Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« INTIMIOR INTIMO MEO : TU EST PLUS EN MOI QUE MOI-MEME ! »

Lectio divina pour le 7ème Dimanche de Pâques
Act.7, 55-60 Apoc.22, 12-20 Jn.17, 20-26

Nous nous situons aujourd’hui à un dimanche charnière qui nous rappelle, nous fait vivre et représente, ou rend présent à notre époque un temps qui dut être particulièrement difficile pour les apôtres, entre l’Ascension -départ du Christ visible- et la Pentecôte c’est-à-dire la proclamation publique, l’envoi officiel de l’Eglise aux nations, lié à la venue de l’Esprit.

Le Christ n’est plus là, l’Eglise n’est pas encore venue…

C’est un temps sûrement où, tels les apôtres, nous-mêmes vivons comme en équilibre instable au bord d’un gouffre : le Christ n’est plus là, l’Eglise n’est pas encore venue ; période transitoire, temps de transition où l’Eglise va essayer de nous accrocher, de nous attacher, de nous arrimer à la personne du Christ par l’intermédiaire de la foi.

Nous aurons remarqué comment le passage de l’Evangile de Jean revient sur ce thème de la connaissance : « Ils t’ont connu… Ils m’ont connu… Ils ont reconnu… Ils croient que tu m’as envoyé… pour que le monde croie… » Saint Jean arrive vers la fin de son évangile, peu avant la Passion, à exprimer le sommet de la foi, non pas telle que les apôtres vont la proclamer -ce n’est pas encore le moment !- mais telle que le Christ la leur demande.

« …Fais-nous croire que tu es aussi près de nous… »

Et l’Eglise nous transmet cette demande de Jésus, cet appel, ce désir du Christ avec la Collecte : « Nous croyons que tu es dans la gloire, fais-nous croire que tu es aussi près de nous jusqu’à la fin des temps ».

Donc nous sommes dans cette tension un petit peu déséquilibrante entre le regard vers le Ciel (souvenons-nous : « Hommes de Galilée pourquoi restez-vous à regarder vers le ciel Celui qui est monté ? … ») et le Cénacle avec l’attente de la manifestation de l’Esprit et l’envoi en mission de l’Eglise.

Bien entendu cette foi que Jésus désire pour nous et que nous avons nous-mêmes demandée dans la Collecte, est une foi au sens de la certitude. Ce n’est pas du tout la foi au sens du ‘peut-être’. Non ! Au contraire, la foi et la croyance que Jésus demande à Son Eglise c’est la foi et la croyance au sens noble du mot, au sens profond, premier, fondamental : celle-là même que vous vous donnez quand vous vous fiancez c’est-à-dire quand vous donnez à l’autre votre confiance.

Nous sommes le tabernacle du Très-Haut.

Alors que veut dire croire que Jésus est parmi nous jusqu’à la fin des temps ?

Retenons d’abord que Dieu en tant qu’Il est notre Créateur est toujours dans la créature comme la cause est dans son effet. Il y est présent. C’est une présence que les théologiens appellent présence d’immensité. Dieu est en nous. Dieu est notre Créateur qui nous porte, qui nous gouverne, qui nous conserve, qui nous met dans la vie, le mouvement et l’être, comme disent les Actes des Apôtres.

Mais voilà que cette présence, seule la foi peut nous la dévoiler. La présence de Dieu en nous est invisible. Elle peut être déduite approximativement par un raisonnement de l’esprit, de même qu’on peut induire par un raisonnement de l’esprit l’existence de Dieu à partir de la Création. Mais cela reste une connaissance obscure, floue, incertaine, invérifiable.

Et voilà que Jésus est venu nous faire connaître cette présence, nous dévoiler la présence de Dieu dans notre âme, présence de Dieu réelle, substantielle et trinitaire. Dans notre âme nous avons Dieu. Nous l’avons dit en célébrant l’Ascension : nous sommes le tabernacle du Très-Haut.

Jésus nous donne Sa foi pour que nous puissions voir le Père en nous !

Et ce Dieu est trinitaire. Autrement dit, en mon âme je reçois le Père Créateur, le Fils Sauveur et l’Esprit vivifiant. La vie trinitaire se passe dans mon âme : cette dynamique de l’amour trinitaire est présente dans mon âme.

Voilà ce que Jésus est venu révéler : « Celui qui m’aime, mon Père l’aimera et nous viendrons chez lui faire notre demeure. » Ce « faire sa demeure » ne veut pas dire que Dieu va descendre en nous puisqu’Il y est déjà ! Comme dit plus haut, Dieu dans Son mystère trinitaire est en sa créature, en tout homme chrétien ou non.

Pour Jésus, celui qui L’aime est celui qui Le désire. Alors : « Mon Père l’aimera et nous viendrons chez lui faire notre demeure. » Cela veut dire : A celui-là je donnerai la lumière pour qu’il puisse voir, pour qu’il puisse croire, pour qu’il puisse adhérer en certitude à cette présence de mon Père, de moi-même le Verbe et de l’Esprit dans l’âme !

