Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« PREPAREZ LE CHEMIN DU SEIGNEUR ! »

Lectio divina pour le 2ème Dimanche de l’Avent Année C
Ba 5, 1-9 Ph. 1, 4-11 Lc. 3, 1-6.

Si Luc précise avec autant de détails l’instant de la prédication du Baptiste, c’est pour nous faire comprendre que nous nous situons à un nœud de l’Histoire. Nous passons de la civilisation et de la religion du Livre -la Torah- à la civilisation et à la religion de la Parole. Actuellement encore, dans les synagogues, plus encore que l’est chez nous la Bible, la Torah est gardée précieusement et vénérée comme Présence de Yahvé, couronnée comme l’épouse, d’une couronne de fleurs. Alors que dans le temps chrétien, c’est à Jésus le Verbe, la Parole, la Bonne Nouvelle, l’Annonce du Salut que va notre adoration.

 

Le passage, homogène pour ne pas dire logique, de cette religion du Livre à la religion du Verbe, est aussi transformant que celui qui relie ‘l’incarnation’ de Dieu dans les Écritures -ces petits mots noirs écrits sur papier blanc- à l’Incarnation de Dieu, à l’encharnellement de Dieu dans le sang de Marie.

« La Parole de Dieu fut adressée à Jean »

À ce passage, sur ce nœud de l’Histoire, « apparaît un homme, il s’appelait Jean. »

Jean appartient comme prophète à la religion du Livre. Il cite Isaïe. Mais Jean est déjà la Voix qui va porter la Parole ; et le message de Jean contient déjà celui de la Croix, celui de Jésus.

Le Baptiste est l’instrument excellent que se choisit le Verbe pour passer de la Révélation du Livre à la Révélation de la Vie : « Mes paroles sont esprit et elles sont Vie. »

Jean devient ainsi, par vocation bien particulière et extraordinaire, le patron de la mission chrétienne, notre patron en tant que baptisés, qui sommes appelés à être témoins.

Jean Baptiste est notre modèle : pour savoir le message que nous devons porter dans le monde par notre témoignage, nous nous tournons alors tout simplement vers le Précurseur.

« Je vais retourner vers mon Père. »

Le message du Baptiste, nous le connaissons : c’est un message de conversion, de pénitence. Essayons donc de voir tout ce que signifie ce mot de conversion qui contient en fait trois réalités qui se tiennent et qui s’appellent l’une l’autre.

Nous savons bien que les concepts saisis par notre esprit ne sont pas toujours parfaitement exprimables au niveau du langage. Telle langue sera plus esthétique, telle autre sera philosophique… La langue hébraïque, par exemple, est particulièrement concrète. Elle ne connaît pas l’abstraction. Aussi, lorsqu’il s’agit de pénétrer la Parole de Dieu, doit-on quelques fois analyser en profondeur le sens du mot humain que Dieu a permis que l’on se choisisse pour exprimer la réalité qu’Il veut nous révéler.

Conversion recouvre donc trois réalités.

La première est la réalité de la fin, du but. C’est le retour à Dieu, le retour dans la maison du Père. Elle correspond au vocable hébraïque schub. Nous en avons une application simple, avec la parabole du fils prodigue. « Je vais retourner vers mon Père. »Voilà le terme qui va guider avec les Patriarches le peuple élu, mais aussi l’Eglise.

« Il entra en lui-même et se dit… »

Mais pour qu’il y ait effectivement retour vers Dieu, pour qu’il y ait adhésion à mon Père, pour que je puisse être « de la maison de Dieu » – pour reprendre Saint Paul , il faut qu’il y ait un retournement. Ce que les Grecs appelleront la métanoïa, c’est cette conversion du fils prodigue : « Il entra en lui-même et se dit… »Voilà la conversion qui précède le retour à Dieu.

Mais qui dit conversion, dit besoin, dit manque. C’est parce qu’il avait faim et qu’il ne pouvait même pas se nourrir des caroubes que l’on donnait aux porcs, que le fils se retourna en lui-même et se dit: « J’irai vers la maison de mon père. »

Ce troisième concept, compris dans le terme de conversion, c’est celui que nous appelons la pénitence, du latin, paenitet qui veut dire : j’ai besoin, je suis en manque de quelque chose.

