Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« PRENDS SEIGNEUR ET REÇOIS TOUTE MA LIBERTE ! »

Is.60, 1-6 Eph.3, 2-6 Mat.2, 1-12

Nous revoilà en face de l’épisode peut-être le plus populaire du temps de Noël : celui de l’adoration des mages. Nous savons bien, pour l’avoir entendu maintes et maintes fois, que cet évènement signifie fondamentalement la révélation de Dieu aux nations païennes, l’extension du salut au-delà des frontières du peuple juif, (frontières humaines plus que géographiques) pour toucher ce que l’on appelait la gentilité. La Collecte, la lecture du prophète Isaïe et celle de saint Paul centrent notre réflexion sur ce point qui est évidemment la base de cet épisode. Je propose cependant de réfléchir un petit peu plus profondément voir si l’on ne peut trouver un enseignement complémentaire sur ce passage des mages.

 

On attribue classiquement le don de l’or comme la représentation de la royauté du Christ, le don de l’encens comme l’affirmation de Sa divinité et le don de la myrrhe comme la prédiction de Son sacrifice et de sa mort.

Regardons un petit peu plus loin.

Tout d’abord le mouvement des mages dépend de deux facteurs. L’étoile qui est l’évènement extérieur : ce pourra être dans notre vie une rencontre, une prédication, la contemplation d’une église, d’un tableau ou de la nature, bref un évènement qui se situe à l’extérieur de notre personne, de notre intimité, de notre intériorité et qui nous bouleverse, nous illumine, nous renverse… Souvenons-nous de saint Paul sur son cheval se rendant à Damas. Relativement nombreux sont ces cas ; le plus célèbre peut-être de nos temps modernes étant celui de Claudel derrière son fameux pilier à Notre-Dame.

Etre en attente de Dieu…

Mais il y a un autre évènement qui est aussi nécessaire. Et on le trouve chez les mages. Ils étaient dans la contemplation pas seulement scientifique, mais philosophique pour ne pas dire mystique de la voûte céleste. Cet autre évènement, c’est l’évènement intérieur qui est le désir, l’attente ; et qui est nécessaire pour recevoir l’évènement extérieur et le recevoir comme tel, c’est-à-dire comme signe. C’est parce que les mages sont en attente de quelque chose qu’ils vont remarquer cette étoile.

Si nous relisons l’Evangile, nous nous apercevons que la plupart du temps, les miracles de Jésus sont offerts à des personnes qu’Il rencontre et qui sont en attente de quelque chose aussi bien au niveau physique qu’au niveau plus intérieur du salut, en attente de la messianité.

Voilà donc la première idée : les mages se sont mis en mouvement vers Dieu, les mages qui représentent donc le peuple de la gentilité, se sont mis en mouvement vers Dieu parce qu’il y avait en eux une disposition libre, un désir, une attente, une recherche. C’est cette disposition intérieure qui leur a permis de percevoir l’évènement extérieur (pour eux c’était la lumière de l’astre, pour nous cela sera donc d’autres évènements) comme un signe.

Etre en recherche de Dieu…

Deuxième idée : le mouvement des mages se divise en deux phases bien différentes.

La première, qui est la plus longue d’après le récit de l’évangéliste, est la recherche de Dieu. Ils partent de leur pays lointain. On ne sait pas trop où il se trouvaient, probablement en Mésopotamie… Ils partent de ce lointain pays et se mettent en recherche. Ils font des rencontres, dont la rencontre d’Hérode sera la dernière.

Bref cet aller vers Dieu est quelque chose de peineux, de long, de difficultueux, malgré l’astre brillant qui les précède et leur indique la route.

Et puis tout à coup arrive la dernière phrase de l’Evangile : « Ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. »

Voilà que nous entrons dans la deuxième phase, extrêmement rapide, simple, claire, sans difficulté. La première phase est longue parce qu’il y a ces deux facteurs qui coexistent et qui doivent sans cesse s’appeler l’un et l’autre : le facteur extérieur qui est l’étoile, et le désir qu’il faut sans cesse réchauffer, réanimer.

