Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

ÊTRE LA DEMEURE DU PROCHAIN COMME LA DEMEURE DE DIEU !

Lectio divina pour le 31ème Dimanche Ordinaire
Deut.6,2-6 ; Héb.7,23-28 ; Mc.12,28-34

Luc place cet épisode du scribe durant sa fameuse grande incise racontant la montée de Jésus vers Jérusalem du chapitre IX au chapitre XIX. Matthieu et Marc eux, placent cet épisode juste un peu plus loin, après l’entrée messianique du Christ à Jérusalem c’est à dire le jour des Rameaux

« Un scribe s’avança vers Jésus… »

Mais si Matthieu et Marc placent ce récit à la même date, le contexte chez les deux synoptiques est différent.

Chez Matthieu l’épisode s’intègre dans toute une dynamique de diatribes entre les pharisiens et Jésus, entre les scribes qui essaient de piéger Notre Seigneur en Lui posant des questions vicieuses sur la résurrection des morts (à cause de la problématique entre pharisiens et sadducéens), sur l’impôt de César (à cause du problème de la domination romaine) et enfin, là, sur la Loi (étonnés qu’ils sont de voir Jésus tant s’occuper des pauvres et des exclus). C’est dans l’esprit de Matthieu qui essaye toujours de convaincre ses coreligionnaires en leur montrant leurs a priori et leur manque de justice dans leur approche de Jésus.

Marc, secrétaire de Pierre, se situe à un autre niveau, beaucoup moins polémique et, comme Luc, plus miséricordieux, plus tendre… Il fait intervenir ce scribe qu’il décrit, non pas comme étant un ami de Jésus, mais comme ayant vis-à-vis du Seigneur une attitude qui n’est pas foncièrement inamicale. La manière dont il aborde le Maître juste en introduction de cette péricope est typique à cet égard : « Le scribe voyant que Jésus avait bien répondu… » De même à la fin : « Bien, Maître… » et sans aucune moquerie. A croire que ce scribe se situerait plutôt dans le groupe de Nicodème, de ces docteurs de la Loi, de ces pharisiens qui sont déjà à moitié conquis par Jésus et ont vis-à-vis de Lui du respect, de l’affection, de l’admiration parce qu’Il parle « comme ayant autorité. »

On dirait que ce brave scribe, comme Nicodème devant le Sanhédrin lorsqu’il s’opposera à ses confrères, prend un peu en pitié un Jésus assailli par les questions qui fusent. Il tente peut-être même de mettre en avant la sagesse du Maître qu’il admire.

De l’Ancienne à la Nouvelle Alliance…

Nous voyons donc que le contexte est pacifique et dans la vérité : il va poser une question au Christ non pas pour Le prendre en défaut mais pour avoir une réponse.

Et la réponse que fait Jésus qui se prête non pas au jeu -parce que ce n’est pas un jeu- mais à cette recherche de vérité, cette réponse du Christ est peut-être le passage le plus clair, le signe le plus évident de la continuité entre l’Ancienne Alliance et la Nouvelle Alliance. Puisque, lorsque le scribe Lui demande quel est le plus grand des commandements, Jésus reprend les paroles même de la Torah à savoir le passage du Deutéronome sur l’amour de Dieu et le passage du Lévitique sur l’amour du prochain. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, de tout ton cœur, de tout ton esprit; et tu aimeras ton prochain comme toi même. »

Ce qui est remarquable, c’est que Jésus ne cite pas la Torah comme quelque chose de passé. Il le dira quelquefois dans l’Evangile : « Les anciens vous ont dit, -ce qui n’est pas d’ailleurs la Torah, mais une interprétation de la Torah- les anciens vous ont dit, moi je vous dis… »

Là Il ne met pas du tout d’opposition. Au contraire, Il prend exactement les paroles de la Révélation comme Luc le précise dans le récit qu’il fait de ce même passage quand Jésus termine l’énoncé des dix commandements en disant : « Fais cela et tu vivras », reprenant mot pour mot le passage du Deutéronome que nous entendons ce Dimanche, où Yahvé donnant les Paroles de vie dit : « Fais cela, suis ces paroles et tu auras longue vie. »

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu,… tu aimeras ton prochain comme toi-même… »

Que peut-on retirer de cette discussion entre le scribe et Notre Seigneur ? Il y a effectivement une continuité entre l’Alliance Ancienne et l’Alliance Nouvelle.

