Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue de passer de ce monde à son Père, Jésus qui aimait les siens les aima jusqu’à la fin. » Cette phrase de Jean qui commence ce que l’on a coutume d’appeler les discours après la Cène, résume parfaitement ce jour où Jésus institua à la fois l’Eucharistie et le Sacerdoce. Elle le résume et l’exprime si bien, si parfaitement, que Jean ne ressentira pas le besoin de transmettre le récit précis, de cette double institution comme le fera Paul ou comme l’ont fait les trois autres évangélistes.

Nous devrons repartir de la célébration de la Cène avec cette phrase dans le cœur : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue de passer de ce monde à son Père, Jésus qui avait aimé les siens, les aima jusqu’à la fin. »

« Et le Verbe s’est fait chair, et Il a habité parmi nous… »

Le Jeudi Saint, nous célèbrerons le passage éternel de Dieu dans nos humanités personnelles. Nous célébrerons la proximité la plus intime qu’un être vivant puisse avoir avec une personne humaine.

Ce Passage –pâque suivant le mot hébreu- ce Passage est si important pour la vie de Dieu qu’il fut annoncé, préparé, vécu déjà en image durant l’Exode que rappelle la première lecture : ce fut le repas pascal célébrant le mémorial du passage de l’ange de Yahvé en Egypte.

Ce passage va prendre une dimension tout à fait autre, totalement différente, avec le mystère de l’Incarnation où Dieu Lui-même va passer dans notre humanité : « Et le Verbe s’est fait chair, et Il a habité parmi nous… » : Il est passé

Enfin, le jour de la Cène, nous célébrons un Passage encore plus merveilleux, encore plus extraordinaire parce qu’il est éternel : Dieu est avec nous, Dieu est dans Son Eglise, Dieu est dans mon âme par la communion eucharistique ! Voilà pourquoi je parle de passage éternel : c’est une présence, la présence de la Surréalité de Dieu, pour reprendre l’expression du Cardinal Journet.

Aujourd’hui, c’est la fête de la Présence réelle, non pas telle que nous la réduisons dans la formulation dogmatique mais nécessaire ! Car cette Présence illimitable, elle est transcendante.

Dieu passe, Dieu reste, Dieu est parmi nous…

Imaginons dans toutes les églises du monde, et aujourd’hui en particulier, de la plus petite chapelle de campagne à Saint Pierre de Rome, imaginons cette joie du monde, cette joie de l’Eglise autour du Vicaire du Christ, chef de l’Eucharistie, autour des évêques, autour de nos prêtres, vous tous réunis, fidèles du Christ, appelés au culte spirituel, réunis autour de quoi ? Autour de qui ? Autour de la Vie, autour de la Présence qui depuis 2000 ans n’arrête pas de battre dans les tabernacles de nos églises ! Judas est mort, Lui il est toujours vivant !

Dieu passe, Dieu reste, Dieu est parmi nous… Et ce Dieu est Celui qui, dans l’épisode du Buisson Ardent représentant la maternité virginale de Marie, dira à Moïse, « Je Suis celui qui est », Celui qui agit, qui intervient pour toi, pour le peuple à travers toi pour mon peuple, Israël, pour mon ecclesia, pour ma communauté, pour mon Eglise.

Dieu est, Dieu agit et Dieu sauve. « Je Suis Celui qui t’a sauvé de l’Egypte : ce mois sera le premier mois de l’année pour toi… Ce mémorial, tu le transmettras de génération en génération, parce que je t’ai fait sortir d’Egypte », sortir de l’esclavage, sortir de la peine… Parce que Je t’ai libéré…

Ieshoua, Dieu sauve !

A cette image de l’Ancien Testament, correspond dans une résonance merveilleuse, le Passage de Jésus (Ieshoua = Dieu sauve) où Dieu sauve, non plus des Egyptiens, mais de notre propre mort spirituelle, de notre propre péché. Judas est mort. Il est mort de son péché (je ne dis pas dans son péché). La haine, l’égoïsme, l’orgueil mènent à la mort… Et Jésus vient nous sauver de cette mort, en nous donnant une nouvelle direction, un nouveau principe de Vie : « Je vous donne un commandement nouveau, aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés… »

Et voilà que, comme le signifiera tout à l’heure la liturgie du lavement des pieds, Jésus se dépouille de Son vêtement, ceint un linge, et lave les pieds à Ses apôtres, c’est-à-dire accomplit, réalise la perfection de cette loi divine en se faisant le dernier des esclaves puisque cette fonction de laver les pieds était réservé au dernier des esclaves, à celui qui n’avait même pas le droit de vivre, celui qui n’était pas considéré comme un homme…

Il est toujours Vivant parce qu’Il se donne…

Oui, Judas est mort, Lui est vivant. Judas est mort de son péché, Judas est mort de sa haine, Judas est mort de son égoïsme. Lui, Il est vivant, alors qu’Il n’arrête pas de Se dépouiller depuis 2000 ans, à chaque Eucharistie. Il Se donne tout entier et Il est toujours vivant. Il est toujours vivant parce qu’Il Se donne.

