Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

FILS ET FRÈRE, FILS ET DONC FRÈRE, FRÈRE PARCE QUE FILS…

Lectio divina pour la solennité de la saint Martin du 11 novembre

Is. 61, 1-3 Phil. 1, 20-24 Mt.25, 31-40

Cette solennité de la Saint Martin est pour nous un beau temps de plaisir et de joie, en particulier parce qu’elle nous permet de dévoiler une part de l’Esprit qui souffle sur notre famille martinienne et la fait vivre au cœur de l’Église. Comme membre de cette Communauté depuis ses origines, je propose de vous présenter ce qui constitue, à mon regard, l’originalité de notre famille spirituelle

 

« Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits… »

Je laisse de côté la carrière militaire de Martin qui avait fait de lui un homme de déplacement au service de la mission.

J’insisterai aujourd’hui sur notre charisme de la vie fraternelle que nous voulons vivre selon cette parole de Jésus : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Martin fut l’inventeur, avec Eusèbe de Verceil son contemporain, de la vie commune des prêtres. Cependant, ce qui distingue Martin de l’évêque piémontais, c’est le soubassement qu’il donna à cette vie sacerdotale partagée.

Martin eut en effet deux influences décisives qui modelèrent son tempérament à travers son histoire personnelle. Tout d’abord l’influence paternelle qui fut particulièrement forte et à laquelle il ne voulut point se soustraire : c’est dans l’obéissance à son père qu’il entra dans l’armée.

L’armée elle-même exerça ensuite la deuxième influence déterminante, faisant de ce jeune homme un officier exemplaire par sa disponibilité à servir l’Empereur jusqu’au moment où il fut légalement libéré de son engagement.

« L’école du service de Dieu »

Si j’insiste sur cette jeunesse de Martin, c’est pour faire ressortir un aspect essentiel de sa spiritualité qui rejoint ce qui fera plus tard la trame de fond de la Règle bénédictine : l’obéissance et la docibilité au maître pour se laisser former dans le service du Seigneur.

En un mot, Martin à sa manière vit, quoique prêtre, puis évêque, dans l’esprit de la Scola, « l’école du service de Dieu » comme se définissent les monastères.

C’est, très naturellement, dans cette tendance spirituelle qu’il regroupa ses prêtres autour de lui dans le cadre de sa mission épiscopale.

Ce n’est donc pas sans raison que nos frères bénédictins ont la mauvaise tendance à s’approprier le patronage de Martin comme père de la vie monastique en France ! Mais ne faisons pas procès pour cette captation d’héritage : nous sommes trop proches les uns des autres !

« Écoute ô mon fils… »

C’est en effet revêtu de l’oblature bénédictine que Monsieur l’Abbé Guérin fonda la Communauté Saint-Martin, reproduisant ainsi, assez spontanément, cet aspect particulier de l’esprit de Martin que je viens de rappeler.

Ainsi, le soubassement de la vie fraternelle que notre Fondateur désirait pour ses fils, était bien l’apprentissage du service du Seigneur, dans la mouvance traditionnelle de la Scola monastique.

Ce n’est pas par hasard que je parle de fils. La Règle de la Scola s’adresse en effet au chrétien comme à un fils : « Écoute ô mon fils… » Plus exactement, elle a pour fin de transformer ce chrétien en fils en lui découvrant la paternité de Dieu et en la lui faisant accepter dans l’humilité joyeuse.

« Dans la communion des cœurs et des biens. »

C’est sur cette découverte de la filiation envers Dieu Père que le futur diacre et prêtre pourra fonder en vérité sa fraternité sacerdotale.

La vie commune des clercs est proposée par bien d’autres courants spirituels de type canonial issus pour la plupart du tronc commun augustinien auquel notre Fondateur se référait également.

C’est en effet l’évêque d’Hippone qui fut le grand promoteur, en Afrique, de la vie sacerdotale partagée « dans la communion des cœurs et des biens. » Nombreuses sont ainsi les familles religieuses qui s’en réclament et desquelles nous nous sentons toujours très proches. C’est le cas par exemple des Dominicains, des Prémontrés ou des diverses compagnies de Prêtres créées dans le sillage de la Contre-Réforme.

Fils et donc frères !

En nous situant à côté de ces grandes familles religieuses, notre particularité ressort cependant clairement qui consiste à allier à la fraternité sacerdotale recherchée comme finalité ultime, une vie familiale enracinée dans la spiritualité filiale de la Scola. L’intérêt de cet alliage de deux courants réside dans leur mutuelle dépendance profonde lorsqu’on lève les yeux de l’histoire pour les regarder au plan théologique.

Fils et donc frères : c’est une seule et même chose ! Comme il n’y a qu’un commandement à deux facettes : tu aimeras Dieu, car il est ton Père et tu es son fils, et tu aimeras ton prochain car il est ton frère ! Nous ne pourrions pas vivre vraiment en frères si nous ne nous laissions d’abord former à vivre en fils du Père. Ni instaurer un lien fraternel sans nouer d’abord le lien filial.

Jésus lui-même nous laisse l’exemple : c’est en vivant parfaitement sa filiation divine qu’Il peut voir tous les hommes, sans exception, comme ses frères. D’où la formation filiale donnée par l’« école du service du Seigneur » pour atteindre à une vraie fraternité qui soit plus qu’un simple groupe de camarades réunis par des idées, un combat commun ou des affinités électives.

La fraternité des âmes est l’accomplissement de la relation filiale

Il faut se former à être un peuple de fils pour devenir aussi un peuple de frères. En allant plus loin, on pourra même affirmer que la fraternité des âmes est l’accomplissement, l’achèvement de la relation filiale que l’âme entretient avec son Père.

Nous savons que la parole de l’apôtre Jean est paradigmatique du double commandement de l’amour : « Celui qui dit aimer Dieu et n’aime pas son frère est un menteur. »

À la lumière de ce qui vient d’être dit, ne lisons donc pas la vie fraternelle comme seulement un audit obligé de notre vie filiale avec Dieu. Elle est vraiment la réalisation de cette vie filiale, son épanouissement, on pourrait dire, sa consécration !

Je voulais souligner ainsi un trait de notre Communauté. L’esprit de la Communauté Saint-Martin est fruit de la conjonction de deux courants spirituels traditionnels de l’Église, le sillon monastique et le sillon canonial qui, tracés dans le cœur de chaque membre, le font être tout à la fois fils et frère, fils et donc frère, frère parce que fils.

C’est ce qui donne à nos communautés cet inimitable mélange d’esprit familial et fraternel.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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