Alors que dans la deuxième phase, la recherche disparaît : elle est remplacée par la vision : « Et ils se réjouirent de voir le Seigneur. »

« Va ta foi t’a sauvé ! »

Il n’y a plus de recherche, il y a une certitude. Bien entendu c’est une certitude de foi. Ils voient un enfant. Ils ont vu le Christ, mais ils n’ont vu qu’un enfant ! Comme nous : nous voyons le Christ dans l’Eucharistie sous les espèces du pain…

Il fallait donc pour se prosterner un mouvement de foi. Ainsi, ce n’est pas une vision physique, c’est une vision intérieure : c’est la certitude de la foi amoureuse. Comme lorsque les humains savent qu’ils ont rencontré l’âme sœur : ça ne s’explique pas… Ils savent que c’est elle, que c’est lui, et c’est l’amour…

Dans nos vies bien entendu ce n’est pas aussi simple. Il y a, mélangées et qui s’interpénètrent, ces deux phases de recherche et de certitude, de parcours long, peineux, difficultueux et de vision intuitive : « C’est lui c’est le Seigneur ! », comme dit Pierre qui se jette à l’eau après la Résurrection ainsi que le raconte l’évangile de Jean.

Le principal dans nos vies où ces deux phases s’entremêlent avec à la fois une démarche longue et puis une course fulgurante, le principal est de faire primer la foi dans la recherche.

Ainsi, lorsque nous sommes dans une étape de nomade, comme le peuple juif qui tourne et vire pendant 40 ans dans le désert, lorsque nous sommes un peu fatigués par la route, c’est alors qu’il faut faire appel à notre foi ; la faire primer, non pas chronologiquement, mais en tant que valeur.

L’avoir, le savoir, le pouvoir…

Troisième idée : les mages ne sont pas des sorciers, ce ne sont pas des marginaux, ce ne sont point des fous.

Les mages, à l’époque, étaient donc des savants qui, en général, avaient un immense pouvoir : ils étaient rois ou satrapes, s’adonnaient aux sciences, à la recherche physique ou astrophysique. Ce ne sont donc pas des sorciers.

La meilleure preuve en est qu’ils déposent aux pieds de Jésus trois signes riches de sens. Ils déposent l’or qui est le symbole de l’avoir, de tout ce qui est richesse et ce qui est création de richesse à leur époque : le commerce, les terres, la guerre, etc…

Ils déposent aux pieds de Jésus l’encens qui est le signe du divin, de la divination et qui représente le savoir. L’encens est le signe de la sagesse, de la vision intérieure, de la prévision, donc de la science telle que Dieu la possède. L’encens déposé aux pieds de Jésus est le signe de tout ce qui regarde le monde de la connaissance, le monde du savoir, le monde de la recherche. A leur époque donc la recherche physique ou astrologique. A notre époque le monde de la mathématique, de la médecine, de la chirurgie… Le monde de la découverte des lois de la nature, le monde du progrès technique et de la technologie, le monde du progrès médical…

Ils déposent aux pieds de Jésus la myrrhe qui représente, à l’époque dans ce contexte, la mort. La myrrhe déposée par les rois mages aux pieds de Jésus est le signe du pouvoir de vie et du pouvoir de mort. Comme Pilate qui aura le pouvoir de vie ou de mort sur Jésus.

Voilà donc ces valeurs que nous voyons quelquefois comme méprisables, que nous pensons devoir traiter de méprisables en tant que chrétiens : le pouvoir et le monde des responsabilités politiques, l’avoir et la richesse, le savoir et le monde des chercheurs, les scientifiques qui sont souvent pour nous considérés comme des athées ou des croquants.

Ces trois mondes sont là aux pieds de Jésus, au même titre que Marie, au même titre que les bergers, au même titre que les gens simples ou pauvres, au même titre que les humbles. Parce que le Christ veut aussi sanctifier le monde du pouvoir, le monde du savoir et le monde de l’avoir.

