Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« JE SUIS AVEC VOUS JUSQU’A LA FIN DU MONDE ! »

Lectio divina pour le 2ème Dimanche de l’Avent ANNÉE B
Is.40, 1-5.9-11 1P.3, 8-14 Mc.1, 1-8

Avec le deuxième dimanche de l’Avent, nous sommes comme projetés des hauteurs de l’eschatologie, contemplée la semaine dernière, sur la terre avec ses conditionnements physiques et spirituels. C’est Jean-Baptiste qui nous guide dans cette descente vertigineuse, précurseur en cela du voyage incarnationnel de son cousin Jésus : le désert et le poil de chameau remplacent désavantageusement le festin des Noces nuptiales, le baptême des pécheurs dans l’eau du Jourdain fait suite à la grâce et la paix du Christ annoncé par Paul. C’est une invitation à redescendre sur terre, à revenir à notre histoire personnelle, parcelle du cheminement douloureux de l’humanité.

Nous voici donc remis en face de l’homme sombre et pauvre d’aujourd’hui après avoir quitté les riches lumières de la Béatitude céleste. Le désert dans lequel le Baptiste s’enfonce, ce désert nous accueille en nous rappelant la solitude sans horizon de notre condition humaine.

L’homme est un être blessé, décharné, désertique…

L’homme est un être blessé, décharné, désertique, sans autre présent et sans autre présence que cette inlassable division qui le ronge à chacun de ses choix, à chaque pas sur la piste vers nulle part. L’Écriture, avec en particulier saint Paul et saint Jacques, a magnifiquement décrit ce combat intérieur entre la chair et l’esprit, entre le moi et le tu, entre la lumière et les ténèbres, lutte qui commande l’humanité depuis le meurtre d’Abel par son frère Caïn.

Il n’est pas trop de dire que l’homme en son entier est comme un trauma permanent qui erre comme le nomade meurtrier à la recherche d’une direction introuvable et d’un repos jamais accordé. Les temps que nous vivons sont particulièrement révélateurs de cette marche « dans les ténèbres, à l’ombre de la mort »

La perversité de cet état ne réside pas tant dans la réalité qu’elle ne cesse de nous rappeler que dans la vérité extrêmement profonde qu’elle nous cache.

« Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique… »

Cette vérité, la Révélation est la seule à nous la manifester, se heurtant cependant plus à notre psychologie incurvée qu’au mystère insondable qu’elle dévoile. Lorsque l’Introït nous fait chanter que « le Seigneur va venir nous sauver », lorsque le prophète Isaïe nous supplie de « préparer les voies du Seigneur » avec en écho la prédication du Précurseur lui-même, lorsque Pierre invoque pour nous le « ciel nouveau et la terre nouvelle où résidera la justice », nous sommes amenés à réfléchir sur le désir de Dieu de s’emparer de l’homme.

Quand je dis l’homme, ce n’est pas seulement la générique humanité, un peuple, une terre, un espace politique dans lequel la Justice trouverait enfin Sa perfection. Nous savons que le terme de peuple signifie l’âme et que Sion ou Jérusalem représente le lieu privilégié d’une alliance amoureuse et donc interpersonnelle.

Quand je dis l’homme, je me réfère donc à l’âme de chacun, à ce lieu de Dieu, cet espace où Il est le Dieu de chacun, dans une relation intime et indicible : « voici votre Dieu », « celui qui porte sur son cœur l’agneau, prenant soin de lui jusqu’à l’allaiter »… Allaite-t-on une collectivité ? N’est-ce pas à son enfant, à la chair de sa chair que la mère offre son sein ?

« Si quelqu’un m’aime, nous viendrons en lui faire notre demeure. »

Il nous faut avoir la lucidité d’en tirer la conséquence.

Si Dieu se cherche une place d’amour en l’homme, c’est que celui-ci est une béance. Oui, l’homme est une béance insondable et il a été créé dans cette pauvreté pour y recevoir la plénitude des richesses de Dieu, Dieu lui-même ! « Si quelqu’un m’aime, nous viendrons en lui faire notre demeure. »

Il nous faut donc recevoir cette vérité inouïe pleine d’amour : l’homme a été créé vide, pure capacité, béance absolue pour pouvoir librement y recevoir le Tout-Puissant que l’univers lui-même ne suffit à contenir ! L’homme est pauvre, il est intrinsèquement pauvre, métaphysiquement, il est substantiellement insuffisant.

Cet abîme de pauvreté n’est cependant pas un manque : il est une puissance à recevoir la totalité du Don et de l’Amour. Il est un appel lancé dès l’origine de mon existence à devenir « temple de Dieu », à laisser venir l’Esprit d’Amour habiter en moi, comme le clame saint Paul : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » C’est cela l’intelligence du cœur que nous avons à demander comme le suggère la Collecte ouvrant la messe de ce jour : « Eveille en nous Seigneur cette intelligence du cœur qui nous prépare à accueillir ton Fils » !

« Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu. »

La pauvreté spirituelle de nos actes, voilà ce qui nous empêche de comprendre et d’aimer notre béance originelle, notre vocation à devenir sanctuaire de la Lumière et de la Vie : « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu. »

Plus exactement, nous croyant quelque chose d’existentiellement indépendant, chacune de nos faiblesses nous est présente comme une atteinte à notre perfection et à notre accomplissement. Nous les analysons et les mesurons à l’aune de cette erreur initiale de jugement. Nous les repoussons alors par le déni sur lequel nous tentons de bâtir orgueilleusement notre personnalité.

Nos aveux en confessions sont trop souvent surdéterminés par ces refus profonds qui ne font que reproduire, par enchaînement logique, nos chutes futures. En tout cela, Dieu n’a pas de quoi reposer Sa tête en notre cœur. Il est cruellement absent de ces démarches qui, si elles sont religieuses, ne sont pas chrétiennes. Nous nous enfonçons dans la religion de l’Absence réelle, car, au lieu de reconnaître Dieu comme le centre vital de notre être, nous Le considérons comme Celui qui la réglera selon notre schéma de perfection personnelle. Nous faisons de Dieu un maître d’œuvre alors qu’Il est notre Père et, comme tel, désire être notre architecte !

« Je mettrai en eux mon esprit afin qu’ils marchent selon mes voies. »

Voilà ce qui explique le cri du prophète repris par le Précurseur : « Préparez le chemin du Seigneur, tracez une route aplanie pour votre Dieu… » Il ne s’agit plus seulement d’avouer les infractions de notre vie morale purifiables par l’eau lustrale, car « Dieu sait de quoi nous sommes faits, et il connaît nos faiblesses » (Ps.102).

Jean nous annonce le baptême dans l’Esprit, c’est-à-dire l’immersion complète de notre béance dans la dynamique de Son Amour infini. Il nous propose de transformer cette béance en crèche pour y accueillir en plénitude la Divine Présence, de ne rien y opposer de nos constructions personnelles limitatives de son Infinitude.

Celle-ci a comme besoin de s’engloutir totalement dans ce vide que chacun est, créé ainsi pour être en mesure de Le contenir spirituellement, par Son Esprit, aussi extraordinaire que cela puisse paraître à notre ego qui nous passionne, nous hante et au final nous emprisonne. Ainsi le prophétisait Ézéchiel : « Je mettrai en eux mon esprit afin qu’ils marchent selon mes voies. »

« Mon âme exalte le Seigneur… »

C’est là toute la sainteté de la Vierge Marie d’avoir compris que sa richesse résidait dans sa petitesse, son existence dépendait de sa béance acceptée, sa vie ne prenait sens que dans la mesure où elle laissait Dieu faire en elle Sa demeure. Saint Bernard a bien saisi l’importance de cette incarnation par la foi qui faisait d’elle avant le fait de la chair, le Tabernacle du Très-Haut.

Formé dans cette matrice de parfaite disponibilité, Jésus Lui-même acceptera de Son Père qu’Il « lui façonne un corps pour faire sa volonté », pour se laisser mouvoir depuis les fonds extrêmes de Sa nature humaine par la Beauté infinie du Verbe, Vie et Lumière de l’homme.

« Si le Seigneur nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres. »

Nos blessures, nos infractions à la loi -cette loi que nous nous donnons comme venant de Dieu- loin d’être une occasion de nous cabrer en nous obligeant de repuiser dans nos forces pour franchir l’obstacle, doivent être vues comme des sacrements nous signifiant notre pauvreté essentielle et nous invitant à l’accepter puisqu’elle est la condition de notre divine sanctuarisation !

Si Dieu nous laisse dans le mal qui nous dévore, ce n’est pas par violence malsaine ou même seulement par respect de notre liberté. Si Dieu nous laisse dans le temps de nos faiblesses et de nos divisions, s’Il laisse l’homme dans son incohérence, c’est pour nous amener à une liberté plus grande, à celle-là seule qui mérite son nom : celle de faire avec Lui une alliance éternelle.

Éternelle car Il est l’Éternel ; éternelle aussi car notre âme participe à cette éternité, de par notre origine et notre fin. L’Alliance que le Seigneur désire contracter avec nous, telle l’alliance du mariage, est une alliance qui ne supporte aucun alliage, aucune limite ni dans l’espace ni dans la durée. C’est une alliance qui prend en compte tout notre être, à jamais : « Si le Seigneur nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres. »

« Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. »

C’est ainsi que se comprend la fidélité de Dieu. Dieu n’est pas seulement fidèle car Il est hors du temps. Il est surtout fidèle, car dans notre temps, dans mon temps personnel, Il est avec moi à jamais, si j’accepte de Le recevoir. C’est ainsi que Luc pourra dire que « le royaume est au-dedans de nous » et que Matthieu nous offrira cette parole du Christ : « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. »

Ce n’est pas une présence au-dessus des cieux, comme celle d’un général menant la bataille. C’est une Présence ontologique intérieure dont le Baptême est la marque initiale, et il ne dépend que de nous de l’actualiser en Le laissant prendre possession du cœur de notre cœur, de l’âme de notre âme.

La fête de Noël est le mystère liturgique qui nous donne de revenir à la compréhension et acceptation de notre béance pour faire prendre au Seigneur le chemin de notre cœur, transformé dès lors en crèche de Sa grâce spirituelle. Faisons-Lui place !

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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