Le Baptiste prêche la conversion, mais avec tout ce que cela suppose à l’intérieur de cet unique mot. Résumons les trois réalités incluses dans ce concept de conversion. Si le retour à Dieu est la finalité dernière, le retournement doit précéder ce retour vers Dieu pour le rendre possible ; et ce retournement est lui-même provoqué par la constatation d’une misère, d’un manque.

« Pour moi, vivre c’est le Christ ! »

De quel manque s’agit-il ? Si nous allons quelques versets plus loin dans l’Évangile de Luc, il nous est raconté que les Juifs accourent de tous les coins de Judée, et posent au Baptiste cette question : « Que devons-nous faire ? »

Voilà la question que nous nous posons de manière plus ou moins explicite ; voilà en tout cas la question que nous devrions nous poser !

Que devons-nous faire dans ce désert de notre vie, où toutes les dunes se ressemblent, où tous les jours sont semblables avec leur lot de joies et de souffrances, où tous les hommes -bon gré mal gré-, sont aussi braves et aussi méchants ? Comme dit l’Ecclésiaste : « Rien de nouveau sous le soleil, tout est vanité. » Dans ce désert où je suis perdu, moi, l’infiniment petit, dans cet espace infiniment grand, que dois-je faire ?

La prière après la communion répondra à cette demande. Nous demanderons à Dieu d’« avoir le véritable sens des choses de ce monde et l’amour des biens éternels. »

Autrement dit, nous demandons à Dieu (comme nous l’avons prié dans la Collecte) : l’intelligence du cœur pour pouvoir entrer dans Sa vie. Nous Lui demandons de faire de notre vie Sa vie, c’est-à-dire vivre du Christ, vivre en chrétien.

Nous demandons l’intelligence du cœur pour pouvoir faire de notre vie une rencontre avec Dieu, ce qui revient à donner aux choses de la vie leur vrai sens, celui d’être le lieu de communion avec Dieu qui nous les fait vivre par Sa grâce.

« Préparez 1es voies du Seigneur ! »

Nous pensons être chrétiens parce que nous nous soucions du lendemain. Mais Jésus a dit exactement le contraire ! Vous vous souciez de votre travail, vous vous souciez de votre santé ou de celle des autres, vous vous souciez du monde, de la ville ou du pays, vous vous souciez de mille soucis qui sont inutiles et vous encombrent…

Nous n’arrivons pas à comprendre, et c’est là le drame de notre mésintelligence du mystère de l’Incarnation, nous n’arrivons pas à comprendre que notre vie est la route qui nous mène vers Dieu, qu’elle est aussi la route qui mène Dieu vers nous. Voilà ce que veut dire « préparez 1es voies du Seigneur. » Cela ne veut pas dire seulement de préparer l’église, de faire la crèche… Cela ne veut pas dire seulement de faire un petit bilan rapidement, puis de se confesser, de se mettre à jour…

Non, préparer les voies du Seigneur, c’est comprendre que ma vie n’est pas un obstacle à ma sainteté ! Combien de fois entendons-nous : je n’ai pas le temps d’aller à la messe…, je n’ai pas le temps d’aller écouter telle conférence…, je n’ai pas le temps de prier…, je ne peux pas être chrétien et entrepreneur…, je ne peux pas être soldat et chrétien…, je ne peux pas être chrétien et politique… Quelle erreur ! Quelle ineptie ! Quelle incompréhension de l’Évangile !

« Aplanissez la route du Seigneur ! »

Ecoutons ce que dit Jean Baptiste : « N’exigez rien au-delà de ce qui vous est concédé, que celui qui est soldat fasse son métier sans molester personne. »

Ma vie, c’est la route qui me mène à Dieu, et c’est aussi, encore plus, la route, le moyen unique que Dieu a de m’interpeller, moi-même, personnellement, de m’attirer à Lui et de S’unir à moi !

Regardons comme Paul insiste lui-aussi, demandant à Dieu de donner à Ses fidèles la charité afin qu’ils aient la clairvoyance de leur devoir, qu’ils sachent se gouverner, qu’ils sachent être maîtres du navire de leur vie, non pas à la manière des enfants de ce monde, mais à la manière des fils de la Lumière.

