Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

«LA MESURE DE L’AMOUR EST D’AIMER SANS MESURE ! »

Lectio divina pour le 4ème Dimanche de Carême
Jos. 5, 9.10-12; 2 Cor.5, 17-21; Lc15, 1-3.11-32

Nous connaissons bien le dimanche de Laetare. Cette année, ce dimanche de la joie coïncide avec l’enseignement si connu de nous tous de la parabole du fils prodigue. On devrait d’ailleurs appeler cette histoire la parabole de la tendresse du Père. « Un homme avait deux fils… »  nous montre que le personnage central décrit par Jésus puis par Luc c’est cet homme ! « Et le plus jeune dit à son père… » ce qui nous confirme que la relation dont il est question, c’est effectivement une relation de paternité ! C’est dans cet esprit qu’il faut lire l’épisode.

Le ‘Christ-Roc’, Source de la charité…

Je propose que nous regardions cette péricope en fonction de la place qu’elle tient dans notre Carême. L’Evangile du fils prodigue est en effet lu moultes fois dans l’année ; mais pourquoi est-il donné à notre réflexion pendant le Carême ? Quelle place a-t-il ? Quelle valeur ?

La place qui lui est donnée est bien définie. Nous nous souvenons que dimanche dernier la Liturgie proposait à notre contemplation le mystère du ‘Christ-Rocher’ sur lequel s’appuie notre foi et duquel coule en abondance notre charité.

L’appui de la foi, le soutien de la foi du ‘Christ-Roc’ nous renvoyait alors au deuxième dimanche, le dimanche précédent qui était celui de la Transfiguration du Christ se montrant dans Sa gloire pour confirmer la foi de Ses disciples.

Par contre ‘Christ-Roc’ en tant qu’Il est la Source de l’Esprit de la charité nous renvoie à notre dimanche d’aujourd’hui avec l’épisode du fils prodigue.

Lætare, une fenêtre ouverte vers la fin du Carême

Mais il nous faut voir comment cette parabole du fils prodigue explicite le rôle du Christ comme soutien de notre charité.

La première Lecture va tout de suite orienter le sens de notre démarche. C’est le récit tout à fait humble et sympathique, mais fondamental, de la première Pâque en Terre Promise.

Nous savons que la Pâque est le mémorial de la sortie d’Egypte, de l’Exode, et que Yahvé demande à Son peuple de se souvenir, de faire mémoire pour l’éternité de cette Alliance de Salut.

Mais voilà qu’enfin, au bout de quarante ans d’exode, de marche et de tribulations dans le désert, le peuple entre en Terre Promise et célèbre cette fin d’exode, par la première Pâque de la liberté !

C’est dire que notre dimanche de la joie -et pour cause, nous allons comprendre !- est, sur la route de notre Carême, une fenêtre ouverte vers la fin de ce Carême, vers la fin de notre exode, de notre marche dans le désert dans le silence, avec notre ascèse, notre dépouillement et notre prière par laquelle nous recherchons Dieu.

« Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. »

L’Eglise pour stimuler, pour raviver nos forces et pour nous encourager pour la dernière étape, nous ouvre cette fenêtre vers une double réalité, ou plutôt une réalité à double aspect figurée par cette première Pâque en Terre Promise.

Nous avons d’abord le mystère de la Pâque en elle-même qui est figure de la Croix sur laquelle l’Agneau sera immolé pour effectuer la Réconciliation de Dieu avec l’humanité.

Puis il y a la Terre Promise qui est figure du fruit de cette Réconciliation universelle : la vie en Dieu, la Vie éternelle.

Avec cet arrière-plan, la parabole du fils prodigue prend une coloration particulière.

Nous savons que dans cette parabole le père représente Dieu attendant et accueillant le fils, c’est-à-dire l’homme pécheur, celui qui est parti loin du Père pour mener une vie de désordre. Et le Père est là, au seuil de Sa maison. Il attend. Sitôt que le pécheur revient et se rapproche de la maison paternelle, le Père court, se précipite pour accueillir Son enfant, lui pardonner, lui faire fête, lui rendre sa filiation, lui rendre la vie, lui rendre Son amour…

Mais à la lumière de notre Carême et de la première Lecture narrant la fin de l’exode, que va devenir cet évangile du fils prodigue ?

