Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« PLENITUDO LEGIS EST DILECTIO ! »

Lectio divina pour le 25ème Dimanche Ordinaire
Am.8, 4-7 1Tim.2, 1-8 Lc.16, 1-13

Nous pourrions aujourd’hui méditer avec profit cette finale de l’Evangile sur le service de Dieu ou de l’argent et je crois que chacun d’entre nous gagnerait effectivement à réfléchir sur ces deux réalités qui sont toujours entremêlées dans notre vie suivant des lois et des équilibres très fragiles.

Mais je voudrais plutôt attirer votre attention sur la Collecte de ce dimanche qui ouvre une nouvelle semaine, car elle est souvent mal comprise voire oubliée, bien que résumant toute notre foi : « Seigneur, tu as voulu que toute la loi consiste à t’aimer et à aimer son prochain… »

« La plénitude de la loi, c’est l’amour. »

Je crois que l’achoppement premier de notre vie chrétienne, c’est d’oublier que toute la loi se résume dans l’amour, selon l’admirable formule de Saint Paul : « Plenitudo legis est dilectio »autrement dit : « La plénitude de la loi, c’est l’amour. »

Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire et qu’est-ce que cela entraîne pour notre comportement de chrétien ?

Qu’est-ce que la loi ? La loi, c’est l’ordonnancement de l’agir en fonction de l’être. C’est vrai pour les lois civiles comme pour la loi morale : la loi est ce qui nous guide vers notre accomplissement, c’est-à-dire la cohérence de notre action par rapport à notre être de personne.

Quant à l’amour, c’est l’expression la plus aiguë, la plus fine, la plus puissante de la liberté. Personne ne peut forcer l’amour, ou alors l’amour disparaît… Comme dit la Parole : il perd tout celui qui veut acheter l’amour…

Mon accomplissement c’est d’être moi-même !

Si donc, la loi n’est pas l’amour, si la plénitude de la loi ne s’identifie pas à l’amour, cela veut dire que l’accomplissement de l’homme ne s’identifie pas à la liberté totale, dans sa forme achevée : autrement dit, l’homme est un esclave. Cela veut dire que Dieu n’est pas souverainement libre, c’est-à-dire en un mot, qu’Il n’existe pas !

Au contraire, si nous identifions l’accomplissement de l’homme -qui est la finalité de la loi- avec l’amour, -c’est-à-dire la liberté dans sa forme totale- c’est le meilleur gage qu’effectivement l’accomplissement de l’homme se trouve dans la plénitude de son « être tel », tel qu’il est créé, que l’accomplissement de l’homme c’est d’être « l’être soi », d’être moi-même, et non un autre, d’être ce que je suis avec mes limites, avec les grandeurs, avec tout ce qui est compris dans la création de ma personne. Autrement dit, mon accomplissement c’est d’être moi-même, pleinement, en plénitude.

L’homme seul se construit…

L’homme est appelé donc, comme Dieu, à l’image duquel il est fait, à une plénitude d’être. Il n’y a pas de limitation, il n’y a pas d’esclavage.

Souvent, nous faisons du Ciel, de la béatitude finale, quelque chose qui nous limiterait : nous nous sentons limités par Dieu, nous pensons que la grâce limite notre liberté, nous voyons tout en négatif ! Il ne faut pas, car c’est exactement le contraire : ma plénitude, mon bonheur, mon accomplissement, c’est d’être parfaitement ce que je suis !

Et nous remarquerons que les autres créatures, aussi sophistiquées soient-elles, (les dauphins, les abeilles, tous les animaux qui nous surprennent par leur organisation intelligente…), ne se construisent pas, parce qu’elles ne sont pas libres, elles sont déterminées ; elles ne sont donc pas appelées à une plénitude : elles meurent, c’est tout… L’homme seul se construit ; tout le reste, dans le monde créé, est détruit. Ce qui est d’ailleurs un argument pour notre croyance en la Vie éternelle.

Il n’y a pas de liberté sans amour !

L’homme est donc appelé à la plénitude, et cette plénitude c’est sa liberté.

Comment atteindre cette liberté ? Par l’amour. Et là, nous nous trouvons au nœud essentiel de notre vie humaine : c’est par l’amour que ma liberté s’exprime, se gagne, se construit. Pourquoi ?

Parce que d’abord, comme je viens de le noter, il n’y a pas d’amour sans liberté.

Mais aussi parce qu’il n’y a pas de liberté sans amour ! Car l’amour, c’est le don, c’est donc ce qui me libère et me détache de moi-même.

Et nous arrivons à ce paradoxe que nous comprenons et que nous vivons mal au niveau de notre morale humaine comme aussi malheureusement de notre morale chrétienne : pour arriver à ma plénitude, pour arriver à ma liberté, pour me construire en tant que je suis moi, avec toutes mes capacités, toutes mes facultés, il faut que je passe par une dépendance, il faut que je passe par la fourche de l’amour, c’est-à-dire la fourche du don… C’est cela qui est compliqué à saisir…

« Tu aimeras ton Seigneur ton Dieu de toutes tes forces… »

Pour être une véritable personne, être indivis, incommunicable, parfait en soi, dans son existence créée, il faut que je passe par une ‘dépendance’, qui n’est autre que l’oubli de moi, autrement dit : par l’amour qui me fait donner et jusqu’à tout donner !

D’où le premier commandement donné par Yahvé : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toutes tes forces, de toute ton âme, de tout ton cœur. ». Ce n’est pas un commandement d’esclavage, ce n’est pas un ordre, comme le maître peut donner à son intendant, c’est au contraire le chemin de la vie, le chemin qui nous permet de nous construire, de nous libérer. C’est cela le désir de Dieu : « La gloire de mon Père est que vous alliez et que vous portiez du fruit ».

