Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« QUE LA PAIX DU SEIGNEUR SOIT TOUJOURS AVEC VOUS ! »

Lectio divina pour le 2ème Dimanche Ordinaire Année A
Is.49, 3-6 / 1Col.1, 1-3 / Jn.1, 29-34

Les textes de ce deuxième dimanche ordinaire sont particulièrement pertinents pour cette semaine de l’unité. Et la Collecte de ce dimanche qui entame notre temps en vert demandant à Dieu « la grâce pour notre temps, la grâce de la paix », nous rappelle ainsi la Journée mondiale de la Paix du 1er Janvier. La paix et l’unité ne sont en fait qu’une même qualité à obtenir pour nos sociétés humaines si marquées par la guerre et la division…

L’aujourd’hui éternel de Dieu transforme l’aujourd’hui éphémère humain

La notion de temps dans le langage de l’Église rejoint celle de génération dans le langage de l’Évangile par exemple lorsque Jésus parle de cette génération d’incrédules. C’est à la fois le moment précis, hic et nunc disent les latins : le hic et nunc du Christ au temps de Son Incarnation ; mais c’est aussi l’ensemble de l’histoire humaine qui se développe sur le flux du temps et qui vient jusqu’à nous. C’est donc aussi notre instant précis, l’année 2020 qui débute, avec tous les points chauds et sanglants de haine, de combats, de morts, qui ensanglantent les quatre coins du globe.

Ce concept de temps a une double dimension : une dimension parfaitement historique, palpable, saisissable, (aujourd’hui, ce 19 janvier 2020 !) ; puis une dimension, non pas universelle, mais éternelle, qui touche à l’eschatologie, aux temps derniers.

Cette histoire nouvelle, à double dimension, remplace l’histoire adamique depuis l’instant de l’Incarnation où le nouvel Adam, le Fils de Dieu, s’est fait Homme, et où, entrant dans notre histoire, Il donne à notre histoire, à notre temps humain, une dimension d’éternité.

L’Alliance nouvelle et éternelle…

Cette histoire nouvelle, dont nous avons célébré l’origine, le départ avec la fête de Noël, c’est tout simplement le temps de l’Alliance nouvelle et éternelle pour reprendre les paroles du Christ, et les paroles de la consécration : l’Alliance de Dieu avec l’homme.

Qui dit Alliance, dit paix, dit fidélité, dit amour… Vous le savez bien, vous, les gens mariés qui portez, selon la tradition romaine, l’alliance au doigt : vous êtes liés l’un à l’autre dans l’unité, dans la fidélité que vous essayez, bon an mal an, de vivre et de construire.

L’histoire nouvelle, c’est ce temps de l’Alliance, ce temps de la paix que Jésus est venu inaugurer par Sa naissance et qu’Il a scellé par Sa mort sur la croix. C’est ce que nous dira Saint Paul dans son épître aux Éphésiens : « Il a réconcilié les hommes, Il a fait la paix entre les hommes et Dieu par le sang de sa croix. »

Ce concept de paix est si important qu’il est en fait, la définition, la caractéristique première de ce que l’on appelle le Salut ou la Rédemption.

Nous avons quelquefois une image un petit peu enfantine de la Rédemption, de ce Salut que Dieu nous apporte par Jésus. Nous en avons sûrement une image trop égoïste. Pour nous la Rédemption, le Salut, c’est un sauve-qui-peut de naufrage ou de catastrophe, durant lequel chacun s’enfuie et tente d’atteindre la sortie de secours ou la barque, en écrasant les autres, en faisant du coude, en achetant les indulgences ou les faveurs…

« L’époux, c’est celui à qui l’épouse appartient. »

La Rédemption, le Salut n’a rien à voir avec ce combat individuel, égoïste, violent. Lorsque Jésus parle de la violence du Royaume de Dieu, ce n’est pas de cette violence qu’il s’agit, c’est d’une violence tout intérieure : la violence que nous faisons au vieil homme pour le briser, l’anéantir, sortir de ses liens, nous en libérer…

Le Salut apporté par Jésus, la Rédemption, c’est au contraire la Paix, l’Alliance avec Dieu, l’être-bien avec Dieu. Cette fidélité spirituelle, ce calme qui existe dans ma relation entre mon âme et mon Dieu, c’est un état d’alliance, c’est un état sponsal.

C’est un peu le thème du baptême de Jésus par Jean au Jourdain que nous réentendrons dans l’Évangile avec l’apparition de la colombe qui signifie l’Esprit, l’âme de l’Église, donc l’Église elle-même dans sa substance la plus profonde.

Pourquoi signifiée par une colombe ? Eh bien, parce que la colombe dans l’Écriture, et en particulier, dans le Cantique des Cantiques symbolise la fiancée, l’âme donnée dans la fidélité, la vierge. Donc, cette manifestation de l’Esprit, sous forme de colombe, au-dessus de Jésus est pour nous rappeler, pour nous signifier que le lien entre l’Église et le Christ, entre l’Epoux et l’Epouse, entre mon âme et Jésus, est véritablement un lien de fiancé à fiancée, un lien d’alliance.