Mais il y a aussi une nouveauté. Et cette nouveauté elle est là, dans le fait que Jésus assimile parfaitement les deux commandements. La manière dont Jésus répond à la question unique du scribe par deux commandements nous donne le sens de la problématique.

Les Juifs s’inquiètent de voir ce Maître si proche du prochain et des pécheurs. Ils veulent le mettre à l’épreuve. Ils veulent savoir exactement ce qu’il en est de ce commandement premier, qu’est l’amour de Yahvé l’unique Seigneur !

Mais, comme on l’a précisé plus haut, ce n’est pas une mise à l’épreuve de dialectique : le scribe se pose véritablement la question ! Comment cela se fait-il que dans tout le comportement de ta vie, toi qui es Maître en Israël, tu ne manifestes d’abord que cet amour de l’autre, qui plus est pécheur ?

Et Jésus se justifie, comme au désert, vis-à-vis de Satan, en citant la Parole de Dieu. Il cite le passage du Deutéronome et le passage du Lévitique qui sont les deux principes fondamentaux appartenant à la Loi, plus exactement les deux principes fondamentaux d’où va découler cette Loi des Dix Paroles de vie, des Dix Commandements dont les trois premiers regardent l’amour directement adressé à Dieu et les sept autres regardent directement l’amour du prochain. Donc Jésus ne fait rien d’autre que de prendre la Parole de Dieu comme témoin de son attitude.

« Il n’y a pas de plus grand commandement que celui-ci. »

Mais, et c’est là qu’est la nouveauté, il ne va plus y avoir de premier et de second commandement il va y avoir un seul commandement. La traduction du texte que nous venons d’entendre n’est malheureusement pas juste. Les traducteurs voulant se mettre au niveau de notre petite intelligence de baptisés se sont dit : puisque Jésus parle de l’amour du prochain et de l’amour de Dieu il faut parler de deux commandements ! D’où la traduction du passage de Jésus : « Il n’y a pas de plus grand commandement que ceux-là. »

C’est inexact, le mot original est : « que celui-ci ». Donc Jésus dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu,… tu aimeras ton prochain comme toi-même… Il n’y a pas de plus grand commandement que celui-ci », l’unique, qui englobe tout !

Et le scribe, qui a bien compris, dit : « Tu as raison de dire que le Seigneur est Unique »… C’est le fondement de toute notre relation à Dieu. Et le scribe de continuer : « …Et qu’il faut aimer le Seigneur de tout notre cœur et le prochain comme soi-même. »

Le fondement c’est Dieu ; ce qui découle de cette existence de Dieu, découverte par le peuple élu (à cause de la Révélation que Dieu a bien voulu lui faire), c’est l’amour de Dieu et du prochain. C’est parce qu’il a effectivement compris tout de suite la nouveauté du message christique que Jésus va lui dire : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. »

Aimer Dieu tel qu’Il est : aimant chaque homme qui est mon prochain !

Effectivement Jésus essaye, encore une fois, de relever notre point de vue à celui de Dieu, de faire passer notre point de vue psychologique, subjectif, personnel, légitime, qui concerne notre amour du prochain, notre philanthropie -les hommes qui s’aiment eux-mêmes, de manière naturelle, compréhensible- au niveau théologique, au niveau de Dieu, ce qui s’appellera la charité.

