Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« AVE VERUM CORPUS NATUM ! »

Lectio divina pour la solennité de la Trinité
Dt.8, 2-16 1Co.10. 16-17 Jn.6. 51-58

C’est merveilleux de pouvoir à nouveau entendre une foule chanter dans l’église, que ce soit l’imploration pénitentielle du Kyrie ou au contraire le chant de la joie du Gloria. Le chant est la manifestation de la joie, la joie est la manifestation de l’unité. Parce que tout homme recherche l’unité, en lui comme avec ses frères. Et l’unité est la manifestation de l’Eucharistie comme nous le rappelait S. Jean Paul II. Il nous le disait dans un langage théologique un peu compliqué, mais chaque dimanche et en particulier aujourd’hui où nous célébrons la Fête-Dieu nous le vivons. Nous le vivons peut-être sans le savoir comme Monsieur Jourdain ! Mais nous le vivons comme le montre notre chant, expression de notre Joie.

« Tu nous as laissé le mémorial de ta Passion dans cet admirable sacrement… »

Ce dimanche est donc réservé à la Fête-Dieu, dimanche de l’Eucharistie. Nous avions vu précédemment qu’entre le Temps pascal qui est le temps du Christ et le Temps après la Pentecôte qui est le temps de l’Église, il y avait deux dimanches charnière. Celui de la Trinité qui nous expliquait la démarche chrétienne par rapport à Dieu ; et le dimanche de l’Eucharistie, du « Corpus Domini », qui nous fait réfléchir sur le moyen, donné au chrétien pour accomplir sa vie de baptisé.

Le dimanche de la Fête-Dieu ou du Corpus Domini est un des plus beaux dimanches de l’année. C’est le dimanche de l’Eucharistie : comme nous l’avons prié dans la collecte : « Tu nous as laissé le mémorial de ta Passion dans cet admirable sacrement… »

Mais c’est aussi le dimanche d’un autre mystère qui est lié à celui de l’Eucharistie, qui ne fait qu’un avec celui de l’Eucharistie et dans lequel le mystère de l’Eucharistie s’enracine ; vous l’avez deviné, ce mystère est celui de l’Incarnation. C’est le mystère du corps de Dieu, du corps charnel de Dieu, de Dieu fait chair, dans la chair de Marie. Parce que Dieu s’est fait chair, s’est fait corps avant de se faire pain, avant d’avoir le corps eucharistique.

« Ave Verum… »

Et le mystère de l’Incarnation est encore plus grand, plus extraordinaire que le mystère de l’Eucharistie qui en est sa diffusion, son prolongement, on pourrait presque dire sa conséquence logique. À tel point que l’Église pense, et nous l’avons prié encore dans notre Collecte, que si nous arrivions à vénérer d’un si grand amour ce mystère du Corps de Dieu, du Corps et du Sang de Dieu, donc du Corps d’abord de Jésus, « Ave Verum Corpus », nous pourrions entrer dans le Salut, nous pourrions profiter des fruits de la Rédemption.

Si nous arrivions, à comprendre, donc à ‘prendre-avec-nous’, à vénérer, à méditer, à contempler, ce mystère du corps charnel de Dieu qui se prolonge dans l’Eucharistie, alors nous vivrions spontanément de l’Évangile ! Nous n’aurions plus besoin d’autres règles que les hommes d’Église sont obligés d’édicter parce que justement nous nous éloignons en profondeur de la réalité du mystère de Dieu. C’est nécessaire parce que nous sommes des pécheurs, mais nous nous rendons bien compte que ces règlements sont mesure, restriction de la réponse de l’homme face au mystère de Dieu.

« Je suis la vie… »

Comment arriver à comprendre ce mystère de l’Incarnation, diffusé, continué, perpétué, comme chante l’Église dans cet Ave Verum :  « Ave Verum Corpus natum de Maria Virgine… », ce Corps eucharistique qui est vraiment, oui, le corps qui est sorti de la Vierge…

Pourquoi cette ‘carnation de Dieu’ pour employer ce mot, ce néologisme bruckbergerien, cette carnation et cette Eucharistie ?

Nous pouvons vous donner un petit élément de réponse. Dieu s’incarne parce que le Christ, le Verbe, en prenant une chair, manifeste ainsi (comme on l’a vu dimanche dernier), la sainteté trinitaire, déployant devant nous la perfection de l’amour, la perfection de la bonté, la perfection de la gratuité, c’est-à-dire finalement la Vie ! Jésus le dit lui-même : « Je suis la vie », la vraie Vie, la Vie qui n’a pas de fin. Pas seulement au sens historique, chronologique, une vie qui ne se termine pas, mais la Vie qui n’a pas de limite.

