Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« SI LE GRAIN DE BLÉ NE TOMBE EN TERRE ET NE MEURT… »

Lectio divina pour le 5ème Dimanche de Carême
Jr. 31, 31-34 He. 5, 7-9 Jn.12, 20-33.

On aura remarqué que les premières lectures de nos dimanches de Carême brossent une gigantesque fresque de l’Histoire du Salut qui n’est rien d’autre que la double démarche de Dieu qui descend à la rencontre de l’homme et de l’homme qui, progressivement, part à la recherche et à la rencontre de Dieu.

Cette descente de Dieu vers l’homme, qui a pris un certain nombre de milliers d’années, s’est faite par étapes qui nous ont été rappelées durant ces dimanches.

« Je conclurai avec eux une alliance nouvelle… »

D’abord, l’étape de la Création qui est la première Alliance ; puis l’étape de la vocation d’Abraham où Dieu, pour la première fois, parle et appelle l’homme : étape de la transmission de la Parole de Dieu dans les Tables de la Loi à travers le médiateur Moise.

A chaque fois, Dieu se rapproche de nous : Dieu se fait plus proche et plus intelligible. A chaque fois, aussi, Dieu demande à l’homme de faire alliance : Adam, Abraham, Israël et, à chaque fois, Dieu annonce une Alliance future qui est l’Alliance nouvelle et éternelle. Il promet à la descendance d’Eve d’écraser par son talon la descendance du Mauvais ; Il promet à Abraham une multitude de générations, de descendances. Il promet à Moïse un prophète qui apportera la Parole et qui sera écouté.

Bref, il y a toujours cette double action de Dieu, qui, lorsqu’Il s’adresse aux hommes pour S’approcher d’eux petit-à-petit leur demande de faire une alliance et dans le même temps leur promet une Alliance nouvelle et éternelle…

Puisque le Carême est un temps où nous essayons de nous sensibiliser à l’Alliance entre Dieu et l’homme, où nous essayons de revivre notre alliance baptismale, où nous essayons de renaître à l’amour sponsal entre l’humanité et la divinité, il est tout à fait normal, encourageant et stimulant pour nous de revivre ces différentes étapes de la marche de Dieu vers l’humanité et de la réponse de l’humanité vers son Dieu.

« L’Heure est venue. »

Aujourd’hui, pour le 5ème dimanche, Dieu va employer l’ultime moyen par lequel Il va s’approcher de l’homme, et ce moyen, ce sont les prophètes dont le premier rôle est, comme nous venons de l’entendre dans la première lecture, d’annoncer aussi cette Alliance nouvelle et éternelle : « Je conclurai avec eux une alliance nouvelle, ils seront mon peuple, et je serai leur Dieu. » Mais aussi, comme à chaque fois, les prophètes sont là pour demander aux hommes qui cheminent vers cette Alliance nouvelle, de conclure avec Dieu une alliance ponctuelle.

Nous nous posons souvent cette question : pourquoi tout ce temps ? Pourquoi a-t-il fallu cet Ancien Testament ? Pourquoi a-t-il fallu tant d’années depuis la création de la Genèse jusqu’à Abraham, d’Abraham à Moïse, et de Moïse au Christ, et finalement durant la vie de Jésus, pourquoi a-t-il fallu encore attendre 30 ans pour que soit scellée dans le Sang de l’Agneau cette Alliance nouvelle et éternelle ? Et pourquoi, surtout, a-t-il fallu qu’à chaque fois que Dieu Se révèle aux hommes, Il les incite à faire une alliance figurative, ponctuelle, provisoire et leur dévoile que, dans le futur, le contrat matrimonial qu’il y aura entre l’humanité et la divinité arrivera un jour de manière définitive et irrémissible ?

Dieu a usé du temps, dont Il est le Maître, afin que l’homme arrive à l’Heure du Père, Heure dont parle Jésus dans l’Evangile de Jean, lors du miracle de Cana : « Mon heure n’est pas encore venue… ». Cette Heure est ce moment crucial, au sens propre, dans lequel nous entrons, comme nous allons le voir avec la Passion, lorsque Jésus dit « L’heure est venue. »

« Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul. »

Et remarquons que cette heure n’est même pas l’heure de Jésus, c’est « l’heure du Fils de l’Homme », donc l’Heure de Son Père !

Comment peut-on définir l’Heure du Père ?

L’Heure du Père, pour Dieu, c’est l’heure à laquelle Il jugera les hommes capables d’entendre et de comprendre l’esprit de l’Alliance nouvelle et éternelle.

Il est significatif en cela de voir les Grecs demander à rencontrer Jésus. C’est le symbole de l’ouverture au Salut universel, l’ouverture aux nations et aux gentils. C’est le signe qu’à ce moment-là l’Heure du Père arrive parce que les fils que sont les hommes sont capables (même s’ils ne le feront pas tous) d’entendre et de comprendre l’esprit dans lequel Dieu veut sceller l’Alliance définitive avec l’humanité.

