Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« L’accomplissement de la loi, c’est l’amour… »

Lectio divina pour le 30ème Dimanche ordinaire, le 29 octobre 2017

Avec la Collecte du 30ème Dimanche, nous prions le Seigneur d’augmenter en nous la foi, l’espérance et la charité afin d’arriver à aimer ce qu’Il commande et obtenir la Vie éternelle. Nous saisissons l’importance de cette prière qui nous oriente vers l’Au-delà, dans l’esprit de ces dimanches de l’Année Liturgique qui précèdent le Christ-Roi. C’est pourquoi il est bon de comprendre le sens de cette prière qui oriente la Liturgie dominicale et hebdomadaire.

Qu’est-ce que, pour nous, la foi, l’espérance et la charité ? Oui, ce sont des vertus ; la charité c’est d’être gentil, l’espérance c’est d’espérer le Ciel et puis la foi c’est de réciter son Credo, comme nous le pensons hélas souvent. Car si ce n’est pas faux, ce n’est pas suffisant. Essayons d’approfondir. Pour aimer ce que Dieu commande, nous devons avoir la foi, l’espérance et la charité. Mais qu’est-ce que Dieu nous commande ?

« Choisis la Vie… »

Nous avons tous entendu parler de ces fameux Dix Commandements de l’Ancien Testament que certains parmi nous ont appris par cœur au catéchisme. Ces commandements de Dieu sont en fait, si on prend le terme exact de la Bible, les Paroles de Vie. C’est dire que Dieu nous parle et nous donne le mode d’emploi pour acquérir Sa Vie.

C’est pourquoi il faut que nous recevions et aimions ces Dix Paroles de Vie. Il ne s’agit pas de les connaître par cœur. Il s’agit de les connaître par le cœur au sens où cela devient connaturel aux battements du cœur pour la personne aimée.

Pour aimer ces Dix Paroles de Vie, données par Dieu pour acquérir la Vie éternelle, il faut avoir d’abord la claire vision de notre état de faiblesse. Si nous n’en étions pas convaincus, il nous suffit de regarder en nous-mêmes et autour de nous pour nous rendre compte des difficultés que l’homme a à assumer ce qu’il devrait naturellement accomplir et que ne fait que rappeler la loi positive des Dix Commandements : « Tu ne tueras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, tu honoreras ton père et ta mère… »

Point n’est besoin d’être chrétien pour savoir que c’est le propre de l’homme de respecter son semblable dans sa personne, dans ses biens, dans son honneur… Et nous savons que la calomnie, la médisance, le mensonge, l’injustice et toutes ces choses mauvaises sont monnaie courante dans nos vies. Donc il nous faut avoir la claire vision de l’état de notre humanité qui a du mal à aimer et à être juste.

« Ne crains pas, je t’ai appelé par ton nom… »

Il nous faut aussi avoir la claire vision de ce à quoi nous sommes appelés. Nous sommes appelés à quitter cet état de faiblesse qui s’enracine dans le péché originel. Nous sommes appelés à re-produire en nous l’image de Dieu qui était à l’origine dans notre âme et que le Mal a défigurée en nous.

Nous sommes appelés à la filiation divine. Cette claire vision de mon état misérable et de la grandeur de l’appel qui est lancé sur moi, pour reprendre les termes de Pascal, nécessite la foi. Seule la foi en Jésus-Christ qui est la Parole, la foi en Dieu qui est le Dieu des Paroles de Vie peut nous amener à nous voir tels que nous sommes avec nos erreurs, nos lâchetés, nos trahisons, nos faiblesses, nos insuffisances de toutes sortes.

Il n’y a aussi que la foi en Dieu qui puisse me faire découvrir cet appel formidable à partager la Vie de Dieu : « Là où je suis, là aussi sera mon serviteur… » Nécessité de la foi donc pour L’entendre et Le voir venir me proposer la vie, Sa Vie : « Je suis venu pour que le monde ait la vie. »

« Lève-toi, prends ton grabat et marche… »

Non seulement il faut avoir la claire vision de ce que nous sommes et de ce à quoi nous sommes appelés, mais il faut aussi désirer l’accomplissement de cette vocation, c’est la vertu de l’espérance.

Désirons-nous vraiment l’accomplissement en nous du mystère de Dieu c’est-à-dire la cohabitation de Jésus en notre âme et la configuration de notre âme à Jésus ? Ou ce plan divin est-il pour nous finalement le cadet de nos soucis car nous avons un tas de choses à régler sur terre comme le dit Jésus dans l’Évangile : « J’ai tant de biens qu’il faut que je construise un deuxième grenier, que vais-je faire de toute ma richesse ? »

C’est la vertu d’espérance qui nous fait désirer le Ciel, désirer ce lieu d’habitation où Dieu m’invite à entrer pour communier à Lui parce que j’ai accepté d’être Son enfant et je suis devenu petit à petit conforme à l’image de Son Fils.