« Je vais retourner chez mon père… »

Deux points sont à souligner. D’abord que la réconciliation personnelle de l’âme avec son Dieu est une fenêtre ouverte, comme la première Lecture nous le suggère, sur le Mystère de la Pâque, mystère de la Réconciliation de l’humanité avec Dieu.

La réconciliation de l’homme pécheur, du baptisé avec son Dieu, est une fenêtre ouverte c’est-à-dire une communication (j’ouvre la fenêtre pour voir, pour parler, pour interpeller quelqu’un qui passe), une compréhension (j’ouvre la fenêtre pour justement contempler le paysage en me levant le matin…), une communion (j’ouvre la fenêtre et je suis en communion avec ce qui vient de l’extérieur : les odeurs, les bruits, les couleurs, les gens qui passent, la vie)…

Donc la réconciliation de mon âme avec mon Dieu est cette communication, cette compréhension, cette communion à la Réconciliation universelle de Dieu avec l’humanité faite à la Croix.

Deuxième point : Puisque, à travers l’entrée dans la Terre Promise, notre dimanche est aussi une fenêtre ouverte sur la Vie éternelle (conséquence d’ailleurs de la Réconciliation de Dieu avec l’humanité), cela veut dire que l’évangile du fils prodigue nous dévoile la réconciliation personnelle comme une fenêtre ouverte sur cette Vie éternelle. Oui, la réconciliation de mon âme avec mon Dieu, librement voulue (comme le fils prodigue : avec toutes ses faiblesses, on ne sait pas trop quelle était la sincérité de l’homme mais peu importe à Dieu !) est une fenêtre ouverte sur le fruit de la Réconciliation, la Terre Promise, c’est-à-dire la Vie éternelle en Dieu, ce qu’on appelle par commodité le Ciel.

« Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! »

Nous voyons donc l’importance de cette parabole lorsqu’on la resitue dans le contexte du Carême et en fonction de cette première Lecture : il est nécessaire de passer par la réconciliation de mon âme avec mon Dieu pour appréhender, communiquer, communier à la Réconciliation universelle de la Croix.

De même il est nécessaire de passer par cette réconciliation pour comprendre, communiquer, appréhender, saisir, communier avec ce mystère des mystères (au niveau philosophique comme religieux) qu’est l’Au-Delà, l’union à Dieu, la Vie éternelle.

D’où l’importance chez saint Paul de cet appel à la réconciliation qui n’est pas un devoir que Dieu exige de nous, mais qui est un droit que Dieu nous donne sur Son Cœur, ce qui est totalement différent !

Il ne s’agit pas tant d’aller à confesse par devoir ; il s’agit d’entrer dans cette démarche du Père qui attend Son fils, dans cette démarche individuelle au sens de la relation personnelle comme nous avons une relation personnelle avec notre enfant, notre conjoint, notre frère. Et par cette démarche personnelle nous entrons, dit saint Paul dans la deuxième Lecture, dans le « monde nouveau » qui est celui des hommes réconciliés par le Christ avec leur Dieu.

Oui, celui qui participe dans sa réconciliation personnelle à la Réconciliation du Christ avec l’humanité, celui-là entre déjà dans la Vie éternelle c’est-à-dire dans l’union à Dieu, dans le face-à-face, dans le mariage mystique !

« Et la terre donnera son fruit…»

Nous voyons ainsi l’importance de la réconciliation ! Oui c’est un sacrement, bien sûr, mais c’est un passage obligé ! Non pas que Dieu l’exige. Dieu ne s’imposera jamais à vous. Dieu propose, comme Il a proposé à Son Fils d’offrir Sa vie pour le Salut du monde, écrivait Claudel.

Dieu nous invite. Dieu nous invite à prendre sur nous, à accepter le Sacrifice du Vendredi Saint que l’on célébrera dans quelques semaines, pour le faire nôtre, pour que le fruit soit nôtre, pour que le fruit pousse dans notre âme, comme le suggère la première Lecture : « et la terre donnera son fruit »… Voilà le fruit de la terre, de la bonne terre qui est mon âme ensemencée par la parole du pardon, pour que la réconciliation ne reste pas seulement au niveau de l’abstrait.

