Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« JE SUIS AVEC VOUS TOUS LES JOURS JUSQU’À LA FIN DES TEMPS… »

Lectio divina pour le 28ème Dimanche Ordinaire
Is. 25, 6-9 Ph. 4, 12-20 Mt. 22, 1-14

Je voudrais réfléchir sur trois points qui me semblent essentiels dans la Collecte de ce 28ème dimanche : il s’agit de la grâce que nous demandons à Dieu pour faire le bien, et le faire sans relâche.

Que peut-on dire sur ces trois points ? Eh bien tout d’abord que « faire le bien » est une des définitions les plus synthétiques et en même temps les plus anciennes de l’être-chrétien.

« Jésus passait et faisait le bien »

C’est Saint Pierre qui l’utilise pour la première fois dans l’une de ses épîtres en parlant de Jésus Lui-même : « Jésus passait et faisait le bien et c’est cet homme-là que vous avez crucifié. » Passer, c’est-à-dire vivre parmi les hommes. C’est tout le mystère de l’Incarnation ; et faire le bien c’est tout le mystère de la Rédemption qui s’achèvera en plénitude dans le Sacrifice de la Croix, mais qui commence dès la naissance de Jésus, qui imprègne toutes les journées du Christ, tant celles de Sa vie cachée que celles de Son ministère public.

Nous pouvons, tout de suite, nous poser la question : nous chrétiens -pour nous qui sommes du Christ depuis cette première fois où, à Antioche, on a donné aux disciples du Christ le nom de chrétiens-, lorsque nous passons quelque part (et nous passons tous quelque part, dans notre vie de famille, d’association, professionnelle, dans la rue, au magasin…) est-ce qu’il y a du bien qui se dépose ? Comme le fleuve avec les alluvions qui forment la bonne terre dans laquelle vont tomber ensuite, peut-être fort longtemps après, les semences qui donneront les meilleurs blés…

Est-ce que, lorsque je passe quelque part, ne serait-ce que dans la vie courante qui fait le fil de mes journées, est-ce que du bien se dépose de ma personne autour de moi ? Question fondamentale, puisque c’est en fonction de la réponse que je serai jugé !

« Faire le bien. »

Ensuite nous remarquons que la Collecte utilise précisément l’expression : « faire le bien. » Il ne s’agit donc pas de créer le bien ! Souvent nous vivons dans l’illusion. C’est une sainte ambition que de vouloir créer ! Mais laissons cela à Dieu ! Seul Dieu crée c’est-à-dire « fait à partir de rien. » Et seul Dieu peut créer le bien parce qu’Il est Créateur et parce qu’Il est le Bien suprême, le Bien infini.

À nous, pauvres petites fourmis humaines, il est demandé seulement de le faire, de faire ce Bien, c’est-à-dire de le produire à partir de quelque chose. N’allons donc pas imaginer des plans et des archi-plans les plus faussement miraculeux !

« Faire le bien sans relâche. »

Faire le bien, c’est le produire à partir de quelque chose. Mais ce quelque chose qu’est-ce que c’est ?

C’est tout simplement tout ce qui est, tout ce qui existe. Le bien et l’être sont universellement et à jamais liés comme nous le voyons lorsque nous contemplons Dieu qui est à la fois l’Être parfait et le Bien suprême : « Je suis celui qui est. »

Et le Christ dira : « Dieu seul est bon. » Le bien et l’être sont réunis de manière parfaite, transcendante, dans la Sainte Trinité, et c’est cela qui nous permet de dire que le bien et l’être dans notre vie de créatures sont liés l’un à l’autre.

Donc faire le bien, c’est produire ce bien à partir de quelque chose qui existe. Ce quelque chose qui existe c’est effectivement ce qui est. Or tout est, tout existe : c’est ce qui permettra à Saint Paul de dire que rien n’est mauvais : « Que nous buvions, que nous mangions, que nous dormions… » Rien n’est mauvais en soi, même si, hélas, tout est capable de le devenir. Ou, heureusement !, d’être transformé en bien par notre agir !

Et puisque tout ce qui nous entoure est toujours de l’être, faire le bien est une tâche constante. Il s’agit donc effectivement, comme le précisait la Collecte de « faire le bien sans relâche. » Oui, que ce soit la cuisine ou le ménage, le travail professionnel ou les enfants à éduquer, tout cela est de l’être, donc transformable en bien.

« Quoi que nous fassions, faisons-le au nom du Seigneur. »

Mais il faut quelque chose d’autre pour faire le bien : il faut l’aide de Dieu. Je viens de citer Saint Paul : « Quoi que nous fassions, que nous mangions, que nous buvions, que nous dormions, faisons-le au nom du Seigneur. » Il ne s’agit pas seulement de ‘baptiser’ le bien que nous faisons au nom du Seigneur ! Cela veut dire : que ce soit le Seigneur qui soit le moteur de cette action, le moteur de manger comme le moteur de dormir, le moteur de travailler comme celui de me reposer, le moteur d’aimer et le moteur de mes relations humaines. Il ne s’agit pas de crier après quelqu’un au nom de l’Évangile. Il s’agit d’être suffisamment évangélique pour pouvoir parler à mon frère et le corriger éventuellement !

