Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« Magnifiques vous les pauvres… ! »

Lectio divina pour le dimanche 29 janvier 2017

L’Eglise, nous offre, à partir de ce 4ème dimanche et pour cinq semaines, de méditer le sermon sur la montagne, et nous vous proposons, pour en tirer le bénéfice maximum, de commencer par situer cet enseignement qui est comme la synthèse de l’Evangile chez Matthieu et Luc.

C’était en Juillet 28…

En février 28, Jésus se fait baptiser par Jean, dans le Jourdain, en Judée. Il va remonter rapidement, passer à peine quelques jours en Galilée ; là se situe probablement l’appel des quatre premiers disciples dont la Liturgie nous a parlé la semaine dernière.

Jésus redescend immédiatement, au mois de mars de cette première année de ministère public, avec Ses disciples, à Jérusalem, pour Sa première Pâque publique. Il y restera environ 2 mois, puis Il repartira sur la Galilée. Il ne redescendra à Jérusalem que deux autres fois : en décembre de cette même année 28 (ce sera l’épisode de la guérison de Béthesda), et pour y mourir, deux ans après, à l’occasion de la Pâque de l’année 30.

A part ces deux épisodes relativement brefs à Jérusalem (durant lesquels vont se situer par exemple, les discours à Nicodème), Jésus va exercer l’essentiel de Son ministère dans la région qui L’a vu grandir : la Galilée riante et paisible, entourant le lac de Tibériade. Au bord du lac nous avons Bethsaïde, (dont Pierre, Jean, Jacques, André sont issus) ; puis au nord la petite ville -mais très importante au point de vue commercial et militaire- de Capharnaüm où Jésus fera Son discours sur le Pain de Vie ; enfin à l’ouest de Capharnaüm, des pâturages et des champs, des petites collines où la tradition la plus ancienne situe le discours des Béatitudes qui inaugure le Sermon sur la montagne.

Nous voilà donc au moment où Jésus se trouve en Galilée pour la 2ème fois. Il est fort probable que le Sermon sur la montagne clôturant déjà une première partie de Sa prédication de Galilée ait été énoncé en juin ou juillet 28.

« Dieu a tant aimé le monde… »

Jésus, qui est nabi, rabbi, fait Ses premières armes chez les Siens. Cette prédication ne sera pas, au moins jusqu’au discours sur la montagne, une prédication vraiment intellectuelle ou théologique. Elle est essentiellement, après l’appel des premiers disciples, une manifestation de la miséricorde de Dieu envers les petits, les faibles, les pécheurs. Ces actes du Christ, Matthieu nous les raconte au chapitre 9 avec, par exemple la guérison du paralytique, l’épisode du repas de Jésus avec les pécheurs, l’épisode de l’hémorroïsse… Des miracles donc qui manifestent au plus haut point, et en même temps de manière extrêmement simple et concrète, la miséricorde de Dieu envers les petits.

Dans le même temps, dès ces premières armes de la prédication du prophète de Nazareth, va surgir une opposition qui n’ira qu’en grandissant jusqu’à la condamnation à mort : l’opposition des pharisiens. Qui sont-ils ?

« Et les siens ne L’ont pas reçu… »

Ces pharisiens sont une petite minorité que l’on estime environ à cette époque à six mille personnes, ce qui est fort peu par rapport à l’immensité de la classe sacerdotale. C’est une minorité intellectuelle qui a réussi à envahir par son influence, si ce n’est par une présence directe, les hautes instances du judaïsme de l’époque, à savoir le Temple et le Sanhédrin. C’est une intelligentsia qui fait peur par son rigorisme, sa science, son zèle et dont l’activité principale consiste à faire la glose ou l’exégèse de la Loi, de la Thora afin de pouvoir appliquer cette Loi de Moïse en toute circonstance, à tout instant et de la manière la plus adaptée.

Ces pharisiens se situent à l’opposé des sadducéens qui eux n’acceptent aucune glose de la Loi, mais qui, par contre, ont une position politique de compromission -on pourrait parler de collaboration- avec l’envahisseur romain. Le pharisien, lui, qui adapte la Loi non pas par laxisme, mais pour pouvoir effectivement l’appliquer en toute circonstance suivant la glose et l’exégèse des docteurs et des rabbins, n’a qu’une idée : instaurer le règne de Yahvé dans la nation.

« Servir dans la nouveauté de l’Esprit… »

Cette minorité de pharisiens est véritablement le cœur du judaïsme tant du point de vue religieux que du point de vue national. En général ils ne sont pas riches bien qu’appartenant à toutes les classes sociales. Ces pharisiens qui vivent pour la Loi, qui vivent de la Loi, versent dans le légalisme et le formalisme car leur application de la Loi est complètement détachée du cœur de cette Loi, de l’esprit de la Loi.