De cette égalité que Jésus met entre les deux commandements, mieux de cette unicité du commandement, cette unicité de l’acte moral qui s’enracine dans la relation de l’homme à Dieu, découle l’évidence qu’il n’y a pas de morale dite bourgeoise ! La morale, c’est à dire l’action humaine, ce que doit faire l’homme pour se construire, pour s’épanouir en fonction de son être et de sa vocation cosmique, métaphysique, universelle, est dépendante, est enracinée, je dirais est ‘engluée’ dans cette relation de l’homme à Dieu.

C’est cette relation ontologique -puisque je suis dépendant de Dieu dans ma création-, c’est cette relation d’amour -puisque Dieu me crée par amour et me sauve par amour- qui fonde, explique et développe ce que l’on appelle de manière mesquine et bourgeoise, la morale. Il n’y a pas de morale hors de ce sens là !

Le prochain et Dieu ne font qu’une seule chair !

Si je veux aimer Dieu vraiment, je dois aimer mon prochain parce que Dieu aime mon prochain. Alors ça transcende tous les partis politiques, ça transcende toutes les histoires, ça transcende toute sainteté, ça transcende tout !

Si tu veux aimer Dieu, si tu veux avoir la vie, aime Le tel qu’Il est c’est à dire aimant les hommes et ne L’aime pas tel que tu désires qu’Il soit, faisant le partage avec tes catégories sociologiques ou politiques entre telle catégorie de dogme et telle autre !

C’est pourquoi Jean dira dans son épître : « Celui qui dit aimer Dieu et qui n’aime pas son frère est un menteur. » Nous voyons le lien ? Mais ce n’est même pas un lien parce que qui dit lien dit distance ! Ou bien, si, c’est un lien mais matrimonial : « ils ne feront qu’une seule chair » comme dit la Genèse. Le prochain et Dieu ne font qu’une seule chair.

D’ailleurs, ils le font vraiment en Jésus-Christ puisque Jésus est à la fois le signe du Père, « Qui me voit, voit le Père » et le signe du prochain : « Ce que vous faites à l’un de ces petits c’est à moi que vous le faites. »

D’où d’ailleurs, cette précision que l’on ne peut pas aimer le prochain sans aimer Jésus-Christ puisqu’Il est l’objet intégral de mon unique charité, d’une charité indivise : celle qui me porte vers Dieu et celle qui me porte vers l’homme, Lui qui est à la fois Dieu et homme ! On peut avoir de l’affection pour son prochain, on peut aider son prochain, on peut désirer aller vers son prochain, mais on ne peut aimer réellement son prochain qu’en Jésus-Christ !

Donc c’est véritablement la réalité et la vérité de notre amour de Dieu qui sont remis en question dans ce passage par Jésus : « De plus grand commandement il n’y en a pas d’autre que celui-là. »

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Et cet amour du prochain qui est un avec l’amour de Dieu, qui est assimilé à l’amour de Dieu quant à sa cause, (j’aime le prochain parce que je veux aimer Dieu), il est assimilé à moi-même, quant à son mode : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Voilà qui est compliqué à comprendre.

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même… » Aimer son prochain comme soi-même qu’est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire bien entendu l’aimer quantitativement, autant que je m’aime, cet amour de moi-même étant lui-même lié à l’amour de Dieu.

Il ne s’agit pas d’avoir un amour égoïste. Ce n’est pas moi que j’aime c’est mon être d’enfant de Dieu qui est aimé de Dieu et que donc je dois m’aimer. Aussi dois-je m’aimer comme Dieu m’aime, avec beaucoup de charité, beaucoup de patience, beaucoup de miséricorde et beaucoup d’espérance. Et je dois donc aimer mon prochain autant que je m’aime ainsi.

Mais c’est aussi au niveau qualitatif, et là c’est plus compliqué.

Je dois aimer le prochain en tant qu’il est moi ou en tant que je suis lui. Il faut donc que je devienne l’autre. Mon amour du prochain sera vrai dans la mesure où je serai devenu l’autre.