De la rencontre à l’apostolat…

Quatrième et dernière idée.

Les mages ayant expérimenté cette rencontre avec le Seigneur vont devenir aussitôt apôtres. Comme André qui ira chercher Pierre : « J’ai rencontré le Messie ! » ; puis ils vont chercher Nathanaël ; ils sortiront enfin de Jérusalem pour évangéliser la Palestine et finalement le monde.

Les mages vont retourner dans leur pays. Ils ne restent pas. Ils pourraient ! Ils sont suffisamment riches, ils ont suffisamment de biens, ils sont dans une époque d’économie et de politique telles que ça ne dérangerait aucunement qu’ils plantent leurs tentes devant la crèche et qu’ils deviennent les voisins, les amis de Jésus… Mais non, ils s’en retournent chez eux.

Cependant, avant de retourner chez eux, ils vont faire ce geste de l’offrande : ils donnent…

Et là, on peut dire que les pauvres qui les ont précédés, à savoir Marie, Joseph et les bergers, les ont en quelque sorte convertis à travers le Christ-enfant. La présence avec le Christ, à côté du Christ, de ces pauvres juifs, ces anawim, ce petit reste du peuple hébreu représenté par Marie, Joseph et les bergers a converti les rois mages sans aucune parole, sans aucune prédication.

« Prends Seigneur et reçois toute ma liberté… »

Et les mages, convertis, déposent leurs offrandes. Ils donnent, ils se font pauvres !

Ils ne donnent pas seulement ce qu’ils ont, ils donnent ce qu’ils sont.

A savoir l’or qui est signe de leur richesse humaine, de leur pouvoir, de tout ce qui fait qu’ils sont hommes.

Ils déposent l’encens, le signe de leur part de divinité c’est-à-dire qu’ils donnent à Dieu cette image de Dieu qui est en eux, dont ils perçoivent plus ou moins l’existence de manière implicite ou explicite.

Bien sûr, ils ne sont pas théologiens et ne sauraient expliquer pourquoi ou ce qui est en eux. Mais, attirés qu’ils sont par la divinité, ils déposent aux pieds de cette divinité rencontrée la part d’eux-mêmes qui les fait ressembler à la divinité. Ils offrent. Ils font le contraire d’Adam et d’Eve qui se séparent du monde de Dieu au Paradis. Ils arrivent et, en déposant l’encens aux pieds de Jésus, ils signifient par là qu’ils redonnent à Dieu l’image qui est au fond de leur âme.

Et enfin par la myrrhe, ils signifient que ce don qu’ils font, non pas de ce qu’ils ont mais de ce qu’ils sont profondément, donc leur part humaine, leur part divine, finalement leur vocation d’enfant de Dieu, ils veulent l’offrir totalement. Ils désirent se dépouiller. Ils en font le sacrifice jusqu’à la mort ; pas forcément la mort physique comme le Christ à la Croix, mais au moins le dépouillement d’eux-mêmes, la mort intérieure, la mort à soi qui est représentée par la myrrhe signe du sacrifice.

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime. »

Les mages anticipent cette phrase du Christ : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime. »

Ce faisant, ils anticipent la croix du Christ en déposant cette myrrhe qui signifie que ce qu’ils sont ils le donnent ; ils le donnent vraiment, ils le donnent en totalité. Ils le donnent, ils se dépouillent, ils se font pauvres.

Voilà quatre idées qui peuvent nous aider à méditer cet épisode si connu des rois mages et peut-être aussi, en ce début d’année, nous aider à réfléchir sur la direction à prendre pour notre vie chrétienne pour 2021 : tel ou tel point qui me manque, tel ou tel sens à remettre dans ma vie… C’est la grâce que nous pourrons demander en cette solennité de l’Epiphanie.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

Retrouvez la lectio divina quotidienne (#twittomelie, #TrekCiel) sur tweet : @mgrjmlegall