Oui, pour faire le bien, il faut cette aide de Dieu qui, Seul, est le Créateur du bien. Il est donc Celui avec lequel je vais procréer le bien comme dans la génération humaine.

Alors comment Dieu va-t-Il agir pour me permettre de transformer l’être en bien, de faire le bien dans ma vie, de passer et de faire du bien, de faire que ma vie soit un passage par lequel se dépose du bien ?

« Dieu nous donne le vouloir. »

Dieu va agir à trois niveaux. Il va d’abord me donner l’existence. Il faut que j’existe, il faut que je sois. Il me crée et Il me donne dans cette existence la volonté c’est à dire la potentialité d’aimer. Nous avons un cœur et c’est ce cœur qui va nous suggérer l’idée, le projet de faire du bien, le projet d’aimer, le projet de valoriser, le projet de faire grandir, de développer, d’éduquer, de rendre heureux, de réjouir… C’est parce que nous sommes et que nous sommes avec un cœur, que nous pouvons passer et faire le bien.

Le deuxième moyen par lequel Dieu agit est la grâce sanctifiante c’est-à-dire cette configuration à Son Fils Jésus-Christ par le Baptême d’abord et ensuite par les autres sacrements, l’Eucharistie principalement. Ils vont me configurer à ce Fils, ce qui me donnera la capacité de voir comme le Christ voit.

Et le Christ nous le savons voyait et voulait le bien ! Les signes sont multiples dans l’Évangile par lesquels Jésus manifeste visiblement le bien réel -non pas seulement le bien premier de la rédemption intérieure, mais le bien, l’attachement à l’homme et à son humanité : les guérisons des aveugles, des boiteux, des sourds, des paralysés… Donc par la grâce sanctifiante -lorsque je suis en état de grâce- je vois le bien comme le Christ le voit, je vois l’autre comme un champ de bonne terre sur lequel je vais pouvoir déposer une semence de bien. Voilà ce que Saint Paul appelle le vouloir : « Dieu nous donne le vouloir. »

« Dieu nous donne le faire. »

Puis il nous dit aussi : « Il nous donne le faire. » Cela, c’est le troisième moment par lequel Dieu nous permet de faire le bien. Après nous avoir donné la visualisation du bien par la grâce de la configuration à Son Fils, Il va jusqu’à nous donner cette grâce de l’instant présent que nous recevons d’ailleurs par les mêmes sacrements et qui va consister à accueillir chaque moment de ma vie et le vivre en charité.

C’est là où se passe la production du bien, quand, par cet accueil je transforme chaque minute en avènement du Royaume. Chaque minute de ma vie, chaque instant de ma vie, qu’il soit humainement heureux ou malheureux, triste, difficile ou joyeux, qu’il soit élevé parce que spirituel ou intellectuel ou terre à terre, chaque instant de ma vie peut devenir avènement du Royaume, c’est à dire quelque chose d’autre, quelque chose ‘d’extra-ordinaire’ c’est-à-dire au-delà de l’ordre des choses pour atteindre l’ordre de Dieu. Et c’est ce qu’on appelle la grâce de l’instant présent.

La grâce de l’instant présent…

Ce n’est rien d’autre que le fruit de la grâce sacramentelle reçue à travers ce sacrement précis, cette confession d’hier, cette eucharistie d’aujourd’hui vers laquelle je m’approche avec une demande bien précise (je demande au Seigneur dans cette confession, dans cette eucharistie, telle amélioration, le développement de telle ou telle vertu : patience, miséricorde, tendresse…) Et c’est la réception de ce sacrement qui me permettra au moment précis où arrive l’évènement, où arrive la réalité, de passer à l’acte et de transformer cette minute en avènement du Royaume et de faire de cette minute quelque chose d’absolument nouveau.

Bien entendu, ce qui est le plus nécessaire pour nous c’est cette adéquation à cette grâce de l’instant présent au lieu de vivre notre vie seulement biologiquement, finalement comme des animaux. Nous devons vivre, au contraire, de manière attentive à cette présence minute par minute de Dieu qui est là pour m’aider à transformer la minute de ma vie et la vivre en charité, en sorte qu’elle soit le dépôt de mon bien.

Dieu est toujours déjà là !

Évidemment, pour être adéquat à cette grâce de chaque instant il faudra que je sois déjà conscient de son existence, donc de l’existence de la Présence de Dieu à ma vie. Dieu n’est pas seulement présent à la messe ou au tabernacle : Il est présent en moi. Il est présent à ma vie, à chaque minute, à chaque instant.

