Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« IL Y A PLUS DE JOIE AU CIEL POUR UN PECHEUR QUI SE CONVERTIT… »

Lectio divina pour le 5ème Dimanche de Pâques
Ac.6, 1-7 1 P.2, 4-9 Jn.14, 1-12

En ce 5ème Dimanche, lisant la prière essentielle de la Messe, et qui ouvre le culte, qu’est la Collecte, je pensais à cette anecdote que Dostoïevski écrit dans son livre L’Idiot, (ou, pour être plus précis dans la traduction : L’Innocent). Le héros du livre se promène et voit une petite mère avec son enfant. Et l’enfant, d’à peine 6 semaines, donne à cette mère son premier sourire. La mère s’épanouit, devient radieuse et aussitôt très pieusement se signe. Le héros demande alors : « Petite mère, pourquoi te signes-tu après avoir reçu le sourire de ton enfant ? » La jeune femme de répondre : « Parce qu’il y a autant de joie pour une mère à recevoir le premier sourire de son petit que pour Dieu de voir un pécheur qui prie. »

« Regarde avec bonté ceux que tu aimes comme un père… »

Dans cette réponse, si propre à Dostoïevski, est contenue toute l’essence du christianisme à savoir la découverte de la paternité de Dieu. « Regarde avec bonté ceux que tu aimes comme un père… » prions-nous au début de la Messe.

L’Évangile que nous venons d’entendre est une reprise sans cesse répétée de cette paternité de Dieu. « Qui me voit, voit le Père… », « Tu ne sais pas que le Père est en moi et que je suis dans le Père… », « Je monte vers mon Père… »

L’essence du christianisme, c’est cette révélation de la nature de Dieu comme Père : un père qui nous regarde et se réjouit en posant Ses yeux sur nous, comme le père se réjouit en regardant son enfant.

C’est aussi la révélation de notre réponse humaine à la présence de Dieu dans notre monde et dans notre vie, à savoir que c’est si simple pour nous de faire naître un sourire sur le visage de Dieu ! Nous avons ce pouvoir, conscients, -contrairement à ce bébé qui ne savait ni ce qu’il faisait ni le plaisir qu’il procurait à sa mère- de notre capacité à réjouir le Cœur de Dieu par notre prière. C’est extraordinaire !

« Demandez et vous recevrez ! »

Nous nous arrêtons trop souvent à la tristesse que nous engendrons dans le Cœur de Dieu par nos péchés, par nos misères. C’est vrai, il faut y penser. Mais ne pourrions-nous pas penser pendant ce temps pascal à la possibilité que nous avons de réjouir le Cœur de Dieu ?

Dostoïevski précise « en priant. »

Ce qui devient plus compliqué pour nous qui sommes quelquefois fâchés avec la prière. Est-ce bien nécessaire de prier(,) nous demandons-nous, puisque Dieu sait tout ce qui va nous arriver, puisque Dieu peut tout !?

Ou alors nous nous demandons : Puis-je oser prier moi qui suis si pécheur, si faible, si médiocre ?

Ou bien nous nous posons cette question : Que demander dans la prière, moi qui ai tant de besoins que je ne sais pas évaluer, trier ?

Et pourtant regardons nos Messes dominicales ou quotidiennes, cette heure que nous donnons à Dieu, elle est centrée autour de la prière !

Il y a trois prières dans la Messe.

La première et la plus fondamentale, qui va donner toute la direction de notre réflexion et de notre contemplation eucharistique, c’est cette Collecte qui nous rassemble et fait le troupeau au nom du Pasteur et autour du Pasteur. Arriver à la Messe après la Collecte n’a plus de sens : c’est la Collecte qui nous rassemble, c’est le coup d’envoi de notre communauté ecclésiale.

La seconde est la prière qui initiera la liturgie eucharistique : la Prière sur les offrandes. C’est elle qui va donner le coup d’envoi pour nous offrir à Dieu à travers le sacrifice du Fils.

