Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« AIME MOI ! QUOI ! T’AIMER, MOI CE LACHE ? ÊTES-VOUS FOU ? OUI, JE SUIS CE FOU QUE TU NOMMAIS… »

Lectio divina pour le 3ème Dimanche de Carême
Ex.3, 1-15 ; 1Cor.10, 1-12 ; Lc.13, 1-9

Nous aurons remarqué que dimanche dernier c’était le dimanche d’Abraham, et que ce 3ème dimanche est celui de Moïse. Par ces récits, l’Eglise rappelle à notre mémoire la manière dont Dieu s’est constitué Son peuple, la manière dont Il est intervenu progressivement, tout en étant le Maître de l’histoire, auprès d’un homme, auprès d’un peuple, auprès de l’Eglise.

« Mes pensées ne sont pas vos pensées. »

Par exemple pour Abraham, Dieu se prit d’amitié pour un homme et Abraham eut foi en cette amitié. Alors Dieu, en réponse à cette foi, va prendre et déraciner cet homme, en lui demandant de partir : « Quitte ton pays… » Il le récompense par une mutilation : Il l’émonde.

Ensuite avec Moïse, Dieu va chercher à se constituer un peuple. Et en réponse à la foi de Moïse, cette fois-ci c’est le contraire : Il les récompense lui et le peuple et c’est l’Exode vers un pays nouveau !

Si l’Eglise nous rappelle cet agir de Dieu tout à fait incompréhensible et mystérieux : gratifiant et émondant, purifiant et récompensant en toute illogique, c’est pour nous rappeler, en cette période intense de Carême, de désert et de réflexion, que Dieu agit ainsi avec chacun de nous : sans loi, plus exactement sans loi humaine, sans logique.

« Mes pensées ne sont pas vos pensées. » Je prie, je ne suis pas exaucé. Je ne prie pas, et tout d’un coup je reçois ! Je suis heureux pendant le Carême et je pourrai être dans la peine pendant le temps pascal…

« Si vous aviez la foi comme un grain de sénevé… »

Du moment que nous acceptons comme Abraham, comme Moïse, plus tard comme les prophètes, comme Jean-Baptiste, comme la Vierge, cette disponibilité, cet agir de Dieu en nous, cette ‘folie’ de Dieu, Dieu alors nous déracine (« Quitte ton pays… ») pour nous enraciner plus loin dans un autre pays qui est le Sien.

Rassurez-vous cela ne touche pas notre vie quotidienne. C’est beaucoup plus profondément, dans le sous-sol de notre personne, que se passe ce déracinement et cet enracinement.

Souvenons-nous de ce que dit Jésus aux apôtres : « Si vous aviez la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne de se déplacer et d’aller s’enraciner dans la mer et elle le ferait ! » C’est cela la foi d’Abraham -notre père dans la foi-, la foi de Moïse, la foi de Marie… Notre foi c’est-à-dire notre adhésion, notre disponibilité, notre consentement à l’action de Dieu fait que nous sommes déracinés comme une montagne, (la montagne de notre vie, de cet ensemble extraordinaire qu’est une personne humaine) pour être enracinés ailleurs et porter ainsi du fruit.

« Je suis Celui qui suis. »

Dans cette histoire il y a un épisode fondamental qui est l’épisode du Buisson ardent.

Episode fondamental parce que Dieu révèle enfin qui Il est. Jusqu’à présent Il n’avait pas de nom, c’était toujours le « Dieu des Pères ».

C’était donc le Dieu des Pères, un Dieu sans nom, un Dieu presque inconnu. Et voilà que dans cet épisode extraordinaire dont Moïse va bénéficier, Dieu se révèle comme Celui qui est absolument : « Je suis Celui qui suis. »

Il se révèle comme Celui qui sera toujours déjà là, Présent : « Je suis Celui qui serai » (autre traduction possible) c’est-à-dire présent près de chacun d’une présence bien entendu agissante et aimante.

C’est la signification du nom hébreu de Yahvé. Yahvé c’est cet absolu : Il est ; tout comme ce buisson est là qui brûle.

« Je suis avec toi… »

Et ce buisson brûle sans se consumer, mystérieusement : comme Dieu qui est mystère. Comme le feu d’ailleurs qui est très mystérieux…

Dieu est mystère et Dieu parle : « Je suis avec toi… »

Dieu est présent, Dieu est sauveur, Dieu est aimant.

Voilà cet épisode du buisson ardent qui, justement, signifie bien cette infinité de la Présence de Dieu absolument différent de la nature environnante. Absolument différent aussi bien entendu de la personne de Moïse ; la preuve c’est que Yahvé dira : « Ne t’approche pas, c’est une terre sainte… » Kodesh… Buisson ardent qui signifie l’infinité de Son Amour puisqu’il brûle, il éclaire, il réchauffe, il attire sans pour autant se consumer ; et il est toujours déjà là !