Mais, nous sommes tentés de dire : pourquoi entrer en Dieu -c’est-à-dire s’unir à Lui dans la charité- pour avoir l’intelligence de notre vie ? Parce que, lorsque nous sommes en Dieu, nous comprenons les voies de Dieu qui ne sont pas les voies des hommes et nous nous rappelons aussi cet autre principe essentiel que « Dieu se souvient. »

« Dieu se souvient. »

Cette expression est une des plus importantes de l’Écriture Sainte.

Les auteurs sacrés ne disent pas seulement que Dieu est fidèle, ils disent, comme Baruch que nous entendons ce dimanche : « Dieu se souvient. » Et, encore plus précisément, comme Marie dans son Magnificat, que « Dieu se souvient de sa miséricorde », qu’Il se souvient de la promesse faite à nos pères, à Abraham à jamais. »

« Il se souvient. » Pourquoi les auteurs sacrés utilisent-ils cette expression ? Pour effacer cette impression que nous avons en lisant la Bible et en regardant notre vie, que Dieu oublie l’homme… Regardons comment le Christ a pris sur Lui aussi cette faiblesse de l’homme : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Dieu se souvient de Sa miséricorde, Dieu se souvient de Sa promesse, Dieu se souvient que « tout homme verra le salut de Dieu » comme dit Isaïe. Voilà la finalité promise par Dieu et voilà ce qui doit régir mon espérance et ma confiance, imitant celle de Jésus mourant et remettant Son esprit entre les mains du Père…

« C’est pourquoi Dieu l’a exalté… »

Dieu se souvient parce que le chemin qu’Il me fait prendre pour voir Son Salut, c’est le chemin de cette marche de l’esclave (pour reprendre le livre de Baruch). C’est un chemin qui est a contrario de mes chemins. C’est le chemin sur lequel la montagne est abaissée, c’est le chemin sur lequel la colline est comblée, c’est le monde à l’envers. C’est ce que je redoute, c’est ce que je crains, c’est ce que je n’accepte pas… et ce par quoi Dieu semble me faire passer comme s’Il m’oubliait !

Regardons Son Fils. Pourquoi voudrions-nous que Dieu nous épargnât le chemin qu’Il permit à Son Fils de vivre ? « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ? »

C’est ce qui est petit que Dieu choisit pour être Son témoin, c’est ce qui est fragile dans le monde que Dieu choisit pour démasquer la folie des hommes écrira saint Paul.

Voilà les deux principes essentiels que nous devons arriver à comprendre en nous mettant en Dieu, en vivant de Sa vie : nous sommes appelés à voir le Salut de Dieu, à ressusciter comme Jésus, mais cette résurrection passe par un chemin contraire à nos voies. C’est un chemin de mort à soi-même qui est peineux, qui brise, abaisse, humilie.

C’est ce qu’exprimera Paul dans l’hymne aux Philippiens : « Il s’est abaissé, c’est pourquoi Dieu l’a exalté… »

Parce qu’il n’y a que ce qui est petit et humilié qui peut être grandi, parce que seulement ce qui est mort peut être ressuscité. Si je veux ressusciter avec Jésus, si je veux avoir dans mon corps les marques de la Vie de Jésus, je dois d’abord avoir les stigmates de Sa mort, en passant tout simplement, avec Lui, par la mort à moi-même.

« …Et tout homme verra le salut de Dieu. »

Voilà la résolution que je propose pour cette semaine

1°) Avoir la conscience de mon manque d’intelligence pour gouverner ma vie, ce manque de connaissance en Dieu qui me fait refuser l’épreuve, la difficulté, la souffrance, qui me fait me mettre dans un état de souci permanent, qui mange mes énergies, et m’empêche d’avancer vers la Vie.

2°) Resserrer mon lien avec Dieu, me retourner vers Lui, me convertir par une contemplation, une prière quotidienne (brève, mais pure et limpide disait Saint Benoît) pour arriver à saisir dans ma vie ces voies de Dieu qui sont des voies de dépouillement et qui sont, en même temps, les voies qui mènent à la Vie.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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