Cela nous étonne de devoir attendre, être formés, être pétris de la Parole de Dieu, des révélations, du cheminement, de l’Exode, des prophètes et des Rois, et même des 30 ans de la vie cachée de Nazareth pour être capables d’entendre le contrat de mariage entre Dieu et notre âme ?

Ce contrat, Jésus le définit dans l’Evangile : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul. » Pensez-vous qu’il soit naturel à l’homme de vivre, de prendre avec lui, de naître à cet esprit qui est un esprit de sacrifice intérieur, de soi-même ?

Nous sommes ici très loin de la parabole du semeur dans laquelle l’homme prend la graine et la jette, quelle que soit la bonne volonté de la graine, sur la route ou sur la terre, dans les broussailles ou sur les pierres. Il ne s’agit pas maintenant d’être jeté et de mourir, d’être tué. A l’exemple du Christ qui va être trahi par Judas et va accepter librement l’heure de cette trahison, il s’agit pour nous les hommes de mourir à nous-mêmes, de l’intérieur, volontairement, de se sacrifier, de se donner, de se sortir de soi pour aller vers quelqu’un d’autre…

Croyez-vous qu’il soit naturel à l’homme de vivre le paradoxe que Jésus énonce dans l’Evangile, à savoir qu’il faut que je m’offre, mais non pas en punition, ce qui, à la limite, pourrait se comprendre. Non, ici, il faut, comme Jésus, que je m’offre pour donner la vie ! Voilà ce paradoxe que Jésus développera dans le chapitre 15 de Jean avec l’allégorie de la vigne : il me faut disparaître, être enté sur le cep principal pour devenir simple sarment et pouvoir alors porter du fruit… Le sarment n’est rien en lui- même, il n’est que la prolongation de la vie du cep.

« Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta Parole. »

Si nous faisons l’examen de conscience de notre vie familiale ou professionnelle, paroissiale, civique ou politique, est-ce que nous trouvons de manière habituelle cette réaction désirée par Dieu, cette réaction d’alliance, ce vécu de l’amour matrimonial que Dieu nous propose et qui consiste à mourir pour donner la vie ?

Nous comprenons maintenant la nécessité qu’il y avait à ce que l’homme soit préparé, et de longue date, pour arriver à accepter la Parole de Dieu, à la garder, à la faire sienne comme Marie à Nazareth lors de l’Annonciation : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta Parole. »

Et cette Parole, elle ne comprend pas seulement l’annonciation ponctuelle de Gabriel, elle comprend toute la Parole de Dieu. Et elle comprend ce dépouillement que va vivre Marie jusqu’à la maternité universelle qui lui sera donnée sur la Croix et avec elle, elle comprend tout le dépouillement de l’Eglise dont Marie est Mère et premier des membres. Donc, elle comprend aussi le pèlerinage de chacun et chacune d’entre nous, l’acceptation difficile, il faut le reconnaître, de ce vécu du grain de blé qui doit se dépouiller lui-même de l’intérieur pour accepter la loi de la vie et porter du fruit !

« Je leur pardonnerai leurs péchés. »

Il fallait bien tout ce temps de l’Ancien Testament, il fallait bien toutes ces alliances figuratrices en même temps que significatrices pour arriver à cette Alliance que Dieu désire d’un tel Amour et qu’Il veut tellement parfaite qu’Il la souhaite irrémissible, ce qu’elle sera : « Je leur pardonnerai leurs fautes. »

C’est la première fois qu’il y a une telle Alliance, annoncée dans l’Ancien Testament et réalisée par le Christ, entre Dieu et notre humanité : Alliance qui est difficile à vivre, nous venons de le voir, Alliance qui entraînera des adultères et des tromperies de la part de l’humanité, mais Alliance qui reste fidèle parce que le don de Dieu est sans repentance… Alliance nouvelle et éternelle donc dans le sang de Jésus : « Je ne me rappellerai plus leurs péchés. »

Quelles que soient nos fautes, quelles que soient nos trahisons et lâchetés, nos misères et dérapages que nous avons pu vivre et commettre cette année, nous savons que, lorsque nous nous approcherons du Sacrement de la Réconciliation pour arriver avec un cœur pur aux fêtes pascales, Dieu notre époux nous pardonnera notre péché.

Voilà la grande nouveauté qui rend l’Alliance éternelle car rien ne peut arrêter la miséricorde de l’Epoux divin !

« Il se vida lui-même pour prendre forme d’esclave… »

Il fallait aussi cette préparation de l’Ancien Testament pour que l’homme comprenne que cette Alliance nouvelle et éternelle doit se faire elle-même dans la désappropriation de Dieu.