Nous nous souvenons de ce que dit Jésus dans d’autres passages de l’Evangile : « Quand viendra la fin des temps, une femme sera laissée l’autre sera prise, un homme aux champs sera laissé l’autre sera pris… »

Et nous serons là, à la porte du festin à dire : Seigneur ! Laisse-nous entrer ; nous avons bien pratiqué, nous sommes allés à la Messe, nous avons versé notre offrande… Mais voilà, répondra le Christ, êtes-vous passés, mes chers enfants, par ce sacrement de la réconciliation personnelle qui vous fait vous mettre à la table de la Réconciliation faite sur la Croix avec toute l’humanité ? Avez-vous voulu goûter à cette Vie éternelle ? Avez-vous voulu goûter à ce fruit pour contrebalancer la tentation d’Eve avec le fruit présenté par le serpent ? Avez-vous eu cette envie de goûter à Mon Alliance, à l’union de votre âme avec Moi par le sacrement de la Réconciliation, à entrer déjà dans la Vie éternelle : oui ou non ? Oui ? Alors vous y êtes ! Non ? De quoi vous plaignez-vous alors ?

« Il nous a donné de travailler à cette réconciliation. »

Et le message à retenir est le message de saint Paul. Nous comprenons pourquoi dans l’Eglise, les ministres nous haranguent à temps et à contretemps en nous disant à la suite de saint Paul : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » Saint Paul nous dit même que c’est là le travail pastoral essentiel : de le faire comprendre, de le faire admettre, de le faire vivre, de le faire expérimenter par tous les baptisés !

Ce n’est pas de la dureté comme certains le pensent peut-être. Nous ne voulons briser personne, mais nous avons envie tous ensemble de partager cette joie du fils prodigue qui revient vers le Père ; oui, prendre dans notre cœur cette Réconciliation du Vendredi Saint, goûter cette Vie éternelle, ce « monde nouveau qui est déjà né. »

Alors nous demandons la grâce adéquate : celle-là même que nous avons priée dans la Collecte : nous hâter vers Pâques, comprendre quel est le chemin, l’autoroute même !, capable de nous faire communiquer et surtout communier avec Dieu !

On parle tellement aujourd’hui des autoroutes de la communication ! Savons-nous ce que c’est ? Pour nous croyants, la grande autoroute de la communication ce sont les sacrements et plus particulièrement celui de la Réconciliation qui nous fait communiquer amoureusement avec notre Père, nous ré-unir à Lui !

« Augmente la foi de ton peuple pour qu’il se hâte avec amour ! »

Car nous demandons en effet, dans la Collecte, de nous hâter avec amour.

Je terminerai en précisant : il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que nous puissions donner à Dieu que de donner notre vie c’est-à-dire donner nos misères, Lui ouvrir notre cœur, Lui faire foi, adhérer à ce qu’Il nous dit dans cette parabole.

C’est extraordinaire et nous l’expérimentons avec les enfants. Quand un enfant a confiance dans l’amour que nous lui manifestons, comme c’est beau ! Oui papa, oui maman, je sais que tu m’aimes, je sais que tu as tout fait pour moi, que tu te sacrifies, que tu es toute maternité, toute paternité, même avec les défauts qu’ont tous les parents humains…

Eh bien pour nous vis-à-vis de Dieu, c’est égal. Oui Seigneur, je sais que Ton Amour est si infini que, quel que soit l’éloignement dû à mon péché, Tu es toujours déjà là, Tu m’attends et Tu vas te précipiter vers moi ! Oui je sais que Ton Cœur n’a pas de mesure, que je vais pouvoir enfouir ma misère en Lui, alors, oui, je Te donne ma vie !

Car c’est cela donner sa vie ! Ce n’est pas donner ses prétentions, ce n’est pas donner ses qualités : Dieu n’a rien à faire de nos qualités ! Il n’attend qu’une chose : que nous Lui offrions nos misères en ayant confiance en Son pardon ! L’Eglise vit de cet échange : Dieu donne Son Fils, chacun de nous donne en confiance toute sa misère !

 

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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