Sanctifier l’espace

don Julien Fafart, Chapelain au Sanctuaire Notre-Dame de Lourdes

 

« Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai.» (Gn 12, 1) Comme Abraham, leur père dans la foi, les chrétiens ont bien compris qu’un des moyens de sanctifier l’espace était de partir, d’accomplir un pèlerinage. Cela se voit particulièrement sur le chemin de Compostelle, mais aussi à Lourdes où nombreux sont ceux qui répondent à la demande de la Vierge Marie de «venir en ici en procession» : encore 3,5 millions en 2024. En bigourdan, le patois que parlait sainte Bernadette, le même mot est utilisé pour désigner la procession ou le pèlerinage. Cet «ici» désigne le rocher de Massabielle où Notre-Dame est venue à la rencontre de la petite Soubirous, cette «Grotte bénie» où sont déposées tant de prières, où s’exprime tout particulièrement la dévotion populaire lorsque les pèlerins s’appuient sur le Rocher, boivent à la Source ou allument un cierge.  

Le premier geste que le pèlerin peut faire en arrivant à Massabielle est de toucher le Rocher, de s’appuyer sur lui: avouons-le, cette manière de faire peut nous mettre mal à l’aise, nous pouvons penser que cela confine à la superstition. Cependant ne tombons pas dans ce travers que fustige le pape François dans sa dernière encyclique: «Cela était difficile à comprendre pour de nombreux jansénistes qui méprisaient tout ce qui était humain, affectif, corporel, et qui considéraient en fin de compte que cette dévotion nous éloigne de la pure adoration du Dieu du Très-Haut. Pie XII qualifia de “ faux mysticisme ” cette attitude élitiste de certains groupes qui voyaient Dieu tellement haut, tellement séparé, tellement distant, qu’ils considéraient les expressions sensibles de la piété populaire comme dangereuses. » (Encyclique Dilexit nos, 86) Pour dépasser ce danger nous sommes invités à faire comme sainte Bernadette: à creuser, à comprendre que derrière l’idée du Rocher, il y a la notion de vérité; saint Paul nous dit que «le Rocher c’est le Christ» (1 Co 10, 4). S’appuyer sur le Rocher, c’est dire à Jésus « j’ai confiance en toi!», c’est poser un acte de foi, exercer cette vertu théologale reçue à notre baptême.  

En creusant, la voyante de Lourdes a trouvé une source, cette fontaine à laquelle Aquero lui a demandé de «venir boire et se laver » ce deuxième geste que continuent d’accomplir les pèlerins. Mais comprenons que cette eau qui coule du côté droit de la Grotte nous rappelle l’eau qui a coulé du côté transpercé du Seigneur. Boire à cette source, c’est puiser dans la joie aux sources vives du salut (Is 12, 3), c’est boire à la source de la charité (Dilexit nos, 93) et ainsi être rendu capable de rendre «amour pour amour» et, à notre tour, de poser des gestes de charité (ce que font, par exemple, les hospitaliers et les hospitalières qui accompagnent les pèlerins malades).  

La troisième force de notre vie théologale, « la petite fille espérance » comme disait Charles Péguy, s’exprime par cette habitude que les pèlerins ont d’allumer un cierge pour confier à la Vierge Marie leurs intentions de prière afin que celle-ci les présente à son Fils. Cette lumière dans laquelle la Reine du ciel est apparue, est déjà un reflet du « bonheur de l’autre monde » que celle-ci avait promis à Bernadette, lui donnant la force de traverser les épreuves de cette terre, le regard tourné vers le ciel.  

 

Nous aussi, comme Abraham, comme sainte Bernadette, nous sommes invités à sanctifier l’espace en accomplissant notre pèlerinage terrestre, pourquoi pas en venant à Lourdes poser les gestes du Rocher, de l’Eau et de la Lumière, ce faisant exprimer la foi, la charité et l’espérance; nous joindre non seulement à la procession mariale mais surtout à la grande procession qui nous conduira en Dieu Trinité, source et but de notre vie.