Ce principe de vie est le principe de Son Père : « Qui me voit voit le Père ». Et Dieu est Vie, Il est Vie éternelle, Vie substantielle… Dieu est Vie en plénitude parce qu’Il est don et dépouillement en plénitude… « Je suis la voie, je suis la vérité, je suis la vie. »

Jésus Se donne en exemple : « Ce que j’ai accompli, je l’ai fait pour que vous le fassiez-vous aussi. » Il nous donne en exemple cette éthique de Dieu qui va à l’opposé de nos comportements humains ramenant toujours tout à soi ! Il nous donne le principe même de la Vie divine !

Jésus Se donne comme Se donnant !

Il fait plus : Il va nous offrir cette clé pour que nous puissions nous aussi participer de cette Vie divine, entrer dans Sa charité pour en vivre !

Pour cela, il faut que nous ayons en nous Son Esprit, Sa personne, Son agir. Aussi Jésus non seulement Se donne, Se livre à Judas, pour le péché du monde, mais aussi Il Se transmet Lui-même dans cet acte de dépouillement. Il Se donne Se donnant ! C’est là toute la richesse de l’Eucharistie qui contient par anticipation l’offrande de la Croix et dont le Lavement des pieds est la modeste image…

Jésus donne Sa vie, donne Sa personne, et en même temps qu’Il l’offre, Il va plus loin encore dans le don car Il La livre à notre communion en cet état d’oblation ! Il nous La donne, Il nous La confie. C’est l’Eucharistie : « Prenez, mangez-en tous, ceci est mon Corps, livré pour vous, donné à vous. »

 « Hoc est Corpus meum, quod pro vobis tradetur » Ce dernier mot latin signifie la transmission, la livraison… Le Corps du Christ est à la fois livré au bois de la Croix et livré à l’Eglise. Il est livré au peuple de Dieu car Il fut livré à la Croix. L’Eucharistie est à la fois sacrifice et nourriture, nourriture parce que sacrifice : « Prenez et buvez-en tous, ceci est la coupe de mon Sang, le Sang de l’alliance nouvelle, le Sang de l’alliance éternelle, versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. »

L’Eucharistie : nourriture parce que sacrifice…

L’Eucharistie est l’invention la plus génialement humble que Dieu pouvait faire pour prolonger jusqu’à la fin du monde et nous donner Son salut, et nous donner Sa vie offerte, cette Vie parfaitement donnée à nous comme aux apôtres.

Il y a autant de réalisme dans nos Eucharisties dominicales qu’il y a eu de réalisme à la Sainte Cène lorsque Jésus dit : « L’un de vous va me livrer… Judas, ce que tu as à faire, fais-le vite… » Quand nous communions au Corps de Jésus, même pécheurs, même en pleine trahison, Jésus vient en nous, Il Se donne… Il Se donne dans Son corps offert totalement, Il Se donne dans Son corps crucifié, Il Se donne avec Sa croix. Il se donne avec Sa Résurrection, Il se donne avec Sa Vie que nul ne prend et que Lui-même a offerte.

Dans l’Eucharistie, nous avons toute la Vie de Dieu, toute la Gloire de Dieu qui se résume, toute la Charité de Dieu qui se concentre et se diffuse de la Trinité à notre âme, en passant par Jésus. Pour que nous aussi fassions de même.

Par l’Eucharistie nous sommes identifiés à l’être de Jésus : « Qui mange ma chair demeure en moi et moi en lui »… afin d’être identifiés à l’agir de Jésus : « Qui me mange vivra par moi. »

Identifiés à l’agir de Jésus, nous sommes également identifiés à l’agir du Père qui a tellement aimé le monde qu’Il a donné son Fils pour sauver le monde… En effet, comme le dira Saint Jean concluant son épître : « Puisque Dieu nous a aimés ainsi, nous devons nous aussi nous aimer les uns les autres. »

« Celui qui mange de ce pain vivra à jamais. »

Dans l’Eucharistie, tout est compris : le sacrement de l’Eglise, le sacrement du Christ, le sacrement de l’Agapè, c’est-à-dire de la charité fraternelle, le sacrement de la Vie éternelle, le sacrement du pardon, le sacrement de l’homme en devenir sur le chemin du Royaume des Béatitudes…

Souvenons-nous de nos étapes quadragésimales. Le dimanche de la Samaritaine où Jésus se présente comme le Messie ; le dimanche de l’aveugle-né où Il se présente comme le Fils de l’homme ; le dimanche de la résurrection de Lazare où Il se montre comme le maître de la Vie. Et voilà que, dans un bouquet final, Il se dévoile comme nourriture sous les humbles espèces du pain substantiel, pain de Dieu qui descend du ciel pour donner la Vie éternelle : « Celui qui mange de ce pain vivra à jamais. »

La grâce que nous devons demander est de ressortir de la célébration de la Cène avec l’admiration de l’enfant devant cette Eucharistie, cette invention de Dieu devant ce cadeau si merveilleux par lequel Dieu transmet Son Christ et le Christ transmet Sa charité en transmettant Sa vie qui n’est rien d’autre que la communion au Père !

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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