Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« M’AIMES-TU ? »

Lectio divina pour le 7ème Dimanche Ordinaire Année C
1Sam. 26, 2-23 1Cor. 15, 45-49 Lc. 6, 27-38

L’Evangile du 7ème Dimanche Ordinaire se situe dans le droit fil du Discours inaugural des Béatitudes entendu le dimanche précédent. Ce passage est bien moins poétique et nous fait entrer, si l’on peut dire, dans le vif du sujet : l’analyse des conséquences pratiques et concrètes des Béatitudes traitées il y a huit jours.

James Tissot, Le sermon des Béatitudes, 1890, Brooklyn Museum

Le discours des Béatitudes se résume finalement à cette règle d’or : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse…, Aimez vos ennemis…, Prêtez sans attendre de retour…, Donnez à qui vous demande…, Priez pour ceux qui vous persécutent…

Et c’est autrement plus difficile à entendre et à comprendre, c’est à dire à prendre avec soi, à mettre en pratique, que la poésie des Béatitudes !

« Bonum diffusivum sui… »

Essayons donc de voir dans quel sens nous devons comprendre cet appel à la miséricorde, cette miséricorde dont Jésus nous parle et qui doit être surabondante.

Nous avons demandé à Dieu, dans la Collecte, « la grâce de conformer nos paroles et nos actes à sa volonté. » La volonté de Dieu, c’est la sanctification du monde. La volonté divine, c’est le bien que Dieu veut pour toute la Création.

Ceci est un point essentiel qui doit être le fondement de notre foi et qui, en passant, nous permet de définir le péché comme étant ce qui, dans notre vie, freine -par notre libre choix- cette dynamique du Bien enraciné en Dieu et qu’Il souhaite diffuser et répandre autour de Lui.

La morale des Dix Commandements…

Le péché est un non-bien, le mal est un non-bien et vous allez voir quelle importance cela peut avoir pour notre vie spirituelle.

En disant que le péché est un non-bien posé librement pour freiner la diffusion de la Bonté divine dans le monde, nous nous interdisons à tout jamais de travestir la première donnée morale que Yahvé révéla à Moïse dans les Dix Commandements.

Sauf le premier concernant l’adoration de Dieu, les Dix Commandements sont tous négatifs : « Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne mentiras pas… » C’est dire que dans la perspective de cette Loi originelle, si on laisse de côté son fondement qui est l’adoration divine, on risque très vite de pervertir complètement les Paroles de Vie de Yahvé en voyant le Bien comme un non-mal, ce qui est totalement différent.

Cette perversion de la Loi donnera naissance aux pharisiens. Pour ceux-ci, être en règle consiste à ne pas faire le mal : le bien est un non-mal. Vous êtes allés à la Messe dimanche ? Donc vous êtes de bons chrétiens, vous êtes en règle… Vous n’avez tué personne ? Donc vous êtes en règle. Vous n’avez pas porté de faux-témoignages devant les tribunaux ? Donc vous êtes en règle…

La recherche perpétuelle de l’adhésion à Dieu…

Si l’on oublie le premier commandement qui donne lumière et sens à tous les autres, la Loi de Moïse ne peut être que statique, négative et limitative : il suffit de ne pas poser explicitement un acte mauvais pour être dans le bien.

Jésus, dans l’Evangile, de par Sa vie et Son enseignement, nous prêche que c’est tout le contraire !

Comment, d’ailleurs, pourrions-nous en tant que chrétiens, c’est à dire adhérant à l’Evangile du Christ, comment pourrions-nous être assurés que nous mettons cet Evangile en pratique c’est à dire que nous sommes « parfaits comme le Père est parfait », que nous sommes identifiés, conformés au Christ, que nous sommes, comme nous le rappelle saint Paul, à « l’image de Celui qui vient du Ciel » ? Qui d’entre nous peut prétendre aimer sa femme, son mari, ses enfants, son ami, comme le Christ, comme Dieu l’aime ?

L’application de la loi évangélique est une recherche perpétuelle d’adhésion à Dieu, un perpétuel dépassement, une tension infinie vers un plus, vers une conformité plus exacte, vers une proximité plus grande, vers une adhésion plus forte à la Vie de Dieu qui de toute façon nous dépasse puisque la Vie de Dieu est Sa sainteté !

On reconnaît les saints au fait qu’ils se savent pécheurs !

On reconnaît les saints au fait qu’ils se savent pécheurs. Plus nous approchons de la lumière, plus nous avons conscience que nous en sommes loin. La sainteté évangélique est un cheminement, un exode de soi jamais terminé par lequel nous essayons de nous perdre de vue pour nous rapprocher de la perfection divine donnée en exemple par la vie de Jésus.