D’où cette opposition que l’on voit surgir dès les premiers instants du ministère public et qui grandira jusqu’à la condamnation à mort de Jésus, les pharisiens détenant par influence le pouvoir du Temple et le pouvoir du Sanhédrin. Cette opposition entre la lettre et l’esprit, les ténèbres et la lumière, la mort et la vie, tout ce combat gigantesque, Marc le décrira dans son évangile de manière tout à fait poignante. Opposition des pharisiens parce que le Christ s’approche des pécheurs, parce que le Christ mange avec eux, parce que le Christ guérit un jour de sabbat, parce que le Christ est bon, parce que le Christ interprète la Loi selon un esprit qui Lui est propre, un Esprit plein d’Amour et de Vie.

D’où, à la fin de ce premier ministère public de Galilée (mai – juillet 28), la remise en place des choses par Jésus proclamant Son Sermon sur la montagne, affirmation de la véritable théologie, du vrai sens de la Révélation de Son Père, par opposition au légalisme et au formalisme des pharisiens qu’Il a déjà perçus.

« La Loi de l’Esprit donne la Vie dans le Christ Jésus… »

Le discours sur la montagne se situe en clôture de ces deux mois de ministère de Galilée. Et pourtant, Matthieu (avec Luc) va le mettre au tout début, après avoir juste brossé un rapide tableau des premiers personnages attirés par le ministère de Jésus, à savoir les disciples et les foules séduites par les guérisons. Matthieu, qui est l’évangéliste du Temps Ordinaire de notre année A, place en tête du ministère public de Jésus, le Sermon sur la montagne, car pour lui, c’est l’essentiel de l’enseignement du Maître qui y est annoncé !

Pourquoi est-ce que c’est l’essentiel ?

Matthieu est juif. Il s’adresse aux juifs qu’il veut convertir en mettant en valeur, devant leurs yeux, l’accomplissement de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament. Non pas tant au niveau de l’application ou de la réalisation des prophéties comme étant la preuve de la messianité du Christ (son évangile est émaillé des prophéties de l’Ancien Testament qu’il applique au Christ en disant « comme dit l’Ecriture,… comme annonçait l’Ecriture… »). Ce n’est pas là l’essentiel, ce n’est que le moyen apologétique pour convaincre raisonnablement le juif auquel s’adresse Matthieu.

Ce qui importe pour Matthieu, c’est l’accomplissement de la Révélation de Dieu, une révélation disante et agissante… Et quel est le suc de cette révélation ? Yahvé est le Roi d’Israël ! Voilà à quoi se résume la Révélation pour le juif Matthieu.

« Es-tu Roi ? »

Cette royauté de Yahvé (que l’on retrouve dans l’Ancien Testament : « Le Seigneur est notre Roi… ») est limitée par les royautés humaines qu’Israël s’est attribuées. La plénitude de la Révélation pour Matthieu, ce n’est donc pas seulement l’accomplissement des prophéties en Jésus Christ, c’est la Révélation que le Christ est l’Envoyé de Dieu, Celui par lequel la royauté de Yahvé va être étendue de manière absolue.

D’où l’importance, au chapitre 3, du Baptême de Jésus. « Celui-ci est mon Fils bien-aimé… » : théophanie du Père, de l’Esprit, sous la forme de la colombe, et du Fils. Le Christ, Celui qui est Oint, est l’Avènement de la Royauté de Yahvé dans son intégralité.

Voilà pourquoi Matthieu va ordonner son évangile selon la logique du Royaume, le Royaume des Cieux, pour ne pas prononcer le nom de Dieu, en bon juif.

Tout l’évangile de Matthieu est ordonné dans cette logique par cinq discours.

Le premier discours est la proclamation de la charte de ce Royaume : le discours sur la montagne au chapitre 5 mis donc en avant, puisqu’il exprime tout l’esprit du Royaume des Cieux. Ensuite, le discours apostolique, c’est-à-dire la prédication de ce Royaume au chapitre 10. Puis l’aspect mystérieux, profond, par le discours des paraboles au chapitre 13. Nous aurons ensuite les prémices de ce Royaume – l’Eglise et les premiers disciples au chapitre 18. Et enfin, la plénitude eschatologique du Royaume, au chapitre 24.

Aujourd’hui nous nous situons dans la première partie qu’est la charte du Royaume. Et le chapitre commence lui-même par cet élan magnifique que sont les Béatitudes résumant, si l’on peut dire, tout le chapitre 5, c’est-à-dire le Sermon sur la montagne dans son intégralité.

« Je ne suis pas venu abolir mais accomplir… »

Les Béatitudes prononcées par Jésus font pendant au Décalogue donné au peuple d’Israël, par Moïse, sur ordre de Yahvé.

Le Décalogue sont les dix Paroles de Vie que Dieu énonce à l’homme pour le faire participer à Sa Vie. C’est une ordonnance à suivre pour entrer pleinement dans la Vie.