Et la troisième est la prière d’action de grâce après la Communion.

« Accorde-nous la vraie liberté et la vie éternelle… »

Dans la Collecte d’aujourd’hui, nous demandons à Dieu de nous donner la Vie éternelle, la vraie liberté. Pour cela, nous sommes d’accord. Mais est-ce si facile que cela ? Suffit-il de demander à Dieu la Vie éternelle pour l’obtenir ? Non, la prière n’est pas de la magie ! Nous le savons bien, nous qui prions souvent sans nous voir exaucés…

Il est vrai que tout vient de Dieu, mais il est tout aussi vrai que tout dépend de nous. Il ne s’agit pas seulement de demander la Vie éternelle pour l’obtenir. Lorsque nous demandons la Vie éternelle et la vraie liberté à Dieu, cela veut dire que nous demandons d’avoir le désir de la Vie éternelle, d’avoir le désir de la vraie liberté afin d’orienter notre vie dans cette direction. Nous demandons d’avoir le désir de l’Eucharistie, d’avoir le désir de l’Église, d’avoir le désir de telle ou telle vertu…

Lorsque je demande à Dieu de me faire pauvre, ce n’est pas magiquement que je vais devenir saint François d’Assise ; je demande à Dieu qu’Il me donne le désir d’aimer la pauvreté afin d’orienter ma vie dans ce sens comme une réponse à la grâce première, à la grâce prévenante qu’Il m’a donnée, car c’est toujours Dieu qui initie le salut !

« Je pars vous préparer une place… »

Mais pourquoi demander le désir du Ciel ?

Demandons-nous plutôt si nous avons encore le désir du Ciel ! En effet, quelle est la place que nous réservons au Ciel dans notre réflexion, devant la multiplicité des réalités qui nous sont proposées dans notre vie ? Nous reste-t-il encore du temps pour émettre une pensée vers le Ciel ?

Déjà Pascal disait qu’à force de parler des choses temporelles nous arrivions à absolutiser le relatif et à relativiser l’éternité jusqu’à la réduire au néant ! Comptons donc le nombre de fois où dans notre journée, telle pensée, tel acte, telle parole est orientée vers le Ciel…

Un critère facile à utiliser pour jauger de mon appétence au Ciel : qu’est-ce qui compte à mes yeux : le jugement des hommes sur moi ou le jugement de Dieu ? C’est un petit examen radical que chacun de nous peut faire. Qu’est-ce qui nous intéresse, de paraître ou d’être ?

Nous avons donc légitimement le devoir, la nécessité de demander à Dieu de nous donner le désir du Ciel pour bien orienter, nos choix, nos décisions quant à notre famille, notre travail, nos relations amicales, quant à l’usage des biens de ce monde…

« Si le Christ nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres ! »

La vraie liberté est coûteuse elle aussi et nous la laissons derrière nous, nous l’étouffons.

La vraie liberté, la liberté profonde de l’homme, celle qui nous mène vers le Ciel, la liberté des enfants de Dieu comme dit saint Paul, elle vient de Dieu puisque le salut vient de Dieu.

La vraie liberté est commandée, non pas par mon vouloir, mais par le désir de Dieu.

La vraie liberté ce n’est pas le pouvoir d’agir. Les parents connaissent bien ça, lorsqu’à partir d’un certain âge, l’enfant demande d’être libre, de pouvoir aller et venir à sa guise… La liberté ce n’est pas de pouvoir agir, la liberté c’est pouvoir subir. Cela devient paradoxal : je suis libre parce que je peux pâtir (au sens philosophique du mot) c’est-à-dire être agi ! C’est la plus grande liberté, la seule liberté qui existe, qui est la liberté humaine. C’est pourquoi les animaux n’ont pas de liberté.

La vraie liberté, la seule liberté, c’est de pouvoir subir l’Amour, le désir de Dieu.

