Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« JE MONTE VERS MON DIEU ET VOTRE DIEU, VERS MON PERE ET VOTRE PERE ! »

Lectio divina pour le 3ème Dimanche de Pâques
Ac.2, 14-33 1Pi.1, 17-21 Lc.24, 13-35

Pour la deuxième fois en peu de temps, l’Église nous donne à méditer ce texte des disciples d’Emmaüs, propre à l’Évangile de Luc non seulement parce que c’est le seul évangéliste qui nous rapporte cette histoire, mais parce qu’il le fait à sa manière bien caractéristique. Je retiendrai seulement deux points : un point sur le fond et un point sur la forme.

Le Christ est mort et Il est ressuscité !

Le fond, c’est le thème de la route, qui est cher à l’évangéliste de la miséricorde. Et la forme, c’est ce genre littéraire que l’on appelle l’inclusion. Prenons notre texte et regardons : le premier verset correspond au dernier, le second à l’avant-dernier, etc… Et le mouvement de tous les versets se concentre vers un verset unique qui est le thème central, le nœud de cet épisode.

Ce verset vers lequel tout se concentre est celui-ci : « Ne fallait-il pas que le Messie souffrit pour entrer dans sa gloire ? » C’est le kérygme ou message fondamental de la catéchèse de l’Église dès les apôtres : le Christ est mort et Il est ressuscité.

« Là où il passait, il faisait le bien…»

Regardons d’abord le thème de la route.

Nous aurons remarqué qu’il est effectivement employé à plusieurs reprises et pour des enseignements importants par Saint Luc, à commencer bien sûr par le fils prodigue : lorsque le fils revient sur sa route, le père sort sur la route, court sur la route et l’embrasse sur la route ; il y a aussi l’épisode du bon samaritain : « Un homme descendait, prenant la route de Jérusalem à Jéricho, qui tomba dans les mains des brigands. »

Mais il y a d’abord, tout simplement, Jésus qui, d’une certaine manière, est né sur la route lorsque Marie et Joseph s’en allaient pour le recensement à Bethléem. Jésus, dont toute la vie, nous raconte Luc, est une vie de pèlerinage.

L’évangile de Luc est finalisé par Jérusalem et la vie publique de Jésus est une montée, un pèlerinage vers Jérusalem. D’où, d’ailleurs, cette grande incise propre à Luc, et qui rassemble les chapitres 9 à 19 décrivant cette ultime montée de Jésus quittant la Galilée, avec Ses apôtres, pour monter vers Jérusalem.

Jésus est l’homme qui passait, qui faisait le bien sur la route comme précise Luc dans les Actes des Apôtres. Finalement, Luc, par tous ces thèmes, ces paraboles, ces images, ces histoires, veut nous montrer que Jésus s’incarne pour être sur la route de l’homme, pour marcher avec les hommes, comme Il marche avec les deux disciples d’Emmaüs.

« Je suis la voie… »

Dieu se fait homme pour rejoindre l’homme, pour l’accompagner, pour partager sa vie, pour partager ses joies, pour partager ses peines, ses souffrances, ses désespoirs, comme Il a rejoint la vie de Cléophas et de son ami qui avaient mis toute leur espérance dans ce libérateur d’Israël, puissant en œuvres et en paroles, et qui fut condamné et mis à mort sur une croix comme un vulgaire brigand.

Jésus, donc, est là pour accompagner l’homme, pour être avec lui dans ses moments les plus pénibles. Il est là même pour l’accompagner lorsqu’il s’éloigne de Dieu et lui permettre de reprendre la bonne voie.

Ce n’est pas sans motif que Luc nous montre ces deux hommes qui s’éloignent de Jérusalem, Jérusalem étant le centre de la révélation de Dieu, étant le lieu du Temple, le lieu de l’Arche d’Alliance où sont contenues les Tables de la Loi, le lieu du culte par excellence, le lieu du sacrifice.

