Regardons aussi la parabole du figuier stérile que Jésus maudit : car personne n’a le droit d’être stérile de soi, ce fameux moi que nous possédons, mais qui nous vient de Dieu, et qui nous est donné par Dieu pour poursuivre jusqu’à la fin des temps l’œuvre de Rédemption commencée par le Christ…
Le baptisé est donc appelé à un travail, et c’est sur ce travail de sanctification qu’il sera jugé. Or la parabole que la Liturgie de ce 33ème Dimanche met en scène un serviteur qui ne travaille pas. Il ne vole pas, il ne fait rien de mal, il ne fait rien de malhonnête, il se contente seulement d’enterrer les talents.
Rappelons que le mot de talent que l’on emploie dans notre langue courante, « avoir du talent », vient de ce passage évangélique. On attribue à Erasme, le grand penseur du 16ème siècle, cet usage du mot évangélique (qui signifiait au départ la monnaie de l’époque) pour exprimer justement la capacité qu’une personne à faire quelque chose.
« J’ai eu peur… »
Quelles sont les raisons qui peuvent nous pousser à ne rien faire ?
Il y a au moins deux raisons. La première est la blessure de notre sentiment de puissance parce qu’ayant reçu peu de dons, peu de capacités, nous craignons de mal faire. N’avons-nous jamais ressenti cette impression d’insécurité au niveau familial, professionnel ou social : blessé de ne pas être à la hauteur, de ne pas avoir toutes les capacités requises pour assumer la fonction ou la situation qui est la nôtre ? Finalement, c’est une réaction de crainte parce que nous n’avons pas assez et que nous voudrions avoir plus pour réussir avec certitude…
Or, nous ne sommes pas toujours (et même rarement !) dans ces conditions-là. Nous avons généralement des échardes dans notre corps, dans notre cœur, dans notre esprit, qui font que nous ne sommes pas le grand prédicateur, nous ne sommes pas le grand théologien, nous ne sommes pas le grand docteur, nous ne sommes pas le directeur d’usine, nous ne sommes pas le grand militaire ou l’éminent professeur que nous souhaiterions être… Alors, avec cet ego blessé qui sait qu’il ne va pas réussir autant qu’il le désirerait (ou que le monde le souhaiterait), nous nous réfugions dans le non-faire.
La deuxième raison qui peut nous pousser à ne rien faire, comme ce serviteur, c’est tout simplement l’envie. Être envieux de celui qui a reçu cinq talents, être envieux de ce propriétaire qui est riche et qui récolte là, ce qu’il n’a pas semé.
Voilà les deux motifs qui poussent le serviteur, et peut-être nous aussi, à se réfugier dans une attitude d’indifférence ou de paresse. Finalement, de non-travail.
« Tu as été fidèle sur peu de choses… »
Cette personne de l’évangile, cette personne que nous sommes bien souvent dans notre vie, est finalement quelqu’un qui ne répond pas à la confiance que Dieu lui fait par une fidélité réciproque, c’est-à-dire une confiance qui s’étend dans le temps. C’est quelqu’un qui n’arrive pas à être fidèle dans ce peu de choses.
Précisons pourquoi nous parlons de ce peu, symbolisé par le petit nombre des talents reçus : parce que ce que Dieu nous demande est très peu par rapport aux dons qu’Il nous fait, comme nous le verrons plus loin. Il nous demande tout simplement d’activer notre capacité humaine, de la réaliser, de vivre de notre intelligence, de nous servir de notre cœur, de nous servir de ces capacités qu’Il nous a données, de nous servir tout simplement de notre existence ! « Tu as été fidèle sur peu de choses… »
Se laisser à l’Esprit, le Don de Dieu
Comme le troisième serviteur, nous ne sommes pas fidèles sur ce peu de choses, en ce sens que nous ne rendons pas confiance pour confiance à Dieu. Nous n’osons prendre la vie que nous avons reçue de Lui, la vivre à pleine main, la réaliser avec les moyens que nous possédons et que Dieu connaît bien puisqu’Il est notre Créateur…
Nous ne vivons pas de l’Esprit Saint que le Livre des Actes appelle « le Don de Dieu. » Nous ne vivons pas de ce don de Dieu qui est là « pour achever en nous et par nous toute sanctification » (comme le proclame la liturgie de la Messe), toute perfection, c’est-à-dire tout perfectionnement de notre personne, de nos frères, du monde et de l’Église… Nous ne vivons pas de cet Esprit-Saint qui est l’Esprit de Dieu, qui est l’Esprit du Don, mais nous vivons de ce que l’on appelle le mauvais esprit : la critique, l’envie, la paresse, la révolte, la jalousie, la médisance…
Essayons en ce dimanche de contempler le don de Dieu reçu à notre baptême et de nous appuyer sur Lui pour vivre en Dieu, sans nous laisser démobiliser par nos misères, nos incapacités, nos faiblesses…
« Demandez et vous recevrez… »
Regardons cette grandeur du don de Dieu, d’abord dans sa gratuité.
