Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« ABBA, PAPA ! »

Solennité de NOËL Messe du jour ANNÉE B
Is.52, 7-10 Héb.1, 1-6 Jn.1, 1-18

    Ce jour de Noël est le jour où prend tout son sens la parole du Prologue de Jean : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. » Certainement, pour nous chrétiens du XXI° siècle et de l’Occident, cette Parole ne doit pas résonner avec toutes ses harmoniques à nos oreilles. Nous sommes si assommés par les paroles ! Les paroles écrites des journaux, mais aussi celles de la télévision et des médias en tous genres qui remplissent nos vies, nos esprits et nos cœurs de peu de choses finalement…

 

« Au commencement était le Verbe… »

Bref le sens de la Parole pour nous s’est dissous à cause de cette multiplication du verbe. Mais remarquons comme les lectures de cette messe de Noël insistent sur cette Parole, sur ce Verbe. Le Verbe c’est la Parole, c’est la pensée. Nous sommes la religion du Livre ? Il faut plutôt dire que nous, les chrétiens enracinés sur le tronc de la religion juive, avons la religion de la Parole, de la Révélation !

Et pour comprendre le sens de ce Prologue de Jean (ou de ce passage de l’épître aux Hébreux) il faut revenir en arrière.

Il faut revenir à cette période si longue que fut la préparation de la venue du Messie que l’on appelle l’Ancienne Alliance et qui s’étend du péché d’Adam et d’Eve jusqu’à l’apparition de Marie.

Après le péché Adam se cache parce qu’il voit qu’il est nu. Est-ce bien Adam qui se cache, n’est-ce pas plutôt Dieu ? Ce qui est certain c’est qu’un grand silence s’établit sur la terre : Dieu se voile ou plus exactement Dieu n’est plus accessible. Et l’homme est en recherche de Dieu : Où es-tu ?

« Et le Verbe s’est fait chair… »

Le peuple nomade à partir d’Abraham jusqu’à Jean-Baptiste exprime bien cette recherche religieuse de l’homme, focalisée dans le peuple juif, peuple élu pour être le prototype de la relation de l’homme à Dieu. Mais nous retrouvons cette recherche religieuse dans tous les peuples et civilisations environnants. Le monde égyptien, le monde mazdéen, le monde de la Mésopotamie, le monde perse, le monde mède, le monde romain et grec, tout le monde connu (et fort intelligent !) est à la recherche de Dieu.

Et Dieu ne dit rien. Dieu se cache. Dieu s’est fait inaccessible.

Pas complètement toutefois. Il a parlé par les prophètes pour préparer l’homme à revoir Son visage, à pouvoir à nouveau Le voir. Nous savons bien ce que cela veut dire  que de voir quelqu’un : le contempler, l’aimer, prendre de lui ce qu’il y a de beau ou de bon, admirer ses traits, admirer ses vertus…

Voilà que Dieu va effectivement par Ses prophètes, c’est-à-dire ces hommes de la Parole, préparer l’humanité à revoir Son visage. Il ne se montre pas : Il envoie des messagers, les prophètes, les juges, les rois, Moïse, David, Isaïe… Mais Il ne se montre pas. Il va tout doucement durant cet avent, ce temps de préparation de l’Incarnation réduit dans notre Eglise aux quatre semaines de l’Avent liturgique, mais qui s’étend dans l’histoire de l’humanité de Adam à Jean-Baptiste, Il va attiser le désir de l’homme en attente d’un sauveur qui lui redécouvrirait le visage de Dieu. Ce sera le Messie, l’Oint, le consacré.

« Attention voici ton Roi, attention voici ton Seigneur… »

Il multipliera les alertes prophétiques de manière à ce que l’homme soit vigilant sur le comment Dieu  se manifestera. Dieu, par Ses messagers, essaye de préparer l’homme à être vigilant : « Attention voici ton Roi, attention voici ton Seigneur… Regarde, scrute, Il est là, Il va venir… »

Et tout à coup, dans cette immense histoire humaine s’étendant sur des centaines d’années, voilà que Dieu arrive enfin au bout de Ses peines.

On pourrait dire que Dieu a réussi : en Marie Il façonne celle qui pourra la première voir Dieu « sans mourir. » Car nous savons que dans l’Ancienne Alliance il était impossible de voir Dieu sans mourir, il fallait se cacher. Avec Marie nous basculons dans un autre monde.