Voici que ces deux hommes, sans penser à mal, mais parce qu’ils n’ont pas encore compris, s’éloignent de Jérusalem comme le fils prodigue s’éloigna de la maison paternelle. Et Jésus va les rattraper pour les ramener à Jérusalem, pour les ramener au foyer central, pour les ramener là où Dieu est, là où Dieu parle, là où Dieu illumine et réchauffe : « N’avions-nous pas le cœur ardent quand il nous racontait les Écritures ? »

« Reste avec nous car le jour baisse ! »

Jésus est donc là, près de l’homme, compagnon de l’homme, même dans sa misère, même dans son éloignement de Dieu, pour ramener l’homme à Son Père, pour ramener l’homme au Temple, à Jérusalem, haut lieu de la Parole.

Ceci nous donne le droit le plus absolu d’appeler Jésus à rester avec nous, puisque c’est pour cela qu’Il est venu : « Reste avec nous car le jour baisse. »

Le jour baisse. C’est-à-dire le désespoir nous envahit, la fatigue, la tristesse, encore une fois. Et combien de fois dans notre vie n’avons-nous pas senti que tout fuyait, tout coulait, tout était caduc : nos certitudes humaines, sentimentales, morales, le monde dans lequel nous sommes, la famille, la cellule, la communauté, tout avait l’air de partir, de fuir, de ne pas pouvoir être maîtrisé par notre regard, par notre esprit, par notre cœur ! À cet instant-là, nous nous tournons vers l’Immuable, vers Celui qui reste pour nous, même dans le souvenir lointain d’un catéchisme d’enfance, « Celui qui est », Celui auquel nous pouvons nous raccrocher.

Si Dieu ne veut ni ne souhaite les évènements malheureux de nos vies, Il met à profit ces évènements difficiles pour provoquer en nous cet appel à Le faire venir et Le faire rester près de nous. « Reste avec nous car le soir baisse », le jour tombe, la nuit vient. Nous avons peur, nous ne savons plus où aller, nous ne savons plus qui nous sommes, « Reste avec nous… » Ainsi, Jésus commencera de s’éloigner pour provoquer chez ces deux disciples la première approche de la foi, de la confiance : « Reste avec nous ! »

« Ne me touche pas ! »

Alors, arrive cet épisode extraordinaire de la fraction du pain qui nous montre de quelle manière Jésus restera avec nous, près de nous, pour éclairer notre vie, pour nous ramener, dans notre vie et par notre vie, près de Son Père. Il prend soin de ne pas laisser l’homme se contenter d’une sensibilité, d’une sentimentalité provoquées par une présence palpable, à laquelle les disciples d’Emmaüs s’accrochent naturellement. C’est ce qu’Il dira également à Madeleine : « Ne me touche pas… »

À la fraction du pain, ils vont Le connaître. Mais Jésus les oblige à quitter l’apparence, à quitter ce niveau sensible sur lequel nous nous arrêtons dans la vie quotidienne lorsque nous parlons d’un prochain, d’un évènement : le voir, le senti.

Même nous qui n’avons pas vu et qui ne voyons pas Jésus, nous pourrions être aussi tentés de rester accrochés à cette expérience du sensible dans notre prière, dans notre relation à Dieu. Alors, dès qu’arrive la réjouissance intérieure, spirituelle provoquée par notre contact avec le Christ, Celui-ci, comme avec les disciples d’Emmaüs devient invisible pour nous dire : entrez en profondeur dans une relation intérieure, dans une relation de foi. Comme Il disait à Ses apôtres : « Demeurez en moi, comme moi je demeure en vous. »

« Ils le reconnurent à la fraction du pain… »

Jésus essaye de transformer notre relation spontanée à Lui, le lien sensible qui automatiquement freinera notre adhésion profonde, de confiance, à Sa personne. Et Il nous donne un autre type de relation qui est le sacrement : « Ils le reconnurent à la fraction du pain et aussitôt ils se levèrent et s’en retournèrent à Jérusalem », Jésus étant devenu invisible.