« Qui me voit, voit le Père »

Essentiel dans la révélation de Dieu, cet épisode n’est pourtant qu’une figure, figure d’un autre buisson ardent qui est le Christ.

Celui-ci est vraiment présent dans notre humanité, Il est vrai homme : « Touchez-moi, donnez-moi à manger  dira-t-Il même après la Résurrection : « Regardez-moi, je ne suis pas un fantôme. »

Il est même manifestation de l’Amour de Dieu, de cette présence agissante et aimante : « Dieu a tant aimé le monde qu’Il a envoyé son Fils » dira Jésus à Nicodème.

Donc le véritable Buisson ardent, l’accomplissement de cette figure, c’est Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, qui manifeste aux hommes l’Amour du Dieu saint : « Qui me voit, voit le Père » !

« Notre cœur n’était-il pas tout brûlant ? »

Donc, dans l’optique de ce dimanche, notre temps de Carême devrait consister à réfléchir, à entrer dans une contemplation intérieure toute simple pour retrouver cette présence du Christ que nous avons chacun dans notre âme depuis le Baptême et qui est réactualisée à chaque Eucharistie comme à chaque confession.

Cette présence du Christ est ‘buisson ardent’ dans mon âme. Oui, le buisson ardent de mon âme c’est Jésus-Christ. C’est Lui qui m’éclaire depuis le Baptême, bon an mal an et suivant ma disponibilité, mon écoute, mon consentement ; c’est Lui qui me réchauffe, c’est Lui qui me réconforte, c’est Lui qui m’accompagne comme les pèlerins d’Emmaüs : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant pendant qu’Il nous parlait des Ecritures ? »

Donc le temps de Carême c’est d’abord un temps de contemplation, comme Moïse devant le Buisson. Regard sur cette Présence délicate, après avoir creusé profondément et fait silence : le silence du corps (taire les appétits sensibles par l’ascèse), le silence de l’esprit même (taire les appétits intellectuels par la prière).

« Jésus, ‘Dieu sauve’ ! »

Cette contemplation intérieure va, dans un deuxième temps, nous faire appeler Jésus. Nous allons Lui parler, chacun à sa manière, nous allons Le nommer (ce qui était strictement interdit du temps de l’Ancien Testament !)

Là, au contraire, Il nous appelle à Le nommer, Il nous incite : « Je suis à la porte de ton âme, je frappe, si tu m’ouvres j’entre… » Si tu m’appelles je viens, nomme-moi ! » Souvenons-vous de ce fameux poème de Verlaine :

« Aime-moi ! …/… Quoi, moi, moi, pouvoir Vous aimer ? Etes-vous fous, Père, Fils, Esprit ? Moi ce pécheur-ci, ce lâche…/… -Il faut m’aimer. Je suis ces Fous que tu nommais… ! »

Je suis appelé, comme dans une relation d’amitié, à prononcer le nom de mon ami : Jésus, Jésus… Essayons-nous à prononcer ce Nom dans l’intimité de notre cœur, dans le secret de notre chambre : « Jésus, ‘Dieu sauve’ ! »

C’est la réponse de foi ! C’est la réponse d’Abraham, de Moïse, de Marie, de Jean-Baptiste : l’Agneau de Dieu, le Maître, Rabbouni, Christ, le Seigneur… « Seigneur éloigne-toi de moi je suis un pécheur ! » disait Pierre.

Jésus est le Nom devant lequel tout genou fléchit, « le nom au-dessus de tout nom » écrira Paul dans son hymne aux Philippiens, le Nom qui exprime cette extraordinaire manifestation de l’Amour divin, ce Buisson ardent permanent qui ne cesse de brûler à l’intérieur de chaque chrétien…

« Celui qui prononcera mon nom devant les hommes je le sauverai… »

Mais le Christ ne nous demande pas seulement de L’appeler dans l’intimité de notre cœur, Il nous demande de Le proclamer à toute la terre.

Alors là le travail devient plus difficile, plus délicat ! Nommer Jésus au monde, c’est d’une telle importance que c’est un ordre du Christ : « Celui qui prononcera mon nom devant les hommes je le sauverai, je le garderai pour la vie éternelle ; celui qui reniera mon nom je le renierai devant mon Père ». Donc c’est vraiment la mission du chrétien que de prononcer le nom de Jésus face aux hommes.