« Qui dit aimer Dieu son Père et n’aime pas son frère est un menteur. »

La Rédemption n’est donc pas ce sauve-qui-peut sauvage que j’évoquais plus haut.

De même la paix, l’alliance que je fais avec Dieu, que je construis avec Dieu ne peut pas se faire au détriment de la relation que j’ai avec mes autres frères. Ce n’est pas, là non plus, un Salut égoïste et individuel.

Puisque les hommes sont tous frères, tous fils d’un même Père, aucun homme ne peut s’allier à son Père, s’unir à lui sans, dans le même temps, se réunir aux autres. C’est l’unité chantée par Saint Paul, toujours dans son épître aux Éphésiens : « Un seul corps, un seul pain, un seul Dieu, et un seul Père. » D’où ces avertissements de Jean dans son épître : « Celui qui dit aimer Dieu, aimer son Père, et ne pas aimer son frère, est un menteur. » Il y aurait incohérence, pire : mensonge…

D’où le désir de Dieu de faire l’unité. Ce n’est pas seulement un désir qu’aurait exprimé Jésus (peu de temps avant de mourir dans Son testament spirituel au chapitre 17 de Jean) en prévision des schismes, ou des divisions de l’Église ! Nous ramenons toujours l’éternité de Dieu à notre histoire, en la réduisant ! Jésus ayant prévu le schisme, les séparations, nos frères protestants, orthodoxes, tout ce que vous voulez, aurait déjà devant Ses apôtres, prié pour l’unité ? Non ! Plus essentiel encore, Jésus prie pour l’unité parce qu’Il sait que l’unité des hommes est une condition sine qua non en même temps qu’elle est conséquence de l’unité des hommes avec Dieu.

Lorsque nous participons aux veillées œcuméniques dans le cadre de la semaine pour l’unité, ce n’est pas seulement pour nous rapprocher des protestants ou des anglicans ou des arméniens. C’est aussi et surtout pour nous rappeler que, quelle que soit notre confession religieuse, nous sommes appelés à être alliés, à faire alliance, puisque nous sommes fils d’un même Père.

« Qu’ils soient un comme nous nous sommes un. »

C’est le grand désir de Jésus : « Qu’ils soient un comme nous nous sommes un. » C’est non seulement Son désir, mais c’est un désir qu’Il a actualisé. Il ne s’est pas contenté de l’évoquer. Saint Paul nous dit, dans la lettre aux Colossiens, que « Dieu a fait habiter en lui, c’est-à-dire en Jésus, la plénitude de la divinité pour réconcilier les hommes, pour Lui. »

Donc le sacrifice de la Croix est vécu par le Christ pour la réconciliation des hommes avec le Père et entre eux. C’est la même personne, le Fils de Dieu ; c’est le même acte : la réconciliation des hommes entre eux car avec Dieu, fondamentalement et en dehors même de toute prévision de scission, j’insiste.

Cette Alliance nouvelle inaugurée par le mystère de Noël, explicitée par le mystère du Baptême, alliance matrimoniale du Christ, l’Époux, avec l’âme, l’épouse, dans le mystère de l’Église, regarde dans le même temps, pour le même motif, dans la même réalisation, dans la même réalité mystérieuse, l’alliance avec mon frère.

« Le Christ est mort pour tous. »

C’est donc par la même opération, qui est la participation à ce sacrifice de la Croix par lequel est faite la réconciliation des hommes avec Dieu et entre eux, que nous pouvons et que nous devons construire l’alliance de notre âme avec notre Père et avec nos frères.

Nous écouterons bien la prière sur les offrandes tout à l’heure, qui débutera la partie eucharistique proprement dite de la Messe, où nous demandons d’être vraiment participants de cette Eucharistie, donc de cette actualisation, de cette présence sur l’autel du Sacrifice de la Croix, par lequel la réconciliation homme-Dieu et homme-frères est réalisée une fois en Jésus pour être dispensée en chacun d’entre nous.

Nous le devons et nous le pouvons. Nous le devons d’abord parce que cette réconciliation avec Dieu et cette réconciliation avec mes frères, ont la même fin, le même but : constituer l’unique famille de l’unique Dieu. Non pas refaire avec cette réduction œcuménique que j’évoquais : il ne s’agit pas de refaire, de recoller, il s’agit de constituer tout simplement. Les morceaux ne sont pas brisés, l’unité de l’Église n’est pas brisée, à cause d’un Pape, à cause d’un Évêque ou à cause d’un moine, à cause d’un pays ou à cause d’un roi, l’unité n’est pas brisée ; l’unité, tout simplement, n’est pas faite dans son accomplissement, dans son achèvement.