Dans nos relations humaines, nous confions une responsabilité à quelqu’un qui est compétent (en général, mais ce n’est pas toujours le cas !), quelqu’un qui a un diplôme, quelqu’un qui a une expérience. Avec Dieu, ce n’est pas du tout cela.
Dieu ne nous confie pas des talents en fonction de mérites antérieurs : nous ne méritons rien. Tout est grâce. Dieu donne simplement à qui demande et à qui désire recevoir… Et donnant Son Esprit, c’est en fait Sa Vie qu’Il donne : Dieu nous fait don de Lui-même si nous le Lui demandons avec sincérité…
Ce don que Dieu me fait n’est pas fonction non plus de mérite futur. Le don de Dieu est absolument gratuit : Il ne regarde pas, Il ne calcule pas, Il donne à chacun, dans le mystère de la création paternelle, plus ou moins de qualités, de capacités. Comme disait la petite Thérèse, l’important n’est pas d’avoir un grand verre, mais c’est de remplir son verre ! Il y a des saints modestes qui ont des petits verres, et il y a des saints plus flamboyants dans l’histoire de l’Église qui ont de grands verres : saint Benoît, saint François, etc… Le principal est donc de remplir son verre en se « désaltérant tous au même Esprit » dira saint Paul.
« Je Suis Celui qui suis… »
Après la gratuité du don de Dieu, regardons sa grandeur.
Un talent valait 6000 drachmes, c’est-à-dire que lorsque le propriétaire donne 5 talents, il donne quelque chose comme 40 millions d’euros ! L’importance de la somme signifie l’infinie grandeur du don de Dieu ! Car en fait Dieu donne ce qu’Il a, ce qu’Il est, nous faisant ainsi participer à Ses richesses infinies de Créateur.
Lorsque j’active le don de Dieu reçu, je deviens participant de telle et telle vertu de Dieu, de la bonté de Dieu, de l’adresse de Dieu, de la mansuétude de Dieu. C’est dire que je reçois Dieu Lui-même, car Dieu ne se découpe pas, Dieu se donne complètement.
« Si Dieu enlève du naturel, c’est pour donner du surnaturel… »
Et si nous nous arrêtions à ces quelques chiffres de l’évangile ?
« A l’un, il donna cinq talents, à l’autre, il en donna deux et au troisième, il n’en donna qu’un. » Notre vie humaine s’accommode très bien de ces chiffres : cinq talents, c’est celui qui fait Polytechnique ou l’ENA et sort dans la botte, qui réussit tout et aura beaucoup d’argent, c’est le succès garanti. Deux talents : c’est déjà nettement moins fort ; celui-ci a juste son baccalauréat. Quant à celui qui reçoit un seul talent, c’est le misérable. Comment pourrait-il faire quelque chose avec un seul talent ?
Mais en fait, au niveau de Dieu, c’est l’inverse. Réfléchissons à ce que symbolise le chiffre un… Le chiffre un est celui de la perfection, de l’unité et de la plénitude du Dieu Unique ! Celui donc qui reçoit un seul talent, reçoit la perfection divine. Malheureusement, aveuglé par les traditions du monde, il ne le comprend pas…
Mais regardons les saints de l’Église. Si nous regardons l’humble Marie, si nous regardons le pauvre Curé d’Ars qui, aux yeux des hommes, ne valait pas grand-chose, si nous regardons tel ou tel autre saint connu de notre histoire, nous remarquerons que ceux qui ont reçu peut-être plus que d’autres cette plénitude de Dieu, c’est effectivement ceux qui, à vue humaine, n’avaient pas grand-chose !
Celui qui ne possède qu’un talent, celui qui n’a pas moyen de se glorifier de cette gloire des hommes qui nous attire, celui qui ne peut se prévaloir d’un nom, d’une belle intelligence, d’une nature robuste, de qualités relationnelles développées, c’est sur celui-là que la plénitude de Dieu vient se poser, vient s’insérer dans sa pâte humaine, comme un levain de transcendance pour en faire jaillir la Vie de Dieu…
« A Dieu rien n’est impossible… »
La grandeur du don, c’est aussi la grandeur de la récompense qui suivra la bonne utilisation du don : « Entre dans la joie de ton maître. » Le serviteur qui est récompensé est tout simplement invité à partager la vie et le bonheur du maître « Entre dans la joie de ton maître. »
La récompense de l’homme qui a fait fructifier le don de Dieu c’est, comme l’exprime la finale de la péricope évangélique, la Vie divine elle-même qui va le transformer, le diviniser et lui faire poser habituellement des actes impossibles aux hommes : charité, courage, force, conseil etc… Et cela dans la démesure qui spécifie l’activité divine !
Voilà quelle est la grandeur de la récompense : la transformation, la divinisation de la personne qui, malgré des capacités réduites au niveau humain, a su faire fructifier en plénitude le don de Dieu reçu lors de son Baptême.
Alors, contemplons la beauté de cette révélation faite par Jésus pour donner sens à notre vie et essayons, comme le recommandait Saint Jean-Paul II, de prendre à cœur les affaires du Christ -c’est à dire la sanctification du monde- comme nous le faisons de nos propres affaires !