Dieu a si bien préparé Son peuple -et plus particulièrement ces quelques pauvres comme Jean-Baptiste et encore plus parfaitement la Vierge, ces quelques anawim qui ont su attendre, désirer, être attentifs…- que Dieu peut se montrer. Marie est si dépouillée d’elle-même, si dépossédée de sa vie (elle a consacré sa virginité, elle a consacré son mariage, elle a consacré son cœur comme son esprit !) qu’elle pourra voir Dieu sans mourir. Plus encore, elle va même Le façonner elle-même en son sein, à son image !

« Il a habité parmi nous… »

Jésus devait ressembler à Marie, avec sa chair, avec son sang… Elle façonne vraiment le visage humain de Dieu. Elle Lui donne vie, elle Lui donne l’existence ! Elle Le sort d’elle-même et Le présente au monde pour qu’à partir d’elle -et c’est l’histoire de l’Eglise, c’est la définition de l’Eglise- tout homme sous tous les cieux, puisse de nouveau voir Dieu sans mourir.

Pour que l’homme puisse, à la suite de Marie, contempler, aimer, se rassasier du visage de Dieu !

Imaginez que votre cœur, votre intelligence sont maintenant, depuis Marie, rassasiés par le visage de Dieu. C’est cela le salut. Jean nous le dit dans son évangile : « Le salut c’est qu’ils te connaissent toi », qu’ils Te connaissent c’est-à-dire qu’ils naissent à Toi… Il faut réapprendre à voir, à contempler, à admirer, à aimer les visages de ceux qui nous sont chers et surtout, en premier et en tous, le visage de Dieu !

« Et nous avons vu sa gloire… »

« Le salut c’est qu’ils te connaissent toi comme leur Père… » Oui, car Dieu se présente à nous sous le visage du Père.

Et afin que nous puissions Le connaître en vérité ce visage, c’est-à-dire pour que nous puissions connaître Dieu comme Père, Il envoie un autre Lui-même.

Le Messager de la Bonne Nouvelle, de l’Evangile, le Grand prophète annoncé par Moïse connaît Ses intentions et ne peut se tromper parce que c’est Son Fils, parce qu’Il Lui est identique, « reflet de sa substance, resplendissement de sa gloire. » C’est un autre Lui-même qui est Sa Pensée, Son Verbe. Il est toute Sa richesse puisqu’Il est le Fils : « Après avoir parlé par les prophètes voici que Dieu nous envoie son Fils. »

Afin que celui qui voit le Fils voit le Père : « Philippe depuis tant de temps tu vis avec moi et tu n’as pas encore saisi que celui qui me voit voit le Père » dira Jésus… Tout est dit du mystère de l’Incarnation !

« Nul ne va au Père sans passer par moi ! »

Aujourd’hui nous devons réapprendre, avec ce mémorial de Noël à voir à nouveau Jésus et par Jésus Son Père, Son Père et notre Père… A voir dans cet Enfant-Jésus « la largeur, la profondeur, la hauteur, de l’amour de Dieu » toutes ces dimensions de l’amour dont nous parle Paul, amour qui vient à nous comme un tout petit pour ne pas nous effaroucher, pour ne pas nous effrayer…

Pour nous piéger en quelque sorte, pour nous pousser à le prendre, pour nous stimuler à l’embrasser…

Pour nous aider à voir à travers cette Incarnation tout le mystère de la tendresse de notre Père qui vient à nous pour vivre devant nous, visiblement, le mystère du don, le mystère de la gratuité, le mystère de la miséricorde, le mystère de la patience, le mystère de la douceur…

Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit Dieu.

Tout ce à quoi nous étions appelés en notre père Adam, le nouvel Adam le vivra parfaitement dans notre humanité, avec un corps, avec une intelligence, avec un cœur, avec une race, une famille et une terre…

Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit Dieu.

Le Père envoie Son Fils pour que les hommes, voyant ce doux visage du Christ, puissent à nouveau contempler le doux visage de Dieu et lui disent « Abba, Papa. »

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

Retrouvez la lectio divina quotidienne (#twittomelie, #TrekCiel) sur tweet : @mgrjmlegall