« Il les aima jusqu’au bout. »

Nous, nous sommes toujours limités et limitants : notre vie, notre petit chez nous, notre petit regard, notre petite fortune… Là, au contraire, avec Jésus, c’est la Vie qui n’a pas de fin : « Il les aima jusqu’au bout. » Le Christ, le Verbe, en déployant devant la race humaine cette perfection de l’Amour, lui fait découvrir sa misère. Parce que nous sommes faits à l’image de Dieu, lorsque je compare ma vie au modèle évangélique, je me rends compte que je suis vraiment peu de chose, au sens pascalien du mot : misérable, infiniment petit, un rien, juste une pauvreté qui n’arrive même pas à s’accepter naturellement comme telle…

Et pourtant Pascal nous dit encore que nous ne pouvons pas nous approcher de Jésus avec un sentiment d’angoisse, de désespoir. Lorsque nous nous approchons de Jésus, c’est toujours avec confiance. Parce qu’en nous montrant, en nous faisant découvrir notre misère, tout aussitôt, parce qu’Il nous aime et parce qu’Il veut que nous vivions, Jésus nous donne faim de cette vie qu’Il présente à nos yeux.

« Va, prends ton grabat et marche ! »

Qui d’entre nous n’a pas rêvé un jour d’être cet aveugle de la route de Jéricho ? D’être ce paralytique qui a pris son grabat après avoir été descendu dans la maison par le toit ou encore cet autre-là à la piscine de Bethesda dans le récit de Saint Jean ? Qui d’entre nous n’a pas rêvé d’avoir entendu, d’avoir eu les mains de Jésus sur ses yeux, sur ses oreilles, sur sa bouche ? Ce ne sont pas des rêves d’enfants, ce sont des rêves d’hommes.

Ou, au contraire, sans vanité, sans orgueil, sans honte, qui n’a pas rêvé d’être à la place de Jésus pour faire le bien ? Qui ne rêve pas parmi nous, d’avoir telle ou telle vertu, telle ou telle richesse, telle ou telle possibilité pour pouvoir faire le bien autour de soi, à la manière de Jésus, envers les pauvres économiques, les pauvres sociaux, les pauvres moralement parlant, les pauvres d’amour, les solitaires, les orphelins, tous ceux qui sont marginalisés par l’énorme mécanique de nos gouvernements ?

Voilà c’est le résultat de cet amour que Jésus a pour nous, qui nous donne faim de Sa vie amoureuse, de Sa vie de bonté, de Sa vie de miséricorde.

« Seigneur, Seigneur ! »

Regardons, Yahvé qui, déjà dans l’Ancien Testament, invite l’homme à reconnaître sa pauvreté pour vivre des dons divins : pour te mettre dans la pauvreté, Je te fais marcher dans le désert ; Je te fais avoir faim pour augmenter ta foi, pour voir quel est ton regard sur Moi, c’est-à-dire pour stimuler ta vie, pour que tu ne t’enfermes pas dans la routine de la vie égyptienne… Voilà que Yahvé va provoquer cette espèce d’atteinte à la dignité du peuple juif, Il va lui faire avoir faim pour qu’il désire le don de Dieu ! Quel qu’il soit, il n’en sait rien. Souvenons-nous que « mannu », la manne, veut dire : « qu’est-ce que c’est ? »

Pour que le peuple juif crie vers Dieu. Non pas du tout pour jouer avec l’homme comme un maître avec les esclaves qu’Il assoiffe, qu’Il affame pour en faire des objets de lutte ou de jeux. Mais pour nous faire prendre conscience d’un besoin plus profond que la nourriture terrestre, que le bien-être terrestre. Ainsi les Juifs crièrent vers Yahvé, à travers Moïse : « Seigneur, Seigneur ». Et Yahvé leur donna la manne. Mais ce n’est pas encore le pain véritable car « vos pères sont morts dans le désert » dira Jésus à travers Saint Jean.

« C’est moi le pain véritable qui donne la vie au monde. »

C’est le Christ qui, longtemps après, vient dans cette carnation pour nous montrer notre misère, pour nous faire prendre conscience de notre désert intérieur, pour stimuler la vraie faim de la vraie nourriture et tout aussitôt pour nous la proposer.

Comme nous le notions à l’instant, nous ne pouvons pas regarder Jésus et désespérer. Ce n’est pas vrai ! Ou alors nous avons un mauvais regard sur Jésus, nous inventons un Jésus à nous, un Jésus de foire, un Jésus de tombola. Si nous regardons vraiment Jésus tel qu’Il apparaît dans l’Évangile avec Pierre, avec Madeleine, avec Zachée, avec Judas, nous ne pouvons jamais désespérer de Jésus !

