la divine Providence – la main secourable du Père – qui est la « raison de l’ordre » selon S. Thomas (Cf. Summa Theologica, I, 22, 3 ss.; 103, 1 ss.; Sap. 14, 3; Prov. 8; etc.), le reflet de la pensée de Dieu dans les choses et dans l’histoire. « Elle est la rationalité, sage et bonne, évidente ou cachée, dont tout le monde est imprégné » (Paul VI).

Chers frères, aujourd’hui vous allez recevoir le ministère du Lectorat. Vous voulez donner une plus grande place à la Parole de Dieu dans votre vie, y croire profondément (« car c’est portés par l’Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu » (II P 1, 21). Nous vous accompagnons de notre prière fervente : que vous soyez des hommes habités en abondance par la Parole de Dieu afin d’acquérir la pensée du Christ, les réflexes du Christ, l’amour du Christ pour son Père. Un jour vous serez des prédicateurs de la Parole. Vous serez la voix de la Parole. Cela présuppose une substantielle perte de soi dans le Christ, en participant à son mystère de mort et de résurrection avec tout votre être : intelligence, volonté et offrande de votre propre corps, comme un sacrifice vivant. Seule la participation au sacrifice du Christ, à son abaissement, rend l’annonce authentique. Cette prédication de la parole, pour être vraie et juste se doit d’aller jusqu’au bout de l’amour qu’elle annonce : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Laissez-vous imprégner par la Parole de Dieu, le Verbe fait chair. Qu’elle devienne votre nourriture quotidienne, votre respiration continuelle. Aimez-la de tout votre cœur, votre âme et de toutes vos forces. C’est vraiment une grande Dame. Aimez-la « comme » votre épouse : écoutez-la souvent, accepter de ne pas toujours la comprendre, serrez-la sur votre intelligence et votre cœur. Embrassez-la. Prenez-en soin. Gardez-la dans votre intimité. Elle éclairera et réjouira votre chemin.

Soyez aussi des hommes de parole, qui ne parlent pas à tort et à travers. Des hommes qui engageront leur vie sur une parole donnée : n’oubliez pas ! le jour de votre ordination vous engagerez votre vie entière sur un échange de paroles : « oui je le veux » ou « je le promets » ! Que votre « oui soit oui », que votre « non soit non ». « Le reste vient du mauvais » dit Jésus.

Aussi, éduquez-vous à parler à bon escient. Saint Antoine disait : « que les paroles se taisent. Que les actions parlent ». « La charité des actes doit précéder celle des mots » soulignait saint Jean-Paul II. Que toute parole qui sorte de vos lèvres soit vraie, éclairante, édifiante et habitées par la bienveillance de Dieu. Mieux que l’on puisse dire en vous voyant vivre : « Vous êtes manifestement une lettre du Christ remise à nos soins, écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierres, mais sur des tables de chair, sur les cœurs » (II Co 3, 3).

J’aimerai pour finir vous citer ce beau texte d’une femme témoin de l’Evangile :

« On ne peut pas être missionnaire sans avoir fait en soi cet accueil franc, large, cordial à la parole de Dieu, à l’Évangile. Cette parole, sa tendance vivante, elle est de se faire chair, de se faire chair en nous. Et quand nous sommes ainsi habités par elle, nous devenons aptes à être missionnaires. Mais ne nous méprenons pas. Sachons qu’il est très onéreux de recevoir en soi le message intact. C’est pourquoi tant d’entre nous le retouchent, le mutilent, l’atténuent. On éprouve le besoin de le mettre à la mode du jour comme si Dieu n’était pas à la mode de tous les jours, comme si on retouchait Dieu…

Une fois que nous avons connu la parole de Dieu, nous n’avons pas le droit de ne pas la recevoir ; une fois que nous l’avons reçue, nous n’avons pas le droit de ne pas la laisser s’incarner en nous, une fois qu’elle s’est incarnée en nous, nous n’avons pas le droit de la garder pour nous : nous appartenons dès lors à ceux qui l’attendent. » (Madeleine Delbrel).

Je confie à saint Michel Garicoït votre lectorat. Ce grand confesseur et directeur spirituel dévoué et recherché avait souvent sur les lèvres ce mot « Me voici » (sans retard, sans retour et sans réserve), auquel il ajoutait cette expression qu’il aimait souvent répéter « En avant toujours ! ». Qu’il soit votre maitre mot.

Amen.

Pour en savoir plus sur cette étape de la formation, lire l’article « 16 nouveaux lecteurs au séminaire »