Lectio divina

Une lectio divina est une commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.

Tête de Christ – Rembrandt (v. 1650)

Lectio divina pour le 1er dimanche de Carême

CHOISIS LA VIE

Dimanche prochain, chacun constatera le dépouillement de son église qui marque le Carême : disparition des fleurs et de la musique, l’austérité de la couleur liturgique… Ces signes sont là pour nous aider à re-centrer notre regard sur l’essentiel à savoir Jésus et Jésus crucifié. Tout le reste de notre connaissance ne peut qu’être rapporté à cet évènement fondamental de l’Histoire auquel nous avons adhéré par le baptême.

Chrétiens de France sommes-nous fidèles aux promesses de notre baptême ? C’est la question que Jésus nous pose aujourd’hui, par Son Eglise. Essayons de voir clair en nous, eu égard à ce baptême reçu il y a tant d’années.

C’est cela le Carême : réfléchir à cette option fondamentale qui a engagé toute notre vie, réfléchir à la manière dont, hélas, nous vivons cet engagement. Nous avons demandé, par la Collecte, la grâce de connaître le mystère de Jésus afin de mieux nous y conformer. Il y a des actes de la vie de Jésus, en effet, qui restent difficiles à comprendre : la sainte Quarantaine au désert, par exemple… Tenter de pénétrer ce mystère de la vie de Jésus c’est aussi répondre à la question de la fidélité à nos engagements baptismaux. Lorsque Jésus nous demande de Le suivre au désert pour L’y rencontrer, Il nous demande en fait de faire le point de notre vie baptismale.

Regarder Jésus avec les yeux du Père

Pour entrer dans le mystère de Jésus, pour voir et comprendre Ses actes, il nous faut prendre les yeux de Son Père. Aucun regard humain ne peut pénétrer l’acte du Fils de Dieu, il ne reste qu’en superficie. Or, qui est Jésus pour le Père ? Comme nous l’enseigne Paul dans la lecture que nous avons entendue le Mercredi des Cendres : « Le Christ, Dieu l’a fait péché pour nous, Il l’a identifié au péché pour nous réconcilier avec Lui… Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » Pierre reprend cet appel aujourd’hui en précisant : « Le Christ est mort pour nos péchés. Il est mort pour les coupables. Il est mort pour nous faire entrer dans la vie de Dieu. » Le Christ, dans le plan du Père, c’est donc l’alliance, l’union, le pacte, le mariage.

Le Christ accomplit ces figures de l’Ancien Testament : c’est Lui l’arche, c’est Lui l’arc-en-ciel qui réunit la terre et les cieux. Parce que dans Sa mort Il nous redonne la vie de Dieu, Jésus est le signe efficace de l’Alliance qui réunit à nouveau l’homme et Dieu. C’est par Lui et en Lui que l’homme et Dieu sont réconciliés et ne font plus qu’une seule nature, « vous êtes participants de la nature divine » dira Pierre. Oui, le Christ accomplit l’Alliance.

Jésus entre au désert pour se préparer au dépouillement final

Qu’est-ce que l’Alliance ? Ceux qui sont mariés connaissent le symbole qui est autour de leur doigt. Ils en savent surtout le sens : l’alliance, c’est le don total et mutuel de deux personnes, le don sans repentance, le don qui ne se reprend pas.

Si Jésus est l’Alliance, si l’acte de Sa mort est l’acte qui fait l’Alliance, il y a donc en Jésus ce double don : le don de Dieu à l’homme et le don de l’homme à Dieu. Le don de l’homme à Dieu, c’est le grand mystère de la Croix du Christ. C’est pour vivre ce mystère que Jésus rentre au désert : pour se préparer à répondre avec Sa volonté humaine au dépouillement de Dieu qui donne Son Fils. Jésus est vrai homme. Il a donc une volonté entièrement libre de répondre, en tant qu’homme, au dépouillement de Dieu, et Il doit se préparer à cette réponse. Il doit se préparer à mourir à Lui-même, à se dépouiller de Sa volonté propre. Il doit se préparer à vivre cette Alliance pour laquelle Il est venu : cela consiste à sortir de Lui-même, à se vider -comme le dit Paul dans son hymne aux Philippiens- en réponse au dépouillement de Dieu le Père qui, Lui aussi, s’est vidé complètement en donnant Son Fils. En effet, ne l’oublions pas, c’est par le Fils que le Père est Père.

Du baptême de l’eau au baptême de sang…

Le désert de Jésus se situe entre deux actes essentiels de Sa vie. Saint Marc nous précise que Jésus venait de recevoir le baptême lorsqu’Il fut poussé au désert par l’Esprit ; et saint Luc nous dit que Satan quitta Jésus après les trois tentations pour revenir au temps fixé, c’est-à-dire l’Agonie et la Croix. Le désert de Jésus est encadré par le baptême du Jourdain et par la Croix, autrement dit : par le baptême de l’eau et par le baptême du sang.

Dans le baptême de l’eau, Jésus s’engage -selon les mots de Pierre- devant Dieu Son Père, dans Sa conscience droite. Il S’engage donc à faire alliance, Il S’engage à S’oublier, à Se donner. Il S’engage à Se dépouiller par Amour pour Son Père. Et dans le baptême de sang -ce baptême qu’Il attend d’un grand désir– comme Il le révèle Lui-même à Ses Apôtres, Il réalise effectivement jusqu’au bout ce don, ce dépouillement, cet oubli de Lui-même auquel Il s’est préparé pendant les quarante jours de désert qui font donc comme le lien entre la promesse et la réalisation. Oui, Jésus est un homme véritable, et Il a dû se préparer, par ce jeûne de quarante jours, à se donner sans se reprendre. Le baptême de sang, l’Acte de la Croix est la réalisation, l’accomplissement du baptême du Jourdain.