D’où ce que dit l’Apocalypse : « Je viendrai et je donnerai le salaire à celui qui a fait quelque chose ». Si nous ne demandons pas, Dieu ne nous impose rien. Mais si nous désirons, si nous recherchons, si nous partons à la poursuite de Dieu, voilà que le Révélateur du Père c’est-à-dire le Verbe Jésus-Christ nous donne cette Lumière que l’on appellera la foi. Ce don est celui de Sa propre foi à Lui, son regard qu’Il porte Lui-même sur Son Père dans la mouvance de l’Esprit. Voilà ce que veut dire : « Nous ferons en lui notre demeure. »

Nous lapidons notre cœur pour effacer la Présence de Celui qui est Tout…

Donc cette présence de Dieu-trine est révélée au baptisé qui vit de sa foi. Il voit Dieu en lui, il Le voit avec les yeux de la foi bien entendu, il est en communion avec cette présence de Dieu, présence divine dont l’âme est le tabernacle.

Mais voilà que souvent, trop souvent, nous fermons les yeux à la vision de cette présence. Nous lapidons la part de notre cœur qui voit, comme Etienne, le Fils de Dieu sur la nuée. Cette gloire que Jésus nous révèle de Son Père, cette présence amoureuse des trois personnes en nous, elle nous gêne et nous la lapidons comme le Christ a été crucifié parce qu’Il gênait une part de l’humanité représentée par les pharisiens, les scribes, les Romains qui symbolisent la part pécheresse de notre monde, c’est-à-dire le refus de Dieu.

Cela nous gêne de voir à l’intérieur de nous-mêmes Celui qui est le Premier et le Dernier, l’Alpha et l’Oméga, c’est-à-dire Celui qui embrasse toute chose, qui embrasse toute ma personne et pas seulement mon heure de présence à la Messe : ma vie familiale, ma vie politique, ma vie de détente, de travail, ma vie d’amour, la génération des enfants, leur éducation, ma vie associative…

Il est pourtant venu pour les malades et les pécheurs…

Tout ce qui surgit de mon cœur est sous le regard de Dieu. Et comme mes œuvres ne sont pas toujours très claires, cela me gêne. Et donc je ferme les yeux à cette vision. Je pense que le regard de Dieu est un regard jugeant, alors que c’est un regard aimant ! Je pense que le regard de Jésus qui est au fond de mon cœur, celui-là qui sonde les reins et les cœurs, est un regard condamnant, alors que c’est un regarde guérissant ! Il est venu, nous dit-Il « pour les malades » et non pas pour les bien portants que nous croyons être. Il est venu « pour les pécheurs » et non pas pour les justes…

En somme, la foi reçue à notre Baptême, cette lumière qui nous permet de voir Dieu en nous, Dieu-Créateur, Dieu-Sauveur, Dieu vivifiant, Dieu pardonnant, de voir cette présence de tendresse, cette présence d’action, cette présence de façonnage, (Dieu Créateur qui me façonne au fil de mes journées, de mes années !) cette lumière de foi nous la laissons sommeiller !

Lorsque nous arrivons au monde de l’adulte, nous la cachons, nous la laissons enfouie sous nos préoccupations du monde (au sens où saint Jean parle du monde). Nous ne la voulons pas et nous n’en avons même plus ni le désir ni même la possibilité… Nous avons pris une telle habitude de vivre indépendamment du Christ et de l’Evangile pour une part de notre vie !

« Viens Seigneur Jésus ! »

Il faut demander le développement de cette Lumière de foi, Lumière faite pour voir Dieu en moi, non pas comme un juge mais comme un Sauveur ; non pas comme un pharaon mais comme un Père Créateur ; non pas comme un poids mais comme cette mouvance amoureuse de l’Esprit vivifiant et sanctifiant le monde.

Il faut appeler le Christ : « Viens Seigneur Jésus ! » Viens, viens illuminer mon intelligence pour que soit dévoilée à mon cœur Ta Présence aimante !

Dieu ne s’en va pas de moi. Dieu est fidèle. Il y est ! Mais il faut encore que je puisse Le voir, il faut encore que je désire Le voir ! Il faut faire comme Matthieu, comme Simon le pharisien, comme Zachée : laisser descendre Jésus en moi par cette Lumière de grâce, par cette foi, pour que je puisse Le voir, Le reconnaître.

Comme dit saint Augustin dans ses Confessions : « Je Te cherchais si loin que je ne T’ai jamais trouvé et que mon âme n’a jamais été en paix jusqu’au moment où j’ai compris que tu étais en moi : Intimior intimo meo, Tu étais plus en moi que moi-même. »

Voilà comment on obtient la pacification du cœur et de l’âme, de l’intelligence, de l’esprit et du corps ! En acceptant dans ce vase d’argile, déjà sûrement rompu mille et mille fois par nos faiblesses, nos trahisons et nos lâchetés, dans ce contenant très humble, cette Lumière divine qui s’appelle la foi et nous dévoile Dieu créant, sauvant et vivifiant !