Tout aussitôt, Il nous propose cette nourriture, la vraie, comme Il le fera avec la Samaritaine. Il offre la vraie nourriture, celle qui rassasie définitivement l’homme en lui donnant la vraie Vie. Voilà « c’est le pain véritable qui descend du ciel. » Et ce pain véritable n’est autre que Lui-même ! « C’est moi le pain véritable qui donne la vie au monde. » « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là » disent les Juifs.

Combien sommes-nous à poser cette question au Christ aujourd’hui : Seigneur donne-moi vraiment de ce pain-là ! Allons, reconnaissons-le : ne sommes-nous pas un petit peu matérialistes ?

« Ce que nous avons vu et que nos mains ont touché… »

Cette nourriture vraie que Jésus veut donner à l’homme qui a vraiment faim de la vraie Vie, c’est Son Corps ! Son Corps, c’est tellement extraordinaire que certains diront : « Qui peut entendre cette Parole ? , cette parole est trop dure ! » Mais c’est tellement logique dans l’esprit de Dieu ! Saint Thomas dira que nous ne pouvons pas refuser l’Eucharistie sans refuser l’Incarnation dont elle n’est que le prolongement éternel.

Le Corps de Jésus, le Corps du Verbe incarné est le sacrement de la sainteté de Dieu. C’est l’instrument humain de Son Amour divin. Comprenons : Dieu n’est pas venu invisible chez nous, comme un courant d’air, telle la brise au sommet du Sinaï devant Elie. Dieu n’est pas venu telle une flamme comme le buisson ardent devant Moïse, ni comme une nuée devant le peuple dans l’Exode. Dieu est venu dans une chair ; et c’est ce corps, cette humanité sensible, tangible, palpable, qui est l’instrument, la manifestation de l’Amour de Dieu.

C’est cette humanité christique qui méritera le Salut. Rien de plus logique donc que ce soit cette nourriture charnelle, transformée dans l’espèce du pain, plus exactement sous l’espèce du pain, qui soit donnée à l’homme pour que l’homme aussi, dans son humanité concrète, dans son travail professionnel, dans sa vie familiale, dans sa vie politique et sociale soit rempli de l’Amour divin, comme Jésus.

« Il nous a créés en Jésus pour que nos actes soient vraiment bons… »

Notre corps, au sens global du mot, pas seulement la chair mais notre esprit, notre intelligence, notre humanité, notre nature concrète individuelle, comme disent les philosophes, ‘mon-être-moi-même’, ce qui fait que nous pouvons nous voir, nous entendre, c’est cela qui est l’instrument et le lieu de notre sainteté.

Le saint, le baptisé qui prend au sérieux sa vocation n’est pas un être éthéré, asexué, qui disparaît dans un nuage ou derrière des grilles de couvent, qui n’a plus ni faim, ni soif, ni sommeil, non ! C’est celui qui, comme le Christ, à la suite du Christ et dans le Christ, a un corps, un esprit, un cœur, une intelligence, une sexualité, une sensibilité, des sentiments dans lesquels sont infusées toutes les vertus représentant la charité de Dieu, cet Amour parfait, cette gratuité, cette bonté, la patience, la délicatesse, le pardon, la miséricorde, l’intelligence des choses, l’intelligence des âmes, la perception des réalités, tout ce qui a été Jésus, vrai Dieu et vrai homme…

« Celui qui me mange vivra par moi. »

Lorsque je communie au Corps de Jésus, je communie à cet ‘instrument’, à ce sacrement de la sainteté de Dieu. C’est pour cela que Jésus dira « Mon corps est une vraie nourriture, mon sang est un véritable breuvage. »

Remarquons comme Jésus, pour nous transmettre Sa vertu, utilise le moyen le plus terre-à-terre, le plus corporel : le pain, qui est l’élément de base de la nourriture de l’homme !

« Qui mange ma chair, qui boit mon sang demeure en moi », c’est-à-dire va vivre de ce que Je vis, moi ; il va demeurer en Mon Amour, demeurer dans l’Amour du Père, demeurer dans l’Esprit…

« Et moi je demeure en lui. » Et c’est pour cela que Je le ressuscite au dernier jour. Ce n’est pas une magie. Ce n’est pas un chantage. Jésus le ressuscite au dernier jour parce que déjà sur terre cet homme, ce baptisé, ce chrétien est, à Sa suite, le sacrement de la Sainte Trinité. Et donc tout naturellement, le passage, la grande pâque à sa mort, le fait accéder en plénitude au mystère de la Trinité.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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