Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« NOUS SERONS JUGES SUR L’AMOUR !… »

Lectio divina pour le 30ème Dimanche Ordinaire
Ex.22, 20-26 1Th.l, 5-10 Mt.22, 34-40

Dans notre collecte, nous avons prié le Seigneur d’augmenter en nous la foi, l’espérance et la charité afin d’arriver à aimer ce qu’Il commande et par là à obtenir la Vie éternelle. Importance de cette prière donc qui nous oriente vers notre Au-Delà, dans l’esprit d’ailleurs de ces derniers dimanches de l’année liturgique qui précèdent le Christ-Roi. C’est pourquoi il est important de comprendre exactement le sens de cette prière.

Qu’est-ce que, pour nous, la foi, l’espérance et la charité ? Oui, ce sont des vertus ; la charité c’est d’être gentil, l’espérance c’est d’espérer le ciel et puis la foi c’est de réciter son Credo… Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas suffisant.

« Aimer ce que Dieu commande… »

Pour « aimer ce que Dieu commande », nous devons avoir foi, espérance et charité. Mais interrogeons-nous d’abord et demandons-nous : qu’est-ce que Dieu commande ?

Dans l’Ancien Testament, nous avons tous le souvenir de ces fameux Dix Commandements que nous avons appris par cœur ! Ces commandements de Dieu sont en fait, -si on prend le terme exact de la Bible : le mot parole-, « paroles de vie. » C’est dire que Dieu nous parle et nous donne comme le mode d’emploi pour acquérir Sa vie, pour participer à ce qu’Il est, Lui qui est le Vivant.

Donc il faut que nous recevions et que nous arrivions à aimer ce Décalogue, ces Dix Paroles de vie. Il ne s’agit pas de les connaître par cœur au sens où on apprend la table de multiplication. Il s’agit de les connaître par le cœur au sens où quand on aime, on n’a même pas besoin d’apprendre parce que l’amour nous fait être en communion. Comme la mémoire que nous avons d’un visage que nous aimons : nous n’avons même plus besoin de photo car nous l’avons imprimé dans notre tête. C’est la mémoire du cœur !

« Vous mourrez dans votre péché parce que vous êtes aveugles… »

Pour aimer ce que Dieu commande, ces Dix Paroles de vie, ce mode d’emploi pour acquérir la Vie éternelle, il faut donc avoir d’abord la claire vision de notre état de misère, de faiblesse, de petitesse. Si vous n’en étiez pas convaincus vous n’avez qu’à regarder autour de vous à commencer par vous-mêmes, pour vous rendre compte des difficultés que l’homme a d’accomplir naturellement ce qu’il devrait accomplir c’est-à-dire les Dix Commandements qui ne sont qu’une loi positive : « Tu ne tueras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, tu honoreras ton père et ta mère… »

Il n’y a pas besoin d’être chrétien pour comprendre que c’est le propre de l’homme de respecter son semblable dans sa personne, dans ses biens, dans son honneur… Et nous savons bien, pour le pratiquer nous-mêmes -hélas !- que la calomnie, la médisance, le mensonge, l’injustice et toutes ces sortes de choses sont monnaie courante. Donc il faut avoir la claire vision de l’état de notre humanité, que chacun de nous représente, et savoir que nous avons du mal à aimer et à être juste.

« Vous me verrez et vous vivrez ! »

Mais il nous faut aussi avoir la claire vision de notre vocation, de ce à quoi nous sommes appelés. Nous sommes justement appelés à ne pas rester dans cet état de faiblesse qui s’enracine dans le péché originel. Nous sommes appelés à reproduire en nous, à reconvertir en nous l’image de Dieu qui était à l’origine dans notre âme.

Nous sommes appelés à la filiation divine. Cette claire vision de mon état misérable et de la grandeur de l’appel qui est lancé sur moi, pour reprendre les termes de Pascal, nécessite la foi. Il n’y a que la foi en Jésus-Christ qui est la Parole, il n’y a que la foi en Dieu qui est le Dieu de la Parole et des Paroles de vie qui puisse nous amener théologiquement, (j’insiste bien là-dessus : non pas seulement scientifiquement ou psychologiquement, mais théologiquement) à nous voir tels que nous sommes avec nos erreurs, nos lâchetés, nos trahisons, nos faiblesses, nos insuffisances intellectuelles, sentimentales, ou physiques.