Nous sommes loin de l’espoir messianique du monde juif (que Dieu a accepté cependant) que Dieu a purifié durant ces années avec les rois et les prophètes, les juges et les patriarches, les livres sapientiaux et les livres psalmiques pour nous faire comprendre que la Gloire de Dieu (qui est « l’homme vivant » écrivait Saint Irénée) ne passe pas par une royauté temporelle, ne passe pas par une gloire à la manière humaine, ne passe pas par la justification de l’homme, (ce que les pharisiens n’accepteront pas) mais passe par la justification de Dieu. Et Dieu se justifie en se désappropriant. C’est le thème de l’Epître aux Hébreux. C’est Dieu lui-même, alors que c’est nous qui sommes dans la misère, c’est Dieu Lui-même qui descend définitivement dans le mystère de l’Incarnation : « Il se vida pour prendre forme d’esclave, et il s’humilia plus encore pour mourir sur une croix. » « C’est pourquoi, nous dit la Lecture de l’Epître aux Hébreux, Il devient cause de salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent »… C’est-à-dire qui obéissent à cette même loi qui est la loi de l’Alliance et que Dieu, le premier, a vécue totalement dans Sa divinité et dans l’humanité qu’Il a assumée en Jésus.

Le Très Bas…

Ne pensons-nous pas qu’il fallait du temps pour que l’esprit humain finisse par accepter, à la manière de Notre Dame, à la manière du Baptiste et des Justes de l’Ancien Testament, à la manière de Marie Madeleine, à la manière de Zachée et de Matthieu, à la manière de Pierre et de Jean, cette désappropriation du Dieu qui vient Se vider ainsi Lui-même pour Se marier avec l’humanité ?

C’est le renversement total de la spiritualité sacerdotale de l’Ancien Testament dans laquelle le prêtre monte, monte, monte… pour essayer de rejoindre Dieu sans succès. Là, c’est Dieu, le Très-Haut, qui Se fait Lui-même prêtre en descendant, descendant, descendant… jusqu’à devenir le Très-Bas et venir S’incarner dans notre terre des hommes.

Cette vie de Jésus est la vie du Premier de l’humanité nouvelle et donc, il faut que nous aussi, nous passions par cette loi de la désappropriation : « Celui qui veut être avec moi, qu’il me suive… » c’est-à-dire qu’il garde mon principe de vie, « qu’il demeure en mon amour », en cet Amour que j’exprime vers le Père et vers les hommes ! Qu’il garde ma loi qui est la loi de la plénitude, déjà dans l’Ancien Testament : « Tu aimeras ton Dieu de toute ton âme, de toutes tes forces, de tout ton cœur » comme le mari aime sa femme et comme la femme aime son époux…

« Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. »

Le changement de l’Alliance Nouvelle par rapport à l’Ancienne, c’est qu’au lieu de rajouter : « …le prochain comme toi-même », le Sauveur complète en disant : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » Tel est le commandement de l’amour du prochain, à la fois ancien et nouveau que Jésus nous donne !

Vous aussi, comme des grains de blé, comme Je l’ai vécu, dans cette entrée en Passion, sachez mourir à vous-mêmes, ne vous laissez pas tuer ! Il ne s’agit pas de se laisser tuer par fatalisme ou mauvais esprit de martyre ou lâcheté ou paresse ; il s’agit, comme Jésus, de donner sa vie : « Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne, pour la reprendre, et c’est pour cela que le Père m’aime. »

Si vous voulez être aimés du Père, si vous voulez être honorés du Père, il faut entrer dans cette loi de l’amour, dans cette loi de la désappropriation : « Il pria pour être épargné de la mort et il fut exaucé à cause de sa piété. » Ce n’est pas de la mort physique dont parle l’épître aux Hébreux, c’est de la mort intérieure ; et la mort intérieure, c’est la mort de la désobéissance, c’est-à-dire la mort due à la désunion de la volonté avec le Seigneur.

Seigneur -cela devrait être notre prière comme celle de Jésus à l’Agonie- Seigneur, que Ta volonté soit faite, non pas la mienne ! Non pas ce que je pense être de mieux pour moi, non pas ce que je désire, mais ce que Toi, Tu désires pour moi afin que je sois un instrument de Ton Salut !

« Allons nous aussi à Jérusalem et mourons avec lui ! »

Alors, nous comprenons maintenant mieux pourquoi aujourd’hui, dans ce 5ème dimanche de Carême, nous voilons la Croix. Probablement, ce n’est qu’une hypothèse, qu’anciennement le Carême commençait au dimanche de Lætare, c’est-à-dire dimanche dernier. D’où la joie, la joie d’entrer en Carême, cette joie des apôtres : « Allons nous aussi à Jérusalem et mourons avec lui ! », la joie de Le suivre, la joie d’avoir un temps bien particulier pour faire pénitence, pour réparer le non-amour, pour demander pardon.

Puis, lors de ce 5ème dimanche, dénommé premier dimanche de la Passion puisque l’Eglise entrait véritablement en Carême, se faisait le voilement des croix. En effet, c’est aujourd’hui que Jésus révèle la loi de l’Alliance entre Dieu et l’homme : « Si le grain de blé ne meurt… » Et donc la disparition de l’humanité de Jésus qui s’humilie, qui s’abaisse, afin que, comme Il le prévoit déjà, dans la transfiguration de Son mystère pascal Il attire tous les hommes à Lui : « Quand je serai élevé, j’attirerai tout à moi. »

 

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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