Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« VOICI L’AGNEAU DE DIEU ! »

Lectio divina pour la Saint Jean-Baptiste

Relevons le double paradoxe que l’Écriture et la tradition artistique nous présentent. Tout d’abord, le Précurseur, qui est chargé de la plus importante mission prophétique de l’histoire, puisqu’il s’agit d’annoncer la venue rédemptrice de Dieu, commence par partir au désert pour vivre dans le silence de solitude. Deuxième paradoxe de Jean : celui qui verra et désignera l’Agneau de Dieu reconnu en ce Jésus venu se faire baptiser, la si belle statuaire de Chartres nous le présente avec les yeux fermés ! Ceci dit, s’ils sont fermés vers l’extérieur, le sculpteur médiéval nous les suggère tout ouverts vers l’intérieur… Vers l’âme de Jean devenue contemplative à force de n’être à l’écoute que de Dieu seul, en son désert justement…

Voilà la belle leçon pour des pasteurs et des futurs pasteurs que je propose à votre réflexion en ce jour où l’Église célèbre la naissance de Jean et à quelques heures où mes frères de la Communauté Saint Martin vont être ordonnés diacres et prêtres.

« Tu as du prix à mes yeux et Je t’aime… »

Arrêtons-nous sur ces attitudes apparemment si peu appropriées à la mission que le Seigneur lui confie. Il nous faut méditer sur le fait qu’être l’envoyé de Dieu pour annoncer Son Amour aux hommes demande en premier lieu d’expérimenter soi-même cet Amour de manière absolument unique et non pas seulement de manière marginale, en passant… Il faut que l’expérience de ce Dieu dont le prophète, le pasteur aura à parler soit une expérience fondatrice de son être. D’où le sens profond des paroles d’Isaïe : « Le Seigneur m’a appelé ; Il a prononcé mon nom alors que j’étais dans les entrailles de ma mère. » Au delà de la vérité métaphysique que chaque être créé est le fruit d’un amoureux projet de Dieu sur lui, le texte prophétique mis dans la bouche de Jean signifie la prise de conscience par le Baptiste qu’il est aimé de manière absolue et unique par le Dieu vivant qui a « prononcé son nom », c’est à dire qui est venu à lui comme un époux vient à son épouse. D’où encore le sens absolu que l’on peut donner à ces autres paroles d’alliance données par le prophète : « Oui, j’ai du prix aux yeux du Seigneur… »

Il est bien entendu que cette expérience de l’Amour de Dieu est le fruit d’une grâce divine et non la conséquence d’un effort rationnel de l’homme. Il est tout aussi évident que cet Amour, s’il est absolument personnel et incommunicable (comme tout amour d’amitié ou conjugal), il est cependant fait pour être proclamé et chanté : « Il a fait de ma bouche une épée tranchante… il fait de moi sa flèche préférée… » Comme on le voit dans la mythologie, la flèche dont il est question n’est pas tant celle du combat que celle de l’Amour dont Dieu veut transfixer les âmes de Ses enfants. Cela peut être douloureux comme le montrent les expériences des mystiques, à la suite du Christ dont le Cœur transpercé par la lance romaine, l’est d’abord par l’Amour qu’Il porte à Son Père et à Ses frères : « Père entre tes mains je remets mon esprit… Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Dans le silence du cœur, expérimenter l’Amour qui est Silence

Remarquons que ces paroles de Jésus, pleines d’Amour et de pardon salvateurs, sont prononcées en réponse au grand silence du Père. Jésus aussi, l’Envoyé, est entré dans le désert nécessaire pour goûter maximalement l’expérience de l’Amour divin. Non seulement désert de la Tentation au début de Sa vie publique, mais, peut être plus encore, désert de la Croix. Bien que Juste et Innocent, le Père laisse Son Fils mourir, le condamnant définitivement par Son silence alors que, selon la prière même des Juifs moqueurs, un miracle du Père aurait suffi à sauver le Fils et la foi des Juifs…

C’est donc bien dans un silence de solitude absolue que le Christ expérimente de manière mystérieuse l’Amour du Père pour les hommes et donc pour Lui. C’est de cette expérience unique que surgira la parole salvatrice qui raccroche Ses propres assassins à la Vie divine par le pont du pardon offert.