Et pour être conscient de cette Présence de Dieu à ma vie, Dieu en tant qu’Il est mon Père, il faut que je sois présent à Dieu : c’est ce que l’on appelle la prière. Car la prière n’est rien d’autre que la présence à Dieu. Et la présence à Dieu n’est rien d’autre que la conscience de la Présence perpétuelle de Dieu à moi !

Ce travail de présence à Dieu pour vivre dans la Présence de Dieu c’est ce que l’on appelle la vertu de foi, l’adhésion de la foi : « adhærere Deo bonum est : pour moi adhérer à Dieu est un bien » chante le Psalmiste. Comme lui, je m’accroche à Dieu, je me mets présent à Dieu pour voir justement cette Présence divine et savoir que chaque pas que je pose, Il le pose avec moi ! Comme dit encore le Psalmiste : « Que je descende au shéol tu es là, que je monte au ciel te voici… »

« Pour moi adhérer à Dieu est un bien ! »

Après cette conscience de la Présence de Dieu, il faut ensuite que je fasse appel à cette grâce, autrement dit que je sorte ce joker divin pour arriver à vivre cette minute et pour lui donner, par l’amour reçu de Dieu, la plénitude de son être.

Vous remarquerez qu’il y a des personnes dans la vie qui sont des personnes de plénitude. C’est assez extraordinaire et souvent incompréhensible : quoi qu’elles fassent, quoi qu’elles touchent, c’est merveilleux… Même, et je dirais surtout les pauvres, surtout les petits, surtout les malades, surtout les souffrants qui arrivent à faire de leur maladie, de leur souffrance souvent extrême, un moment de plénitude, de transformer ainsi leur vie, et, par la communion de grâce, la nôtre !

Voilà notre vertu d’espérance qui nous fait tendre vers, qui nous pousse à user de cette grâce de l’instant présent pour vivre, pour transformer.

« Je suis avec toi pour toujours ! »

Enfin, la troisième nécessité qu’il y a pour accomplir cette grâce de l’instant présent c’est de se rendre compte que dans ce travail de la Présence de Dieu et de la présence à Dieu en chaque instant, je suis effectivement en communion avec Dieu. Nous ne sommes plus seuls : je suis avec mon Dieu et Dieu est avec mon âme.

Voilà ce que le Christ a changé en ressuscitant : Il est avec nous pour toujours, au creux de nos vies, au fond de notre cœur. Au fond même de la plus noire des souffrances, Il est en communion avec moi, Il est là ! C’est l’Introït de la messe de la Résurrection : « Je suis avec toi pour toujours ! » Voilà la troisième vertu, la vertu de charité, que nous devons demander pour être en adéquation avec la grâce de l’instant présent.

Avec ce regard, nous comprenons que ce que décrit le prophète Isaïe, cet horizon eschatologique du festin (c’est à dire la Parousie), lorsque les hommes seront à jamais réunis avec Dieu, cela se réalise déjà ici-bas dans le Christ.

Certes le Royaume de Dieu que décrit Isaïe atteint à une plénitude universaliste : c’est toute chose qui est instaurée, dans le Christ, c’est la plénitude des temps. Mais avant cette plénitude universaliste et pour y atteindre, il y a la possibilité déjà ici-bas d’instaurer un Royaume de Dieu dans une plénitude personnelle : c’est notre plénitude à chacun de nous.

Nous pouvons vivre dans la plénitude du Royaume ici-bas, dans cette plénitude personnelle que Dieu nous propose de réaliser : communier à Lui, être conscient d’être avec Lui, et que dans cette communion c’est-à-dire dans ces noces, il m’est donné la capacité de manger la vie à pleines dents, d’y mordre dedans, non pas pour en jouir de manière hédoniste et égoïste, mais pour en faire du Bien, pour faire que cette vie, au lieu justement d’être étriquée parce que seulement mienne, soit plénière car débordant sur les autres !

« Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps… »

C’est ce que le Christ nous propose pour entrer dans le festin des noces dont nous parle l’Évangile, festin de noces commencé ici-bas et qui nous donne la joie nuptiale dès maintenant.

Au lieu de rejeter ma vie, au lieu de fuir ma vie, au lieu de penser que la vie pour nous chrétiens est quelque chose à condamner, il me faut voir que la vie est d’abord un don de Dieu. C’est dans cette vie que Dieu vient me chercher, c’est dans cette vie que Dieu vient me rencontrer et qu’Il vient m’aimer, ce n’est pas ailleurs ! C’est la raison pour laquelle cette vie mienne est préparatrice de ma vie éternelle. C’est la raison pour laquelle la communion avec Dieu dans ce festin intime et personnel (qui est achevée par la communion eucharistique) nous mènera tous ensemble, en Église, au festin de la plénitude universelle à la fin des temps.

Demandons la grâce dans l’Eucharistie de ce 28ème Dimanche, de revenir à cette conscience de la Présence de Dieu à chaque instant, la grâce de l’instant présent qui change chaque minute de ma vie et qui la transforme en un avènement du Royaume.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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