Cette foi et cette espérance nous font accueillir les Dix Paroles de Vie non pas comme une loi restreignant notre liberté, mais comme l’illumination qui éclaire les yeux du cœur et nous donne de voir comment aimer notre prochain et notre Seigneur.

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même… »

L’Ancien Testament nous donne une kyrielle d’exemples pour jauger de notre réception réelle de la Parole de Dieu. Car, encore une fois, nous pouvons connaître les Dix Commandements par cœur mais ne pas les vivre du tout.

Avec la première lecture tirée de l’Exode, ce sont les pauvres qui vont servir de mesure à notre proximité réelle aux Paroles de Vie : « Ne maltraite pas l’émigré… »

Ne politisons pas le débat. L’émigré n’est pas seulement celui qui n’est pas de notre nationalité. L’émigré, c’est aussi tout simplement le nouveau venu dans la région, dans la ville, dans la communauté paroissiale… C’est celui qui a quitté une terre, une maison, une ville, un travail, sa paroisse. C’est donc celui qui est nouvellement arrivé dans votre immeuble, celui qui entre dans une communauté, celui qui vient d’arriver à la paroisse. C’est celui qui arrive dans une ville, dans une école… Avons-nous un regard chrétien sur ce nouveau venu, quel qu’il soit, quelle que soit son origine géographique ou sociale ?

Il en va de même pour la veuve et l’orphelin. La veuve et l’orphelin représentent ceux qui, de manière brutale, voient leurs ressources économiques brisées, leur sécurité disparaître… C’est la population qui se trouve jetée dans le combat de la vie sans ce pouvoir sécurisant que représente l’homme, le père, l’époux, celui qui travaille, celui qui a un nom. Donc toutes les personnes, hommes ou femmes, jeunes ou âgées, qui se trouvent dans cette situation de précarité sont comme la veuve ou l’orphelin, devenus tout à coup sans ressources ni protection. Avons-nous expérimenté ce qu’est le chômage ? Peut-être certains d’entre vous… Avons-nous une fois expérimenté ce que c’est que d’être au ban de la société, de n’être plus rien, de n’être qu’un anonyme ?

« L’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour… »

Dieu commande une deuxième chose. Nous basculons ici de l’Ancien au Nouveau Testament avec ce que Jean appellera le commandement nouveau, ce commandement du Jeudi saint : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »

C’est un commandement ancien puisque, l’Évangile nous le rappelle, il appartient déjà à l’Ancienne Alliance. Le scribe vient demander à Jésus : « Quel est le plus grand commandement ? Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… et ton prochain comme toi-même, voici les deux plus grands commandements. » C’est un commandement ancien et donc Jésus n’apprend rien de plus aux pharisiens qui viennent l’interroger.

Et de ce commandement dépend toute la Loi, c’est-à-dire les cinq livres qui forment la Torah : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. Lorsque Jésus dit que de ce commandement dépendent toute la Loi et les Prophètes cela veut bien dire que la Loi, et en particulier les Dix Commandements, est l’explicitation, le désenveloppement de ce commandement de l’amour de Dieu et du prochain.

L’amour de Dieu et du prochain, que Jésus récite par cœur aux scribes, ne sont pas compris dans les Dix Commandements, parce qu’ils en sont la clé, parce qu’ils en sont le principe, parce qu’ils en sont la lumière. En fait, dans les Dix Commandements, Dieu nous dit comment aimer Dieu, (les quatre premiers : Tu n’auras qu’un seul Dieu,… Tu ne jureras pas,… Tu ne fabriqueras pas d’idole,… Tu respecteras le jour du Seigneur) et comment aimer le prochain (les six suivants). Donc c’est bien de ce principe de l’amour du prochain et de l’amour de Dieu que dépend tout le reste. C’est ce qu’avait bien saisi Paul lorsqu’il écrivait aux Romains : « L’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour. »

« Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. »

Mais ce commandement donné par Jésus est aussi un commandement nouveau.

Pourquoi ? Car, comme Jésus le dit dans un autre passage de Matthieu, Il est venu accomplir la Loi, c’est-à-dire la vivre, la réaliser en Lui, dans Sa personne, ce que nous nous étions incapables de faire : « Ne croyez pas que je sois venu abolir la loi, mais je suis venu l’accomplir », c’est-à-dire la vivre en perfection. Ce qui nous était impossible, car nous étions ligotés par le péché (« Je veux faire le bien et c’est le mal que je fais… »), devient tout à coup réalisé par le Christ et réalisable en Lui.Voilà pourquoi c’est un commandement nouveau.