Cela rejoint les qualités nécessaires au service. Nous servons vraiment les autres si nous devenons les autres : c’est ce qu’a fait le Christ dans l’Incarnation ! C’est par amour pour nous qu’Il s’est fait autre, c’est-à-dire qu’Il s’est fait homme. Donc aimer mon prochain comme moi-même cela veut dire aimer mon prochain en tant qu’il est moi-même et en tant que je suis lui !

« Ecoute Israël !… »

Comment est-ce possible ? Comment puis-je devenir l’autre ?

Par l’écoute. Et nous revenons à la première Lecture qui est d’ailleurs citée par Jésus et qui est comme le résumé de la Révélation divine : « Ecoute Israël… »

Lorsque j’ai un cœur qui écoute j’accueille l’autre, je reçois sa plainte, j’écoute son cri. Il peut se déverser en moi, je deviens un vase dans lequel il se dit, dans lequel il pose sa souffrance, ses problèmes. Je n’ai pas besoin de parler, je peux me taire… Il vaut mieux d’ailleurs se taire pour être ce réceptacle de la misère de l’homme comme le cœur de Dieu.

Alors, à ce moment-là, l’autre est aussi à l’aise dans mon cœur que dans le sien et je dirais même il est plus à l’aise dans mon cœur qui est toute réceptivité, toute charité, que dans le sien qui est écorché par sa vie, par ses expériences, par les regards mauvais et vicieux des voisins et des faux-amis et de la famille…

Il y a la plupart du temps énormément de bien dans chacun d’entre nous et ce bien, cette vie divine, cette image de Dieu est emprisonnée, bloquée par le regard des autres, par la société, par la pauvreté, par le complexe, par la médisance, par la méchanceté, par l’égoïsme… C’est vrai dans une famille, c’est vrai dans un couple, c’est vrai dans une société, c’est vrai dans une paroisse, c’est vrai dans une ville. On ne peut pas parler parce que nous sommes étouffés.

Et voilà qu’il y a un cœur qui se présente. D’abord c’est le Cœur du Christ qui a été à l’écoute des misères de Zachée, de Matthieu, de Madeleine…

Et puis il y a le cœur des chrétiens qui devraient être aussi à l’écoute de ces misères de telle manière que le frère qui crie, qui est dans l’angoisse et la souffrance se trouve bien en moi et puisse revivre en lui.

« Celui-ci est mon fils bien aimé, écoutez-le ! »

Il faut que je sois à l’écoute de mon prochain d’ailleurs comme je suis à l’écoute de la Parole de Dieu.

C’est d’ailleurs en fonction de cette écoute de la Parole de Dieu que je suis tout pénétré de l’Esprit de cette Parole et que je peux ensuite silencieusement être à l’écoute de l’autre et lui retransmettre par mon silence, par mon sourire, par ma présence, cette vie de l’Esprit qui va panser ses blessures à la manière des mains de Jésus sur les yeux de l’aveugle, sur l’handicapé, sur le grabataire, sur le mort…

Nous voyons ainsi comme va loin ce petit passage de l’évangile !

D’abord la raison pour laquelle je suis appelé, aspiré à aimer mon prochain de la même manière que je suis aspiré à aimer Dieu : c’est ma vocation ! C’est pour ça que je dis que ce n’est même plus une morale c’est une vocation ! C’est un principe, c’est le principe de ma vie : à partir du moment où je n’aime pas l’autre je me décrée, de la même manière qu’à partir du moment où je n’aime pas Dieu je me décrée.

Et cet amour de l’autre comme cet amour de Dieu va toucher le plus profond de moi-même, mon intimité : je me remplace pour être l’autre, il se remplace pour être moi, nous sommes moi en lui et lui en moi, comme le dira d’ailleurs Jésus de l’âme qui aime : « Et le Père et moi nous viendrons chez lui pour faire notre demeure. »

Le prochain doit pouvoir être en moi, je dois être la demeure du prochain comme je dois être la demeure de Dieu. Voilà beaucoup de choses à méditer…

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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