« Celui qui ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit … »

Et pour recevoir cette grâce de foi, je dois donc développer ma vie sacramentelle parce que c’est le sacrement qui me donne la grâce. C’est lui qui me donne la foi, qui me donne de connaître, de reconnaître, de renaître à… comme Jésus le demande à Nicodème : « Celui qui ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit… »

C’est le Baptême avec toute la vie cultuelle qui va se désenrouler à partir de ce sacrement premier et sera accompagnée et vivifiée par la Confirmaztion, l’Eucharistie, la Réconciliation, le Sacrement de Mariage, de l’Ordre, jusqu’au Sacrement des malades qui éclairera la dernière étape de notre vie terrestre et nous préparera à notre pâque…

Par tous ces signes je retrouve le Christ ; avec eux le Christ me regarde et me guérit, Il me touche, Il me parle et m’illumine, Lui, « la voie, la vérité et la vie. »

Il le fait autant qu’avec les Apôtres par le moyen du sacrement et en particulier par le moyen de l’Eucharistie.

Père créant, Fils sauvant et Esprit vivifiant !

L’Eucharistie c’est le don de la Présence Réelle, mais transitoire, pour nous permettre de renaître dans notre intimité à la Présence substantielle et éternelle de Dieu qui vit dans l’âme. L’Eucharistie n’est pas réductible à un remède psychologique. On ne prend pas l’Eucharistie comme on prend un médicament, encore qu’Elle soit une nourriture… On prend l’Eucharistie pour que, par le biais de cette Présence transitoire que l’on va assimiler, au sens propre comme au sens figuré, nous puissions renaître, retrouver ce contact immanent, profond avec Dieu en nous : Père créant, Fils sauvant et Esprit vivifiant !

Et quand dans l’Eucharistie je reçois la Lumière de foi, quand je reconnais cette Présence de Dieu, et y adhère, quand je suis poussé vers Elle par un amour de reconnaissance -là aussi au sens propre comme au sens figuré c’est à dire que je reconnais Dieu et je Le remercie !- c’est alors que je vais m’assimiler à ce Dieu présent dans mon intérieur, comme on s’assimile à l’être que l’on aime. Car l’amour assimile, l’amour unifie !

Un seul Pain nourrissant et formant un seul Corps !

Chacun s’assimilant à Dieu par l’Eucharistie, c’est comme cela que se crée l’Eglise dans son unité : parce qu’il n’y a qu’un seul Corps, car il n’y a qu’un seul cœur, un seul principe vivifiant… Parce que nous tous, avec nos différences et nos personnalités incommunicables, avec chacun nos richesses et nos pauvretés, nous sommes assimilés au même Christ que nous aimons, nous sommes assimilés à Lui par l’amour que nous recevons de Lui et que chacun Lui porte !

Et nous devenons tous le même Christ, nous formons plutôt le même Corps de la même Tête unique de laquelle part le même sang, la même vie, la même sève qui fait le lien de l’unité et de la paix, pour reprendre l’expression de Paul, et qui est l’Esprit.

S’accepter dans ses différences, comme l’on dit de nos jours, ce n’est pas la proposition d’un libéralisme culturel. C’est la reconnaissance que nous sommes tous happés et engloutis par la même Personne divine, le Christ, dont l’Amour est infini, qui nous respecte donc infiniment et qui nous prend tels que nous sommes, chacun avec ce qu’il a reçu à sa création, chacun avec ce qu’il est… Il ne gommera pas ces différences. Surtout pas puisque nous avons été créés comme cela ! Mais ces différences vont être purifiées pour devenir sources de richesses et non plus sources de conflits, de jalousies ; elles le seront par le brasier de l’Amour de Jésus, par ce Cœur unique qui assimile tout pour donner naissance à l’unité des membres multiples de l’Eglise.

« Parce qu’il n’y a qu’un pain, à plusieurs nous ne sommes qu’un corps. »

Il y aura alors un corps et dans le corps il y aura une main, un pied, un œil. Et, dit saint Paul, chaque membre est heureux d’être à sa place et l’œil n’essaye pas de faire le pied et la main n’essaye pas d’être la tête. Tout cela est dû non pas à nos efforts psychologiques !

Cette unification de chaque membre de l’Eglise se fait au niveau théologique en proportion de cette absorption par le Cœur du Christ de chacun et de chacune d’entre nous, donc par cette charité qui est elle-même le fruit de notre foi : « Parce qu’il n’y a qu’un pain, à plusieurs nous ne sommes qu’un corps, car tous nous participons à ce pain unique. » écrivait Paul aux Corinthiens.

Nous comprenons ainsi mieux l’importance de la foi. Dimanche prochain nous fêterons la Pentecôte et c’est pour cela qu’aujourd’hui l’Eglise, en préparation, avant que nous devenions officiellement ses membres, mandatés pour apporter l’Evangile et la Bonne Nouvelle, nous demande avec la Collecte, de développer notre foi, afin que nous puissions mieux voir, mieux reconnaître et donc mieux aimer la présence de Dieu en nous : « Fais nous croire aussi qu’il est encore avec nous jusqu’à la fin des temps comme il nous l’a promis. »

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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