Il n’y a que la foi en Dieu qui, bien entendu, puisse me faire découvrir cet appel formidable à partager la vie de Dieu : « Là où je suis là aussi sera mon serviteur… » « Je suis venu pour le monde ait la vie. » Donc nécessité de la foi.

« Là où je suis là aussi sera mon serviteur… »

Non seulement il faut avoir la claire vision de ce que nous sommes et de ce à quoi nous sommes appelés, mais il faut aussi désirer l’accomplissement de cette vocation, c’est la vertu de l’espérance.

Est-ce que nous désirons vraiment l’accomplissement en nous du mystère de Dieu c’est-à-dire la configuration de Jésus à notre âme et de notre âme à Jésus ? Ou est-ce que ce plan divin est pour nous finalement le cadet de nos soucis parce que nous avons des tas de choses à régler sur terre comme le rappelle Jésus dans l’Évangile : « J’ai tant de biens qu’il faut que je construise un deuxième grenier, que vais-je faire de toute ma richesse ? »

C’est la vertu d’espérance qui nous fait désirer le Ciel, mais non pas comme quelque chose d’abstrait, de rose et bleu à la mode Saint-Sulpice. Désirer le Ciel c’est désirer ce lieu d’habitation où Dieu m’invite à entrer parce que je suis devenu petit à petit conforme à l’image de Son Fils.

C’est cette foi et cette espérance qui nous font accueillir la Parole de Dieu, les Dix paroles de l’Ancien Testament, les Dix Commandements. Non pas comme une loi restreignant ma liberté, mais comme au contraire des Paroles de vie, des aides qui vont m’ouvrir les yeux, qui vont m’ouvrir le cœur et l’esprit pour me rendre compte de la manière dont je dois aimer mon prochain dans le Seigneur et le Seigneur dans mon prochain.

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même… »

L’Ancien Testament me donne toute une kyrielle d’exemples pour jauger de ma réception de la Parole de Dieu. Car, encore une fois je peux connaître les Dix Commandements par cœur mais ne pas les vivre, en être même à l’opposé.

Avec la première lecture ce sont, comme dimanche dernier, les pauvres qui vont servir de mesure à ma proximité aux Paroles de vie. Le texte nous dit : « Ne maltraite pas l’émigré. » Mais attention à ne pas politiser le débat. L’émigré ce n’est pas seulement le Turc ou le Yougoslave ou le Maghrébin. L’émigré c’est aussi l’émigré français, car l’émigré qu’est-ce que c’est ? C’est le nouveau venu. C’est celui qui a quitté sa terre, sa maison, sa ville, son travail, sa paroisse. C’est donc celui qui, parmi vous dans votre immeuble, est nouvellement arrivé. C’est celui qui entre dans une communauté, c’est celui qui vient d’arriver à la paroisse. C’est celui qui arrive dans une ville, dans un club, dans une école. Est-ce que nous avons un regard chrétien sur l’émigré, sur ce nouveau venu quel qu’il soit ?

De même la veuve et l’orphelin. La veuve et l’orphelin représentent la population qui, de manière brutale, voit ses ressources économiques et sa sécurité brisées, qui se trouve jetée comme ça dans le combat de la vie sans ce pouvoir sécurisant que représente l’homme, le père, l’époux, celui qui travaille, celui qui a un nom. Une femme seule est dénigrée, on n’invite pas une femme seule ; on pense tout de suite à mal ; on se méfie… Pourquoi est-elle ainsi ? Donc toutes les personnes, hommes ou femmes, jeunes ou âgés, qui se trouvent dans cette situation sont comme la veuve ou l’orphelin, tout à coup sans ressources.

Avez-vous expérimenté ce que c’est que le chômage ? Peut-être certains d’entre vous… Avez- vous une fois expérimenté ce que c’est que d’être au ban de la société, de ne n’être plus rien ? Avez- vous expérimenté déjà dans une vie active de jeunesse le fait d’être subitement quelqu’un d’anonyme qu’on ne regarde plus, qui n’intéresse plus, à qui on ne donne rien ?

« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ! »

Il y a une deuxième chose que Dieu commande lorsque nous basculons de l’Ancien au Nouveau Testament et que nous tombons sur ce que Jean appellera le commandement nouveau, donné au cours du Jeudi saint : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ! »

C’est un commandement ancien, puisque l’Évangile nous le rappelle et nous venons de l’entendre, il est déjà compris dans l’Ancienne Alliance. Le scribe vient demander à Jésus : « Quel est le plus grand commandement ? … Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et le prochain comme toi-même, voici les deux plus grands commandements. » Donc c’est un commandement ancien. Jésus n’apprend rien de plus aux pharisiens et aux scribes qui viennent l’interroger.

Et de ce commandement dépend toute la Loi. La Loi c’est-à-dire les cinq livres qui forment la Torah : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome.

Lorsque Jésus dit que « de ce commandement dépendent toute la Loi et les Prophètes » cela signifie que la Loi, et en particulier les Dix Commandements, sont l’explicitation, le désenveloppement de ce double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.

« L’amour est l’accomplissement de la Loi. »

L’amour de Dieu et celui du prochain que Jésus récite par cœur aux scribes n’est pas compris dans les Dix Commandements, parce qu’il en est la clé, parce qu’il en est le principe, parce qu’il en est la lumière. En fait, dans les Dix Commandements Dieu nous dit comment aimer Dieu, (les trois premiers : « Tu n’auras qu’un seul Dieu, tu ne jureras pas, tu ne fabriqueras pas d’idole, tu respecteras le jour du Seigneur ») ; et comment aimer le prochain (les sept autres). Donc c’est bien de ce principe de l’amour du prochain et de l’amour de Dieu que dépend tout le reste.

Mais ce commandement donné par Jésus est quand même un commandement nouveau. Pourquoi ? Parce que Jésus est venu accomplir la Loi c’est-à-dire la vivre, la réaliser en Lui dans Sa personne, ce que nous nous étions incapables de faire, comme Il le dit dans un autre passage de Matthieu au chapitre V. Depuis la faute d’Adam, l’homme est ligoté par le péché : « Je veux faire le bien et c’est le mal que je fais »…, « J’ai deux lois en moi la loi spirituelle qui me fait aimer Dieu et puis la loi charnelle de mon corps qui me pousse vers le mal »… Et ce qui était impossible, devient tout à coup réalisé et réalisable en Jésus. Car, comme Il l’affirme : « Ne croyez pas que je sois venu abolir la loi, mais je suis venu l’accomplir, la vivre en perfection. » Voilà pourquoi Jésus dit par Jean : « C’est un commandement nouveau. »

« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »

Or je ne peux pas recevoir le mandatum de Jésus « Aimez-vous les uns les autres » si je ne reçois pas en même temps la personne de Jésus, si je ne m’inscris pas dans ce mouvement de la vie de Jésus. Pour recevoir en moi « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » je suis forcé d’apprécier aussi la personne de Celui qui a vécu en perfection ce commandement.

Aussi, pour recevoir ce commandement nouveau de Jésus et pour aimer, il faut que je sois attiré par la plénitude, par l’accomplissement, puisque ce commandement nouveau est inséparable de la personne de Jésus qui en est la plénitude et l’accomplissement.

Donc pour participer à cette perfection du Christ, j’ai besoin de la troisième des vertus, la charité qui me fait n’être qu’un avec Lui.

« La charité du Christ nous presse vers Lui… »

On a vu la foi et l’espérance dans l’Ancien Testament et puis l’accomplissement du Nouveau Testament qui est la loi de l’amour, la charité.

Si j’ai un peu de charité en moi je suis obligatoirement attiré par le bien, par le beau, par le bon, par la plénitude, par l’accomplissement.

Cela ne veut pas dire que je la pratique totalement cette loi, mais je suis aimanté par Jésus et j’ai le désir de me coller au Christ. J’ai le désir que cette loi soit accomplie en moi aussi parce que je suis un autre Christ par mon baptême. « Aimez-vous les uns les autres » devient pour moi, non pas un commandement au sens légal et juridique embêtant, limitant, mais ma force de vie, mon objectif. C’est ma finalité, c’est ma joie !