Pourquoi Dieu nous dit-il de L’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de toutes nos forces, en un mot, de nous précipiter dans cette dépendance, dans cet oubli de nous-mêmes ? Parce que c’est à Dieu seul, qui est infini, que nous pouvons tout donner, et par Lui donc trouver la libération totale !

 

« Mon Dieu, vous avez dépassé mon attente ! »

Il n’y a qu’à voir les saints, quels qu’ils soient dans leur maturité humaine, quelle que soit l’époque à laquelle ils ont vécu, quels que soient leurs charismes : leur libération fut ce don total de toute leur vie en Dieu, à Dieu !

Parce que, nous le savons par l’expérience de l’amitié comme de la relation familiale, l’amour pour durer, pour se construire, pour se développer, exige une réciprocité. Et lorsque, par Sa grâce prévenante, j’aime Dieu, c’est-à-dire j’accepte Son Amour qu’Il me porte et m’offre, lorsque je me donne alors à Lui, j’active, pour le Lui retourner en réciprocité, cet Amour divin : un Amour parfait, un Amour défini, un Amour sans mesure, un Amour de ma personne absolument gratuit bien sûr et totalement, désintéressé…

Dans cet Amour que Dieu me porte, la réciprocité me dépasse infiniment, comme disait Sainte Thérèse : « Mon Dieu, vous avez dépassé mon attente ! » : parce que moi, j’aime avec mes petites forces, (et un brin d’intérêt toujours !), mais Lui m’aime de manière absolument gratuite.

L’amour, c’est vouloir le bien de l’autre.

L’amour, c’est vouloir le bien de l’autre. Ce n’est pas le sentiment, la sensibilité qui ne sont que des couleurs de l’amour ; la substance de l’amour, c’est vouloir le bien de l’autre. Et l’amour sponsal, qui nous unit à Dieu, (toute la Bible est remplie de ces comparaisons, dans Osée, dans Isaïe et tous les prophètes : Dieu nous aime comme l’époux aime son épouse, sa fiancée…) cet amour sponsal, c’est se donner sans réserve à l’autre pour le bien et le bonheur de l’autre.

Or le bien de Dieu, la joie de Dieu, Saint Paul nous le rappelle dans la 2° lecture : « C’est que tous les hommes soient sauvés. » Alors, ma personne exprimera son amour de Dieu en se donnant à Lui pour le Salut du monde.

A qui cela nous fait-il penser ? A Jésus-Christ bien sûr !

« Père, pardonne-leur… »

Et la Prière sur les Offrandes continue l’enseignement : « …pour que ce peuple qui s’est offert à Toi, reçoive dans le mystère de l’Eucharistie, les biens auxquels il croit. » Quels sont ces biens ?

Les biens auxquels nous croyons, à la suite de Jésus, les biens auxquels l’Eglise croit, le Corps à la suite de la Tête, c’est justement la rédemption du monde.

Nous comprenons bien ainsi le caractère catholique, c’est-à-dire universel de la messe. Nous saisissons pourquoi chaque fois qu’une messe est célébrée, même sans peuple, il y a du Bien qui s’élève du monde pour le Salut du monde.

C’est parce que Jésus en premier a cru à ce fruit de la Croix : « Père, pardonne-leur… » qu’Il s’est donné totalement à Son Père par cette même Croix : « Père, entre tes mains, je remets mon Esprit. »

Et lorsque nous tous, nous offrons notre personne durant l’offertoire, nous nous unissons à cette offrande amoureuse de Jésus à Dieu Son Père, offrande qui n’est pas un acte juridique, une espèce de dette à remettre, mais qui est l’expression de Son oblation d’Amour, cet amour de la personne qui s’offre à Dieu pour y trouver la libération et qui reçoit en récompense ce bien qui est la joie du Père : la Rédemption des âmes.

Dieu est Gratuité !

Lorsque nous nous associons à l’offrande de Jésus, nous nous associons à l’Amour de Dieu pour les hommes, de la manière la plus profonde possible, ce qui n’empêche pas d’agir aussi concrètement par des œuvres philanthropiques pour soulager la misère de l’homme, bien sûr.

Mais il nous faut d’abord, afin d’œuvrer pour le salut du monde nous associer à l’Amour de Dieu pour les hommes, nous perdre dans cet Amour qui est infini.

Dieu est la Gratuité ! C’est Celui qui s’oublie et, si l’on peut dire, ‘se libère’ parfaitement. Lorsque je m’associe au Sacrifice du Fils par cette offrande eucharistique, à ce Sacrifice de la Croix rendu présent, lorsque je me perds avec Lui dans le Père et dans Son amour pour le monde, je suis totalement libéré de moi-même.

Oui, c’est ainsi que je marche, pas à pas, dimanche après dimanche, vers la libération de ma personne, je marche vers mon accomplissement, je marche vers la plénitude de mon être.

Et j’accomplis automatiquement, après la première partie de la Loi sur l’amour de Dieu, j’accomplis la seconde partie : « …et tu aimeras ton prochain comme toi-même », puisque je m’associe à l’Amour de Dieu pour les hommes.

Voilà ce que veut dire la « plenitudo legis est dilectio » : la Loi qui consiste à T’aimer et à aimer les hommes, n’est pas une loi d’esclave, mais c’est le chemin qui me conduit à ma propre libération !

Bonne rentrée à vous tous !

dans la joie de vivre avec le Seigneur et pour les autres !

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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