La maternité en question

Intégralité de l’interview de Marie-Amélie Larchet, psychologue, paru dans le Sub Signo Martini n°64

  1. Comment une femme prend-elle conscience de ce que la maternité est profondément inscrite en elle-même ?

Avant qu’elle n’ait des enfants, une femme, tout comme un homme d’ailleurs, pratique une charité bien ordonnée qui commence par soi-même : ma santé, mon apparence, mon sommeil, et c’est plutôt sain.

Quand elle a son premier enfant, une femme sort littéralement d’elle-même, le centre de gravité de sa vie lui est désormais extérieur. Cette prise de conscience se précipite durant le mois qui suit la naissance. La mère est alors totalement tournée vers son enfant, souvent au grand dam des conjoints : a-t-il faim ? a-t-il froid ? est-il fatigué ? Souffrant ? C’est à ce moment-là qu’elle ressent combien tout son être était fait pour accueillir et prendre soin de cette nouvelle vie.

  1. Y a-t-il un lien indissociable entre maternité et féminité ?

Pour moi, il est incontestable, il n’est qu’à observer notre physiologie ! Tout le système hormonal de la femme est fait pour lui permettre de devenir mère, et la féminité n’est qu’une manière de le dire à la société autant qu’à soi-même : « Je suis cet être fascinant qui peut porter la vie ». Dit plus crûment, les hommes n’ont pas de seins et pas d’utérus, et c’est précisément cela qui, charnellement, les attire chez les femmes. D’ailleurs, si les canons de la beauté féminine évoluent à chaque époque, les repères restent bien les mêmes, que l’on observe un tableau du XVIIIe aux silhouettes potelées ou les mannequins filiformes des magazines de mode d’aujourd’hui.

  1. Certaines femmes ne peuvent pas avoir d’enfants. Sont-elles pour autant privées de toute forme de maternité ?

Ce qui manquera à la femme qui n’a pas connu de grossesse, ce sont ces 9 mois où l’on est véritablement deux en un. Cette période structure la relation mère-enfant et délivre un statut social de « mère » aux yeux d’autrui. Mais ce serait un trompe-l’œil que de croire qu’elle est la seule manière de vivre sa maternité. La maternité, c’est avant tout cette disposition naturelle qu’ont les femmes à faire grandir un petit être en devenir, et à l’aimer de façon inconditionnelle, au-delà des attentes et des espérances.

  1. Quelles sont pour vous les caractéristiques principales de la maternité ?

Je me méfie ce terme. Parler de « caractéristiques » a tendance à nous mettre dans des cases, à nous faire chercher la check-list à cocher pour être une mère « comme il faut ». Pour moi, il y a une myriade de façons de l’être, autant qu’il y a de femmes, et heureusement ! Certaines sont affectives et fusionnelles, d’autres plus distantes, tantôt maman-poule et tantôt maman-canne, ça va dépendre de chacune avec son histoire, sa personnalité, ses idéaux et ses désirs. In fine ce qui en ressortira à chaque fois, c’est cette volonté de protéger, de faire éclore son « petit poussin » et de le faire grandir.

  1. Dans la société actuelle, avec les nécessités économiques des foyers, ainsi qu’un plus grand désir de réalisation personnelle des femmes, sommes-nous contraints de regarder la femme au foyer comme un modèle qui n’est plus ni possible, ni souhaitable ?

Dans une société individualiste où chacun entend « se réaliser », où le contrôle des naissances est présenté comme le signe du progrès, on nous reprochera toujours de nous plaindre si les enfants contrarient notre vie sociale ou professionnelle. Mais si on ne travaille pas, on risquera d’être vue comme « inutile », fossile d’un temps dépassé et patriarcal. De plus, la théorie du genre se répandant, il n’est pas évident de s’assumer simultanément femme et mère. Cela peut inciter à s’enfermer dans le cocon de l’entre-soi, rassurant mais un peu coupé du monde, ou à laisser tomber certaines de nos convictions, simplement par lassitude.

Je ne vois pourtant pas de fatalité. Oui, les contraintes financières sont fortes, oui le désir, (légitime !), d’être traitée à égalité au travail (et donc de ne pas partir en congé maternité) est réel. Mais j’y vois plutôt un défi exaltant : préserver notre rôle de mère tout en s’engageant dans la vie professionnelle ou associative, et faire rayonner ce modèle, comme un témoignage. Toute la subtilité sera de trouver et d’interroger régulièrement l’équilibre entre désir et nécessité, entre son couple, son foyer et son travail. Chaque femme dispose de la liberté intérieure pour construire ce choix.

  1. Quel est la différence entre le lien de l’enfant à la mère et celui de l’enfant à son père ?

Il est très différent à cause de la grossesse. La femme est souvent dans une relation très affective avec ce qui est la « chair de sa chair ». Au contraire, le père découvre la paternité à la naissance de son enfant. Cet attachement, fait également de renoncements, va se faire plus progressivement. Soucieux de reprendre sa place auprès de la mère, il devra aider l’enfant à se détacher psychiquement et physiquement de celle-ci. La mère pourra ainsi se réapproprier sa féminité. L’enfant, lui, va prendre conscience qu’il n’est pas le centre du monde !

  1. Quelles répercussions y a-t-il dans la façon de vivre sa maternité (psychologiquement et concrètement) ?

La maternité est un vrai raz de marée, surtout la première fois, car on change tout simplement d’état, comme la glace se transforme en liquide : nous restons la même personne, mais rien ne sera plus jamais comme avant. La relation au corps, dans le couple, avec la société et les amis, va changer (surtout si on est les premiers à avoir des enfants !). D’un coup, il faut faire passer ce petit être avant soi, les désirs et les ambitions personnelles passent au second plan. Cela ne se fait pas sans violence, on oublie parfois de le dire. Certaines s’oublient tellement qu’elles vont se mettre en danger. Il faut donc trouver un nouvel équilibre, réinstaller un cadre, et c’est pour cela qu’il faut un père et un époux, tiers séparateur qui aidera à retrouver une vie de femme, en encourageant à sortir de chez soi, à confier son enfant, à reprendre un travail.

  1. Et si l’enfant n’est pas l’enfant charnel, ce lien entre mère et enfant existe-t-il encore ?

Effectivement, l’enfant ne sera pas sorti du ventre de sa mère mais je dirai qu’il est sorti de ses désirs, de ses rêves, de son attente, et surtout qu’il sera sous sa responsabilité, c’est important de le rappeler. De la même façon que la femme enceinte va imaginer son enfant à naitre, le visage qu’il aura, ses yeux, son caractère, etc., la mère adoptive va se projeter dans sa future vie avec ce petit qui lui sera confié, et préparer sa venue. Le désir, l’attente, la difficulté de la procédure, ne l’oublions pas, tout cela va tisser petit à petit un lien entre la mère et l’enfant. D’ailleurs, les exemples ne manquent pas d’enfants adoptés qui ont toujours considéré comme leurs parents ceux qui les ont élevés, même après avoir découvert qui étaient leurs parents biologiques.