Il y a donc dans l’Evangile -et dans notre Baptême qui est adhésion à l’Evangile- un principe inhérent de dynamique intérieure. Notre âme ne peut pas être en repos, elle est perpétuellement en tension et c’est cela la sainteté, c’est cette recherche perpétuelle d’une proximité plus grande au Christ. Cela n’a rien à voir donc avec une vision limitative et négative de la Loi !

Nous comprenons bien qu’en regardant les Dix Commandements -qui restent bien entendu à respecter et à pratiquer- avec les yeux de Jésus-Christ, en les regardant dans le sens de l’Evangile des Béatitudes, c’est à dire à l’envers de notre mode habituel de les lire, nous voyons que nous ne les pratiquons jamais parfaitement ! Nous pouvons très bien être à la Messe comme des bûches, nous pouvons très bien être à la Messe et ne pas mettre en pratique ce que nous recevons de la Parole de Dieu et de l’Eucharistie. C’est pour cela, dit la Collecte, que nous sommes « en recherche inlassable de biens spirituels. » Il n’y a pas de retraite dans la vie chrétienne !

« Aimez vos ennemis… »

Être en recherche inlassable de biens spirituels c’est rechercher les biens de Dieu : des biens que Dieu désire pour le monde, pour moi, pour mon proche prochain, pour mon prochain plus éloigné et ainsi de suite jusqu’aux confins de la terre…

Cette recherche est inlassable parce que ce bien de Dieu n’est pas évident en lui-même, pour moi pauvre pécheur, ou n’est pas conforme à mon désir, pour moi pauvre pécheur.

Nous pouvons avoir devant nous un bien qui est évident mais que nous ne voulons pas. Ou au contraire nous pouvons avoir devant nous un bien qui est caché et que nous devons chercher comme la fiancée du Cantique des Cantiques.

C’est l’exemple de David et de Saül. David est injustement poursuivi par Saül ; la Providence de Dieu met Saül à sa portée. Il peut se venger ; il peut tuer le roi et il pardonne… Pourtant David n’était pas un enfant de chœur, comme il le montrera avec Uri le Hittite… David pardonne et ces paroles deviendront un ordre dans la bouche du Christ : « Aimez vos ennemis…Faites du bien à ceux qui vous haïssent… Priez pour ceux qui vous persécutent… »

Nos ennemis ne sont pas forcément ceux à qui nous pensons spontanément. L’ennemi, c’est celui qui est à côté de nous sur le banc de l’église et qui nous importune, qui nous incommode. C’est aussi celui qui nous fait une réflexion désagréable que nous n’acceptons pas. C’est le conjoint qui a ses défauts, ses travers, ses tics qui, au bout de nombreuses années de vie conjugale, vous insupporte. C’est le voisin de palier qui lui aussi a ses manies, ses manières. C’est le frère de communauté qui chante mal à côté de vous depuis 20 ans. Voilà l’ennemi…

Nous avons tous nos ennemis à commencer par celui qui est à l’intérieur, le grand Ennemi. En fait, c’est celui-là qui nous fait monter en mayonnaise sur le prochain qui devient ainsi notre ennemi ! Ce n’est pas pour rien qu’il est appelé Diable dont l’étymologie signifie : celui qui divise…

Pardonner l’autre car il est aimé de Dieu…

Sur quelle base fonder mon pardon ?

Parler de la miséricorde, de cette mesure bien pleine, tassée, qu’est-ce que cela veut dire ? Parce que, finalement, c’est cela que Jésus demande : de remplacer l’abondance de ma rancune, -comme ces vieilles rancunes paysannes qui n’arrêtent jamais- qui jaillit du fond de mon cœur avec une rapidité étonnante, par une surabondance d’amour reçu de Lui et qui submergera et purifiera le cœur !

Chez Dieu tout est sphérique, tout est souple, tout est acceptation. C’est de cela que parle Jésus : la mesure bien pleine, tassée

David ne touche pas Saül parce que Saül est oint c’est à dire qu’il est appelé par Dieu, il est aimé de Dieu dans une vocation particulière qui est la sienne comme chacun de nous avons notre vocation particulière et notre nom.

Nous sommes chacun appelés, élus et donc aimés. Ce qui veut dire que l’acte de David (et ce que nous propose le Christ) ne regarde pas l’acte objectif qui peut en lui-même être mauvais et qui en tant que tel est objet de condamnation. Mais le pardon de David (et ce que demande Jésus) regarde la personne et plus précisément cette relation de Yahvé à Saül, cette relation de Dieu à l’homme, cette élection, cet amour particulier qui fait que tout homme est comme oint par l’Amour de Dieu qui l’enveloppe.

« Tu ne tueras pas ! »

Le pardon regarde donc la personne et non pas l’acte qui mérite sanction. Le pardon est donné car on regarde le cœur de l’autre.