Parce que ce don du baptême du sang est parfait -puisque Jésus donne Sa vie et ne garde rien pour Lui-même- cet acte fonde l’Alliance, non seulement entre le Père et Jésus, mais encore entre la divinité et toute l’humanité.

Alors, si je veux entrer moi aussi dans l’Alliance, dans ce mariage, ce double don de Dieu et de l’homme, il faut que je participe, moi aussi à ces deux baptêmes de Jésus : celui d’eau et celui de sang.

Renoncer à soi pour vivre à Dieu : pour Lui, avec Lui, en Lui…

Nous avons tous été baptisés : nous nous sommes tous engagés, comme Jésus au Jourdain à vivre l’Alliance. Tel est le sens de nos promesses baptismales : « Je renonce au péché » : c’est-à-dire je renonce à mes égoïsmes.

Je renonce à tous ces regards de complaisance que je me porte. C’est cela le péché. Le péché, nous en vivons tous les jours. Nous sommes imbibés de péché car nous ne pouvons vivre un instant sans spontanément nous contempler. Même dans ce qu’il y a de plus beau : dans la vie spirituelle, dans ce que je donne, dans ce que je fais de bon, de bien… C’est à cette attitude que je dois renoncer : je m’engage, je me suis engagé, lors de mon baptême, à renoncer à moi-même pour vivre à Dieu : pour Lui, avec Lui, en Lui… Par mon baptême je m’engage à l’Alliance, je m’engage au mariage spirituel. Par mon baptême je m’engage à m’oublier et à me donner. Comme le mari s’engage à se donner à son épouse et comme l’épouse s’engage à se donner à son conjoint. Parce que je sais que Dieu, Lui, s’est engagé de toute éternité depuis la création du monde et qu’Il appelle, qu’Il attend ma réponse. Et j’ai dit : oui !

Mais maintenant, je dois vivre mon baptême, je dois vivre ces noces, je dois vivre cette alliance d’amour ! Et lorsque je regarde ma vie passée, je vois la difficulté que j’ai à tenir ces promesses, c’est-à-dire à m’oublier moi-même et à regarder amoureusement Dieu et ceux qui en sont le sacrement : mes frères.

Alors, pour passer de mon baptême de l’eau au baptême du sang, pour réaliser effectivement le dépouillement et le don de moi-même, à la suite de Jésus, sur la Croix, je dois moi aussi entrer au désert de Jésus avec toute l’Église : je dois entrer en carême…

Le Carême est le temps spécifique qui m’est donné pour apprendre avec Jésus à mourir un peu plus à moi-même, à m’oublier et à me donner, pour que le Vendredi Saint je puisse déposer effectivement un petit peu de ma personne, un petit peu de mon amour-propre, un petit peu de mon égoïsme afin d’être plus cohérent avec l’Alliance que j’ai engagée avec Dieu le jour de mon baptême. Ma vie ne peut être un divorce latent avec Dieu ! Je dois me laisser réconcilier avec Lui ; je dois demander pardon des trahisons qui s’opèrent chaque jour face à l’Amour qu’Il me porte.

Ascèse, prière et charité pour se recentrer sur Dieu

Je dois commencer dès aujourd’hui à sortir de ma propre personne en regardant l’autre, pour aimer l’autre, pour me donner à lui et apprendre ainsi à me donner à Dieu !

Et ce premier mouvement se fera d’abord grâce à l’ascèse qui me fait oublier mon corps, sortir de lui et de ses addictions égoïstes. A chacun de choisir l’ascèse qui lui est la mieux appropriée. Mais il faut que nous sortions de notre corps, de ce corps qui appelle toujours le confort, de ce corps encore trop douillet, trop exigeant et qui me pousse à limiter ma vie au matériel…

Une fois entré en mon intimité par l’ascèse, une fois dépouillé de ces superficialités que sont les désirs, je peux alors me consacrer à un dialogue seul à seul avec mon Dieu. C’est le deuxième acte de mon Carême : la prière. Il me faut cesser de me regarder pour contempler Celui avec qui j’ai fait alliance.

Puis, comme l’Epoux se fait présent pas seulement dans la prière mais dans toutes les avenues de ma vie de manière concrète par les autres, il faut que mon âme se détourne de ses affections introverties pour se donner à l’autre par la charité. Voilà le troisième acte du Carême : l’aumône, à considérer dans son sens le plus large.

Choisis la vie !

Pénitence pour oublier le corps et le transitoire et aller à l’essentiel, au durable, à l’éternel.

Prière pour orienter le cœur profond vers Dieu, mon Créateur et Époux.

Charité pour que l’âme respire en transvasant vers les autres l’Amour reçu du divin Epoux.

Voilà les trois œuvres que nous devons faire pendant ces quarante jours pour apprendre à mourir à nous-mêmes, à être plus amoureusement donnés à notre Époux et à vivre quotidiennement de cet Amour reçu.

On ne meurt pas pour mourir : on meurt pour entrer dans la Vie de Dieu ! Notre Carême se terminera par la Nuit de Pâque, dans cette Vigile où, solennellement, avec toute la communauté ecclésiale, nous renouvellerons avec un peu plus de cohérence, un peu plus de fidélité, un désir renforcé nos promesses baptismales et nous pourrons dire : oui avec plus de franchise. Oui, je renonce à moi-même, je renonce au péché ; oui, je m’engage à vivre pour Dieu, c’est-à-dire dans Sa grâce qui est Vie !

Mgr Jean-Marie LE GALL, Aumônier catholique H.I.A Percy, Clamart

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