Ce paradoxe du silence source de la Parole salvatrice, nous le trouvons déjà en Jean, non plus au moment de sa naissance et de son départ au désert, mais au temps de son emprisonnement. Jean, alors enfermé à Machéronte, envoie des disciples questionner Jésus sur Sa messianité. Et Jésus de ne répondre qu’en citant la Parole : « Allez dire à Jean ce que vous voyez : les sourds entendent, les boiteux marchent, les aveugles voient… » Jean devra se contenter de recevoir ces paroles bibliques, de les faire descendre dans le silence de son cœur, au cœur du silence de sa cellule. Et c’est ainsi qu’ultimement, il témoignera qu’il est le plus grand des enfants des hommes, préparant le Christ, d’une certaine manière, à le suivre aussi jusque dans ce martyr, dans ce témoignage de l’Amour divin reçu et expérimenté.

« Venez et voyez ! »

Jean est aussi celui qui voit. Une vision de foi qui transperce la personne de Jésus son cousin. Cette vision n’est pas qu’humaine et elle trouve sa source dans l’union à Dieu que manifeste le regard tout intérieur de Jean. Jean, au désert, entre en lui pour y découvrir la lumière de Celui qui l’habite entièrement car il s’est laissé prendre par Son Amour. Avant l’autre Jean, l’évangéliste, il fait l’expérience du venir et de la vision : « Venez et voyez. » D’où la parole rapportée par Isaïe : « Je vais faire de toi la lumière des nations. » Cette lumière qui vient du fond de Dieu et est déposée en son cœur, sortira de Jean pour désigner Celui qui enlève les péchés du monde. C’est cette même divine Source de lumière qui permettra à Jean de voir la Colombe descendre sur Jésus et reposer sur Lui, comme signe de l’onction amoureuse du Père, dans l’Esprit : « Celui-ci est le Fils de ma complaisance, en qui j’ai mis tout mon amour. » C’est enfin cette lumière qui fera comprendre à Jean que l’obscurité de Machéronte ne doit pas se confondre avec l’abandon de Dieu.

En faisant sa réponse aux envoyés de Jean, Jésus qui est la Lumière, se manifeste à la lumière de Jean, pour reprendre l’expression du psaume : « C’est dans ta lumière que nous verrons la lumière. » Cette rencontre lumineuse fait comprendre à Jean que le chemin de la vie est aussi le chemin de la croix : le sien avant de devenir celui du Christ : « Il faut qu’il croisse et que je diminue. » Jean l’a dit au profit de Jésus ; Jésus le dit au profit du Père : « Père glorifie ton fils afin que ton fils te glorifie. » Et nous savons que cette gloire n’est pas humaine ; c’est la gloire de Dieu, celle que le Christ avait auprès du Père, c’est donc la gloire de la filiation. Comme le rappelait avec tant de bonheur le Père Valensin : « Quand je me présenterai devant Dieu et qu’Il me demandera ce que j’ai fait, je lui répondrai : ‘j’ai cru en mon Père. La filialité, c’est la richesse du pauvre.’ » Et -bien qu’il soit de l’Ancienne Alliance- ce qui fait la grandeur du Baptiste, que le Christ dénomme en effet, « le plus grand des enfants… des hommes », c’est d’avoir montré à tous, au Christ d’abord et à nous ensuite, ce qu’être enfant de Dieu veut dire…

Entrer dans le Silence de Dieu pour voir Dieu et L’annoncer…

Demandons à Jean Baptiste auquel la Communauté Saint Martin est particulièrement attachée de par la dévotion que lui portait son fondateur Monseigneur Guérin, dans la grande tradition spirituelle de l’Église, tant orientale qu’occidentale, demandons-lui de comprendre combien il faut savoir entrer dans le Silence de Dieu pour dire Dieu ; et combien il faut savoir regarder Sa Présence intime dans l’âme pour pouvoir Le voir au cœur du monde et Le montrer à l’homme.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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