Alors posons-nous la question : qu’est-ce qui m’attire en Jésus ? Est-ce que c’est la bonté, la perfection de Jésus en tant que telle, ou est-ce parce que Jésus m’apporte quelque chose, me réconforte dans mes soucis, dans mes problèmes ? Quel est mon regard sur Jésus ? Est-il gratuit ? Provient-il de cette charité qui, comme dit saint Paul, nous presse : « La charité du Christ nous presse vers Lui, nous presse à donner notre vie comme Lui a donné sa vie pour nous. » Ou bien Jésus n’est-Il pour moi qu’une roue de secours en cas de pépin ?

Et quel est mon regard sur les autres par rapport à cette perfection, à l’accomplissement de la Loi ? C’est aussi un bon baromètre pour nous évaluer en vérité. Lorsque je vois une perfection chez quelqu’un, en ai-je une sainte envie ou en ai-je du ressentiment, de la jalousie ? La vertu dans mon prochain provoque-t-elle en moi l’admiration, le respect, le désir d’imiter ou provoque-t-elle la haine, parce que je n’ai pas cette vertu, et que cette personne en tant qu’elle est vertueuse est face à moi comme un reproche permanent : voilà ce que je devrais être et ce que je ne suis pas ? Regardons dans le fond de nos cœurs si nous n’avons pas quelquefois ce sentiment…

« Pour le mettre à l’épreuve… »

Nous sommes-nous déjà posé la question de savoir pourquoi le scribe est venu interroger de la sorte le Christ ? Les pharisiens, les sadducéens, en un mot les ennemis de Jésus, savent très bien que Jésus est un rabbi, un maître dans l’Écriture comme leurs docteurs. Pourquoi alors ce docteur de la Loi pose-t-il une question aussi facile au Christ ? « Pour le mettre à l’épreuve » dit l’évangile.

Il le met à l’épreuve de cette manière, comme nous sommes mis à l’épreuve par notre prochain. Il veut dire : -Seigneur tu fais des miracles et c’est bien ; tu prêches merveilleusement, tu enseignes comme personne n’a jamais parlé, et c’est bien ; tu es suivi, aimé, admiré par toutes les foules, c’est vrai. Mais cela reste encore au niveau des idées. Concrètement, où en es-tu par rapport à ton Dieu ? Concrètement, quel est le sens de ta vie, rabbi ?

« Heureux êtes-vous si vous le faites ! »

Nous aussi nous sommes attirés par les miracles. Mais pratiquement, quel est le sens de notre vie ? Et le prochain ne manque pas de nous poser la question. Combien de fois cela nous arrive : -Vous êtes chrétiens et vous faites ceci, vous dites cela… Vous allez à l’église et vous vous conduisez de cette manière, c’est intolérable, quel est le sens de votre vie ?!

Lorsque les gens nous demandent : -Pour vous quel est le suc de l’Évangile ?, c’est pour nous mettre en face de notre responsabilité et de notre cohérence de chrétien. Même les non-croyants savent très bien que l’Évangile existe et que l’Évangile de Jésus c’est de s’aimer les uns les autres ; tout le monde le sait sur toute la terre, même les peuples les plus éloignés de Dieu. Lorsqu’ils nous posent la question, c’est pour nous mettre le doigt sur notre incohérence, parce que nous sommes forcément incohérents, nous ne sommes pas parfaits.

Alors ils nous ramènent à la raison. Dieu permet que nous soyons ramenés à la raison, comme Son Fils lui-même s’est laissé ramener par un homme pécheur.

Pour montrer que l’essentiel ce ne sont pas les miracles, ce ne sont pas les choses extraordinaires. C’est cette orientation de notre vie vers l’Amour de Dieu et du prochain.

Nous sommes à trois semaines du Christ-Roi, le dimanche qui nous fera méditer sur notre jugement dernier personnel. À ce moment, nous sera posée une seule question.

Le Christ nous dira : -Quel est le plus grand commandement Jean-Marie ? Et que devrais-je répondre ? Je répondrai : -L’amour de Dieu et du prochain. Et le Christ me demandera alors : -Comment l’as-tu mis en pratique ? -Et je serai peut être piégé en étant mis en face de mes incohérences…

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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