Nous ne devons pas nous arrêter à la sensation, ni aux sentiments que nous avons de Jésus. Nous ne devons pas nous arrêter à ce que nous ressentons en priant Jésus, parce qu’à ce moment-là notre regard ne va plus à Jésus, mais s’arrête à notre sentiment !

Nous devons au contraire essayer de nous nourrir de Lui par la présence sacramentelle et nous laisser convertir dans ce cheminement qui nous fait passer du voir au croire. Oui, essayons de nous convertir, de nous retourner comme les disciples d’Emmaüs s’en retournent à Jérusalem. C’est cette conversion, ce retournement de l’esprit que Jésus nous demande.

« Nous aussi, nous l’avons rencontré. »

Nous devons retourner à Jérusalem pour témoigner.

D’abord, en présentant notre expérience de Jésus à la mesure de l’Église : « ils allèrent trouver les apôtres. » C’est parce que, Jésus étant apparu à Simon-Pierre, les apôtres leur disent : « Oui, il est vraiment ressuscité », qu’alors ils racontent ce qu’ils ont vu : « Nous aussi, nous l’avons rencontré. »

Donc, notre état de chrétien, lorsque nous avons fait cette expérience intérieure -et de foi- de la rencontre du Christ, nous pousse à apporter cette expérience et à la mesurer à la sagesse de l’Église, au Magistère, à la Tradition de l’Église pour en connaître la certitude, la sûreté, la justesse, avant que de témoigner.

« Celui qui me mange vivra par moi. »

Témoigner de quoi ? Témoigner que l’Eucharistie, ce sacrement par lequel les disciples d’Emmaüs reconnurent Jésus, pour nous chrétiens, est la forme permanente de l’apparition du Christ ressuscité.

Nous aimerions bien être les disciples d’Emmaüs, nous aurions bien aimé être Marie-Madeleine, nous aurions bien aimé être Thomas, pour pouvoir mettre nos mains dans les stigmates de Jésus, dans Son côté, dans Ses plaies…

Mais nous avons tout autant avec le sacrement de l’Eucharistie ! Avec le sacrement de l’Eucharistie, nous avons Jésus dans Son Corps douloureux et dans Son Corps glorieux.

Nous avons Jésus sur l’autel avec Son Corps d’un côté et Son Sang de l’autre, séparation qui signifie le sacrifice et la mort.

Et nous avons Jésus dans Son Corps glorieux, dans Son Corps vivant. Il nous l’a dit : « Je donnerai ma chair pour la vie du monde, pour que les hommes aient la vie. » S’Il donne Sa chair pour que les hommes aient la Vie, c’est parce que Sa chair est vivante !

Nous avons le Corps glorieux, ressuscité et vivant de Jésus qui est là pour nous accompagner, pour nous faire entrer dans le mystère du Christ, comme la fraction du pain a fait entrer les disciples d’Emmaüs dans le mystère de Jésus ressuscité.

« Et que moi aussi je sois en eux. »

Ce sacrement nous permet d’entrer dans le mystère de Jésus qui est le mystère de Sa filiation, et ainsi d’invoquer le nom de Dieu en lui disant Père ! C’est ce que rappelle l’apôtre Pierre, dans la deuxième lecture, qui nous donne. « Je monte vers mon Dieu, votre Dieu, vers mon Père et votre Père. »

De cet épisode d’Emmaüs, nous pouvons donc retenir trois points.

D’abord, l’homme marche sur une route qui est sa vie et qui est la Vie.

Ensuite, la Vie du Christ, la Vie éternelle de Jésus qui est assis à la droite du Père, c’est d’être avec l’homme, d’accompagner l’homme dans sa vie.

Et la réponse de l’homme à cette venue de Jésus, c’est d’accepter par la foi Sa compagnie, de faire route en confiance avec Jésus mort et ressuscité, vivant éternellement à Ses côtés, tout particulièrement par l’Eucharistie.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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