Ne pleurons pas sur un temps jadis ! Parce que si jadis il y avait une seule Église, il y avait peut-être aussi dans cette Église des manques d’unité, des inquisitions et des conflits internes aussi peu évangéliques que des guerres de religion.

Non, sachons que cette Église n’était pas -et n’est toujours pas- constituée dans son achèvement parfait de l’unité ; que cette unité, nous devons la construire par notre participation au sacrifice du Christ ; et que nous pouvons, effectivement, construire cette double alliance entre Dieu et le frère, parce que c’est par ce même acte, je le répète, qui est le Sacrifice de la Croix que Jésus a fait la paix de l’humanité avec Son Père, et de l’humanité entre elle.

« Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix. »

Et nous arrivons ainsi à notre combat pour la paix.

Comment, hic et nunc, aujourd’hui en Janvier 2020, face à tous les conflits horribles et injustes du monde, (comme face aux conflits passés, aux conflits futurs dans cette dimension d’éternité, dans cette temporalité de cette histoire nouvelle), comment puis-je travailler pour la paix ?

Il y a d’abord les spécialistes, messieurs les soldats, les militaires et puis les diplomates : deux races à part qui ne s’entendent pas toujours fort bien, mais qui sont toutes les deux des spécialistes de la guerre et de la paix. Ce travail sociologique pour la paix, ne le méprisons pas : ne méprisons ni les généraux, ni les humanitaires.

Soyons, nous, l’armée de l’arrière. Je ne veux pas dire les planqués, mais l’arrière, le back office, c’est-à-dire ceux qui travaillent de manière à ce que l’œuvre sociologique des militaires et des diplomates soit vivifiée et rendue efficace par l’œuvre théologique des baptisés.

Nous rouspétons pour telle ou telle action militaire parce qu’on envoie les soldats ou qu’on ne les envoie pas. On les envoie trop tôt ou trop tard… Mais quelle est notre action véritable pour la paix ? Quelle est notre participation vraie, (« vraiment », dira la prière sur les offrandes) au Sacrifice de Jésus, qui est l’Acte unique, posé une fois pour toutes afin que nous nous y collions, pour faire cette paix entre les hommes et Dieu, et entre les hommes entre eux ?

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? »

Quel est l’état de grâce avec lequel nous participons à la Messe, avec lequel nous allons communier ? Quel est le sérieux de nos Eucharisties dominicales ? Est-ce que nous essayons vraiment, en adhérant de toute notre personne au Sacrifice du Christ, par lequel Il a fait la paix dans le monde avec Dieu et avec les hommes, de produire la paix véritable ?

Il s’agit effectivement d’adhérer de toute notre personne et ne pas nous contenter de la quête avec les quelques pièces que nous versons. Il s’agit de notre cœur, de notre intelligence, de nos qualités, de nos ressources, de notre temps, que nous offrons à Dieu tous les dimanches, dans ce Sacrifice de pacification afin, comme le Christ a voulu le faire, de développer dans le monde la Vie de Dieu, cet Amour infini qu’Il a pour les hommes, à commencer par moi-même, à commencer par chacun d’entre nous.

Cet Amour de Dieu est une vision amoureuse profonde, pénétrante des besoins des hommes, qui entraîne une générosité véritable : de quoi as-tu besoin mon frère, d’un morceau de pain, d’un service, de ma compétence, de ma qualité, de ma présence, de mon argent, de ma prière, de mon encouragement, de mon soutien, de ma compassion ? De quoi as-tu besoin ? Est-ce que nous nous posons ces questions ?

« Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ! »

Chacun a du prix aux yeux du Seigneur. Isaïe nous le rappelle dans la lecture. Chacun de mes frères a du prix, a son prix, plein et entier, unique, aux yeux du Seigneur ! C’est cette vision-là que Dieu a sur l’homme et qu’Il désire, en bon Père, faire partager à chacun de Ses enfants. Chacun et chacune d’entre nous a son prix, est un objet unique. C’est pour cela que Dieu fait tout pour chacun et chacune d’entre nous ; Il ne se partage pas, tout Son Amour va entièrement dans nos âmes !

Lorsque le prophète Isaïe rappelle qu’Il est choisi dès le sein de sa mère pour être serviteur, c’est un appel pour nous faire réfléchir à cette vocation baptismale de serviteur de la paix. Il ne s’agit pas de faire des manifestations avec des pancartes, pour ou contre les armes nucléaires… Ce n’est pas ça ! Il s’agit d’être comme Isaïe, ou comme Paul, de pouvoir porter la paix aux extrémités de la terre, de pouvoir dire profondément en vérité : « Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous ! » Pouvoir apporter la paix de Dieu aux hommes, c’est-à-dire pouvoir finalement regarder chacun de mes frères avec le prix qui est le sien et qui est celui de Dieu, ses besoins et y répondre.

Commençons par nous-mêmes, par nos familles, par nos communautés de village, de ville, de paroisses.

C’est cela œuvrer pour la Paix.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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