Nous remarquerons que cet Amour que Dieu nous porte et auquel Il va nous demander de répondre est la seule demande que Dieu fasse à l’homme. Cela montre bien que le seul choix véritable que l’homme ait dans sa vie, c’est de répondre ou non à cet Amour !

Souvenons-nous des apparitions à sainte Marguerite-Marie. Jésus apparaît à cette pauvre religieuse de Paray-le-Monial en lui montrant Son cœur de chair et lui dit : « Toi au moins, aime-moi. » Il lui fait cette demande qui résume toutes les demandes : « Toi au moins, aime-moi. », toi qui peux répondre à Mon Amour. Voilà ce qu’est la vraie liberté humaine.

La vraie liberté ce n’est pas le pouvoir d’imposer aux autres ce que je veux, ce que je pense, ce que je désire. La vraie liberté c’est presque tout le contraire. La vraie liberté est ce pouvoir qui m’est donné de répondre à l’Amour de Dieu et ainsi me libérer.

Car c’est lorsque j’aime l’autre, que je me donne à lui, qu’alors je me libère de moi-même. C’est quand nous sommes défaits de nous, c’est quand nous nous fuyons nous-mêmes, c’est quand nous nous oublions nous-mêmes, par amour pour l’autre, pour combler l’autre, pour faire grandir l’autre, c’est dans ce cas-là que nous sommes libres de nous-mêmes.

« Aimez-vous les uns les autres… »

Voilà la vraie liberté. Nous voyons bien qu’elle est difficile, même pour une maman, même pour un père. Jusqu’où aller dans le don paternel pour cet enfant qui me donne souci, qui est ingrat, qui est handicapé, qui ne sait pas ce qu’il veut, qui ment ? Jusqu’où aller pour un conjoint, pour un ami, pour un proche ? Nous remarquerons que lorsque nous mesurons notre réponse c’est parce que nous avons quelque chose autour de nous : nous avons une barrière de fils de fer barbelé qui nous empêche de sortir de nous-mêmes et de donner quelque chose de nous : du temps ou de l’argent, un service ou de la sollicitude, que sais-je…

Nous sommes enclos. Et pourtant nous avons des exemples.

Nous avons les saints, Saint François qui a tout laissé, Benoît, Don Bosco, nous avons Charles de Foucauld, et tant de grandes âmes qui se sont libérées elles-mêmes par amour de Dieu, pour tout donner à Dieu et au monde et à leurs frères !

« …Comme je vous ai aimés ! »

Nous avons surtout l’exemple de Jésus : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père. » C’est cet Amour qui a permis à Jésus d’être tellement libre de lui-même qu’Il a donné Sa vie, Son Corps et Son Sang. Ce qui fait la valeur de la croix ce n’est pas la mort de Jésus, c’est que cette mort ait été acceptée, choisie librement : « Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne. »

C’est ce que précisent clairement les paroles de la Consécration : « Au moment d’entrer librement dans sa Passion »… C’est cela qui fait la valeur du don de Jésus. Il est libre. C’est pourquoi Jésus insiste sur cette liberté qu’Il est venu nous offrir par Son enseignement : « La vérité vous rendra libres. »

Voilà la vraie liberté que nous avons à exercer jour après jour, toujours un petit peu plus dans notre vie, c’est-à-dire dans notre relation à l’autre puisque notre vie n’est qu’une relation à l’autre : Dieu, nos frères, nos sœurs, nos proches, nos amis, nos concitoyens…

Nous comprenons donc comme il est nécessaire, devant une telle définition de la liberté, de la Vie éternelle, de demander à Dieu de nous donner le désir de cette Vie éternelle et de cette liberté pour que nous puissions orienter un peu plus, un peu mieux notre vie en fonction de cette donation. Afin de faire naître sur le visage du Père un sourire : celui que vous, les mamans et les papas, vous avez eu la joie de voir sur le visage de vos enfants.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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