Mais je ne peux pas recevoir et vivre le mandatum de Jésus « Aimez-vous les uns les autres » si je ne reçois pas en même temps la personne de Jésus qui l’a accompli en perfection, si je ne m’inscris pas dans la dynamique de Sa vie qui se résume à ce commandement d’amour. Donc pour participer à cette perfection du Christ, j’ai besoin de la charité, la troisième des vertus théologales.

Après la foi et l’espérance aperçues dans l’Ancien Testament, voilà l’accomplissement du Nouveau Testament dans la loi de l’amour, la charité.

Si j’ai un peu de charité en moi je suis obligatoirement attiré par le bien, par le beau, par le bon, par la plénitude, par l’accomplissement. Cela ne veut pas dire que je pratique totalement cette loi, mais aimanté par Jésus, j’ai le désir que cette loi soit accomplie en moi aussi parce que je suis un autre Christ par mon baptême. « Aimez-vous les uns les autres » devient pour moi, non pas un commandement au sens légal et limitant, mais le sens de ma vie et ma force de vie. C’est ma finalité, c’est ma joie.

« La charité du Christ nous presse… »

Alors je dois me poser la question : qu’est-ce qui m’attire en Jésus ? Est-ce Sa bonté, Sa perfection, ou est-ce seulement parce que m’adresser à Lui me réconforte dans mes problèmes ? Quel est mon regard sur Jésus ? Est-il gratuit ? Provient-il de cette charité qui, comme dit Paul, nous presse : La charité du Christ nous presse à donner notre vie… Ou Jésus n’est-Il pour moi qu’une roue de secours en cas de pépin ?

Et quel est mon regard sur les autres par rapport à l’accomplissement de la Loi ? C’est aussi un bon baromètre pour me mesurer. Lorsque je vois une perfection chez quelqu’un, en ai-je une sainte envie ou en ai-je du ressentiment ? La vertu dans mon prochain provoque-t-elle en moi l’admiration, le respect, le désir d’imiter ou provoque-t-elle un détournement, parce que cette personne vertueuse est face à moi comme un reproche permanent de ce que je ne suis pas ? Regardons bien le fond de nos cœurs…

« Soyez prêts à répondre de l’espérance qui est en vous… »

Nous sommes-nous posé la question de savoir pourquoi le scribe est venu interroger le Christ ? Les scribes et les pharisiens savent très bien que Jésus est un rabbi, un maître dans l’Écriture comme leurs docteurs. Pourquoi donc ce pharisien pose-t-il une question aussi facile au Christ ? « Pour le mettre à l’épreuve » dit l’évangile. C’est comme poser la question de la couleur du cheval blanc d’Henri IV ! Lorsque le scribe pose cette question, croit-il un moment que Jésus pourrait lui répondre autre chose ?

Il le met à l’épreuve comme nous sommes mis à l’épreuve par notre prochain. Il veut dire : Seigneur tu fais des miracles c’est bien ; tu prêches merveilleusement, tu enseignes comme personne n’a jamais parlé, c’est bien. Mais cela reste au niveau des idées. Où en es-tu par rapport à Dieu ? Concrètement rabbi, quel est le sens de ta vie ?

A nous aussi, le prochain ne manque pas de nous poser la question : quel est le sens de votre vie ? Combien de fois cela nous est-il arrivé d’entendre : vous êtes chrétiens et vous faites ceci, vous dites cela. Vous allez à l’église et vous vous conduisez de cette manière, c’est intolérable ! Quel est donc le vrai sens de votre vie ?

Lorsque les gens nous demandent quel est le suc de l’Évangile pour vous, c’est pour nous mettre en face de notre responsabilité et de notre cohérence de chrétien. Même les non-croyants savent très bien que l’Évangile de Jésus c’est de s’aimer les uns les autres ! Lorsqu’ils nous posent la question, c’est donc pour nous mettre le doigt sur notre incohérence, parce que nous le sommes forcément, nous ne sommes pas parfaits.

Alors ils nous ramènent à la raison. Dieu permet que nous soyons ramenés à la raison comme Son Fils lui-même s’est laissé ramener par un homme pécheur.

Pour montrer que l’essentiel ne sont pas les miracles, ni les choses extraordinaires, les signes pour lesquels certains suivaient Jésus, sans rechercher autre chose… Non, l’essentiel est cette orientation de ma vie vers l’amour de Dieu et du prochain.

Nous sommes à un mois du Christ-Roi qui nous fera réfléchir à notre jugement dernier personnel. À ce moment, me sera posée une seule question. Le Christ me dira : quel est le plus grand commandement Jean-Marie ? Et je répondrai : l’amour de Dieu et du prochain. Alors le Christ me répondra simplement : comment l’as-tu mis en pratique ? Et je pourrais bien être piégé…

Mgr Jean-Marie Le Gall
Aumônier catholique
Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.
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