Dans ces conditions-là je ne peux pas prendre le risque de porter sur l’autre un regard qui soit moins aimant que celui de Dieu ! Car le regard de Dieu est le seul qui soit constitutif de la personne : c’est parce que Dieu me regarde que j’existe, c’est parce que Dieu m’aime que je suis posé dans la vie et que je suis appelé et attiré vers le Ciel, dans ma vocation personnelle ! Et si je pose sur l’autre un regard qui est moins aimant que celui du Seigneur, je rétrécis le canal par lequel l’Amour de Dieu regarde, passe et fait exister la personne. J’empêche l’autre de se savoir aimé et d’une certaine manière j’aide à sa déconstruction. Je détruis ce que Dieu veut construire. C’est le meurtre : « Tu ne tueras pas ».

« Ne juge pas ! »

Au contraire, l’amour fait que je ne porte pas de regard de condamnation sur l’autre. Je laisse le Seigneur porter Son propre regard de justice, c’est Lui qui juge. Reprenons l’Ecriture et nous y trouverons tous les passages où il est dit : « Ne juge pas ! » Le Seigneur seul est juge de cet être qu’Il a posé dans l’existence et qu’Il va peser à l’aune de sa fidélité à Sa Parole, à l’aune de sa miséricorde et Il jugera à Sa manière qui est bien loin d’être la mienne !

Cet amour miséricordieux, cet amour de l’ennemi, cet amour que nous devons porter selon l’ordre de Jésus à celui qui nous a agressé doit être un amour concret.

Il faut donc prier pour lui, il faut prêter sans espoir de retour, il faut accompagner, il faut pardonner, il faut lui faire du bien, du bien à son âme… Voilà ce qu’est l’amour concret, l’amour « en acte et en vérité » comme dit Jean.

Alors, l’amour concret de mon ennemi est une abstention de jugement non pas sur l’acte mais sur la personne. Le regard que je porte sur le cœur de ce prochain, je le porte en me protégeant derrière le regard que Dieu porte sur lui, regard plein d’amour infini.

« Dieu nous a aimés le premier… »

Nous comprenons que cet amour de l’ennemi soit le signe de l’excellence chrétienne.

Cet amour, en effet, il est purifié. Ce n’est pas seulement l’amour d’échange que j’ai avec celui qui m’aime. Comme dit le Christ : « Quel mérite avez-vous d’aimer ceux qui vous aiment, d’inviter ceux qui vous rendront, de prêter à qui vous rendra ? » Voilà l’échange, voire le troc. Non il ne s’agit pas d’échange. Là, l’amour de l’ennemi est véritablement une gratuité, un don, quelque chose que j’offre sans espoir de retour.

C’est donc un amour qui est d’un tout autre ordre que la simple philanthropie.

C’est cela qui fait la différence entre une vie évangélique et une vie normale d’homme.

Seul Dieu possède cet amour gratuit. Lorsque j’aime mon ennemi c’est à dire lorsque j’aime gratuitement, mon amour vient obligatoirement de Dieu. C’est obligatoirement un amour divin, surnaturel et un amour que je pose dans la foi. Je ne le fais pas parce qu’il me plaît, je le fais parce que Dieu le désire, parce que c’est le regard de Dieu sur cet homme, ce même regard que je veux porter pour ne pas détruire et pour au contraire accompagner sa vocation, accompagner son accomplissement et sa construction.

C’est véritablement un don de soi, un oubli de soi. C’est pour cela que nous nous arrêtons souvent à la frontière de cet amour : nous n’osons pas aller jusqu’à la limite extrême de la générosité de Dieu !

« M’aimes-tu ? »

Il me faut prendre conscience de l’Amour que Dieu me porte en tant que je suis pécheur : je suis Son ennemi dit saint Paul et malgré le fait que je sois Son ennemi Dieu m’aime avec cette surabondance qui est signifiée par la Croix !

Alors conscient de cet Amour, en aimant mon ennemi je fais passer cet Amour de Dieu sur moi aux autres pécheurs qui sont mes frères… Par là seulement j’atteins véritablement la limite extrême de la générosité de Dieu. Là je suis vraiment dans la surabondance car je suis dans la charité !

Demandons la grâce de cette vision nouvelle fondée sur le fait que le bien n’est pas un non-mal mais que le mal est un non-bien ; et que le bien que Dieu nous demande c’est ce bien en perpétuelle expansion (comme notre univers !) pour aller toujours plus près de Lui pour nous ajuster au regard de miséricorde qu’Il porte sur l’homme, pour répandre sur nos frères cette charité divine dont nous avons la certitude dans la foi (en regardant la Croix) mais que nos frères quelquefois ne reconnaissent pas encore.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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