Les Béatitudes sont comme un nouveau décalogue, une révélation encore plus profonde et encore plus étonnante de la Vie de Dieu. Elles accomplissent (toujours ce sens de l’accomplissement en Matthieu) le Décalogue ancien : non pas abolir mais accomplir !

Cet accomplissement se réalise de deux manières.

De la première manière, on dira sur la forme, cela se fait en deux temps. D’abord par le Christ. Parce qu’Il est la Béatitude, c’est-à-dire qu’Il vit parfaitement (comme on aura l’occasion de le voir au long de l’année liturgique) la Béatitude de la pauvreté, de l’humilité, de la douceur, de la justice…

Ensuite par les chrétiens. Puisque nous sommes configurés au Christ par le baptême, nous avons donc nous aussi la possibilité d’accomplir ce nouveau décalogue, cette loi nouvelle.

Mais, de la deuxième manière, sur le fond, les Béatitudes accomplissent les Dix Paroles de Dieu de l’Ancien Testament parce qu’elles donnent un éclairage intérieur profond sur la nature même de Dieu qui nous invite à partager Sa Vie.

Dans le Décalogue lié à l’Exode, Dieu se révèle comme le Créateur et le Dieu Sauveur : « Tu feras mémoire du passage de Yahvé. » Dans les Béatitudes, Dieu se révèle comme le Pauvre, c’est-à-dire comme l’Amour dans l’Absolu.

Dieu est Pauvre et Humble car Il est Amour !

Nous avons l’habitude d’entendre ainsi les Béatitudes : « Heureux les pauvres, le Royaume des Cieux est à eux… Heureux les doux… Heureux les humbles, ils possèderont la terre… » En fait, cette béatitude que Jésus évoque et promet à ceux qui vont Le suivre, c’est, d’après le mot grec, la Gloire et la Joie du Roi, du Dieu-Roi, concept que l’on pourrait traduire par le mot « Magnifique » !

Ainsi : les deux premières qui ouvrent le discours et dans lesquelles le discours se résume : Magnifique l’Humble, Magnifique le Pauvre car le Royaume des Cieux est à lui ! C’est la définition même de Dieu !

Dieu est dans la Gloire, Dieu est dans la Joie parfaite parce qu’Il est Pauvre. Parce qu’Il est LE Pauvre, le Ciel c’est Dieu, Dieu est le Ciel. Cette conformité entre la Béatitude et l’existence de Dieu, l’être de Dieu, c’est la Joie et la Gloire de Sa Pauvreté. Et pour bien souligner, par rapport aux pharisiens, qu’il ne s’agit pas essentiellement d’une pauvreté matérielle, (bien que la pauvreté matérielle ait sa part), Jésus redouble cette première béatitude par la béatitude de l’humilité. « Heureux l’humble… » Ce n’est pas : heureux le pauvre en monnaie, en biens. C’est « Heureux l’humble… », -c’est-à-dire : « Magnifique est l’humble car il hérite de la terre promise. » C’est encore la définition de Dieu, qui se confond avec celle du Ciel, du Royaume.

Nous avons ces deux définitions qui s’appellent l’une l’autre, et se complètent pour donner le véritable sens que Jésus veut exprimer en parlant de la pauvreté de Son Père. Ce n’est pas la pauvreté physique (ce serait absolument absurde en Dieu), c’est la pauvreté du dépouillement, de l’humilité.

La pro-existence : n’exister que par et pour l’autre (St Jean Paul II)

 Pour nous, chrétiens, les Béatitudes nous sont données pour nous faire comprendre qu’il faut arriver, comme le Père et le Fils y arrivent, et avec Eux, à n’exister que par et pour l’autre ! Ainsi la personne du Père n’existe que dans l’engendrement du Fils, et la personne du Fils, n’existe que dans l’‘être engendré’ par le Père.

Voilà le dépouillement de Dieu et voilà la Loi nouvelle du Royaume à laquelle Dieu nous appelle !

« Heureux êtes-vous », dit Jésus… « Magnifiques » c’est-à-dire participants de la Gloire et de la Joie de Dieu, le Pauvre et l’Humble… dont le Christ est l’image visible ici-bas : « Qui me voit, voit le Père ! »

Heureux êtes-vous si vous arrivez dans l’accomplissement que Moi-même je fais sur la Croix à être, non pas pour vous-mêmes, mais pour les autres, à n’être que pour l’autre, à l’image de Dieu…

Heureux êtes-vous si vous arrivez à vous déposséder face à l’Absolu que représente Dieu, non pas un Absolu d’esclavage, mais l’Absolu de l’Amour, l’Absolu de la Pauvreté, de l’Humilité.

Magnifiques serez-vous dans la mesure où vous accepterez de vous définir, comme personne chrétienne par rapport à votre Père comme Moi, Son Fils, Je me définis, en pleine dépendance de Lui : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père. » C’est la pauvreté de l’esprit que nous demanderons à Dieu de nous donner dans la Liturgie du 4ème Dimanche Ordinaire.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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