Comment pouvons-nous prononcer le nom de Jésus avec toute la vérité que contient le mystère de l’Incarnation-Rédemption et avec toute la douceur que contient ce même mystère ? Nous avons besoin de Jésus pour prononcer le nom de Jésus, nous avons besoin du Christ : « Sans moi vous ne pouvez rien faire. »

« Le rocher, c’était déjà le Christ. »

Saint Paul nous le rappelle dans la deuxième Lecture : « Le rocher, c’était déjà le Christ. »

Il y a deux épisodes auxquels se réfère saint Paul. Le premier concerne l’Exode, peu après le passage de la mer Rouge quand Moïse étend les bras pour sauver le peuple des Egyptiens. Comme Moïse devient vieux, il fatigue et, chaque fois qu’il fléchit les bras les Hébreux perdent la bataille. Alors il faut sans cesse soutenir les bras de Moïse et finalement on pose un rocher pour que Moïse s’y appuie… Ce rocher c’est le Christ, c’est Celui qui soutient le peuple de Son Père.

Et puis il y a l’épisodede Massa et Mériba où le peuple a soif, après avoir eu faim ; il crie, toujours insatisfait ! Et Yahvé dit à Moïse : « Frappe le rocher et de l’eau va jaillir… » Il frappa le rocher et une source jaillit… Ce rocher, c’est encore le Christ : « Celui qui a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive ! Des fleuves d’eau vive jailliront de son sein en vie éternelle… »

Donc le Christ est vraiment ce rocher c’est-à-dire la divinité sur laquelle d’abord ma foi va s’appuyer pour annoncer en vérité le nom de Jésus. Saint Paul dira : « Ma vie dans la chair, (ma vie de baptisé, ma vie de missionnaire) je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui s’est livré, qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi. »

Comme le rocher soutient la foi de Moïse et du peuple hébreu, c’est vraiment le Christ qui soutient ma foi, en considérant qu’Il m’a aimé, qu’Il s’est livré pour moi, qu’Il est venu pour me guérir, pour me sauver, comme tous mes frères. Pour prononcer le nom de Jésus en vérité, j’ai besoin de Jésus.

« C’est de l’Esprit Saint qu’il parlait. »

Et pour prononcer le nom de Jésus avec toute la douceur de Jésus, là aussi je vais puiser au rocher qu’est le Christ pour recevoir l’eau. « C’est de l’Esprit Saint qu’il parlait » nous dit saint Jean : Je vais puiser au Christ Lui-même pour recevoir cette charité afin de prononcer le nom de Jésus devant les hommes avec toute la charité possible, avec toute la douceur nécessaire.

Parce qu’il ne s’agit pas de blesser les hommes en écorchant le nom de Jésus, il ne s’agit pas de faire de Jésus un dieu mauvais, un démiurge, quelqu’un d’impossible, d’impatient, d’intolérant… Il s’agit de donner aux hommes le nom de Jésus avec toute la douceur que représente ce nom « Dieu sauve », contenant toute la Rédemption, cette manifestation de l’agapé de Dieu…

Nous voyons comme c’est important de réfléchir sur notre mission chrétienne à partir du Buisson ardent : Jésus qui est en moi, Jésus que je dois aimer, prononcer, interpeller comme nous interpellons un ami, notre conjoint, notre enfant, par son nom… Nous essayons de mettre dans cet appel toute la vérité de son prénom, tout l’amour que ce prénom vous inspire, toute la relation amoureuse qu’il y a entre l’homme et la femme, entre l’enfant et le père ou la mère, entre deux amis…

Nous sommes en même temps accueillants et ouverts pour recevoir de l’autre après l’avoir appelé par son nom et nous avons besoin de l’autre pour vraiment appeler avec le nom. Il n’y a que le mari qui puisse appeler sa femme de son prénom avec plénitude et de même la femme. Il n’y a que deux amis qui se connaissent, qui partagent vraiment qui puissent s’appeler l’un l’autre avec leur prénom.

Ce fruit, c’est le Christ.

Quant à cette mission donnée par le Christ, il faut peut-être reconnaître que nous ne prononçons pas suffisamment le nom de Jésus au monde, nous ne répandons pas le Buisson ardent qui est en nous aux extrémités du monde : extrémités de ma paroisse, de ma ville, de mon pays, de mon quartier, de mon immeuble, de ma famille… Nous le gardons pour nous et finalement « il se dessèche et il meurt… Et donc on le jette dehors et il brûle. »

A moins que nous soyons le figuier stérile… Sommes-nous des figuiers stériles, prêts à être coupés car ils ne rapportent pas de fruits ? Alors que nous sommes faits pour donner du fruit, du fruit qui demeure, du fruit en abondance ! « Il ne rapporte pas de fruits dit le maître ».

Pitié pour lui Seigneur, répond l’intendant ; je vais labourer autour de son pied… Comme le curé chaque dimanche qui laboure autour de l’âme de ses ouailles avec la prédication pour essayer de faire donner du fruit.

Et quel fruit ! La figue, ce fruit qui représente le Christ tellement il est doux, moelleux, bon à manger. Ce fruit à la fois très pauvre, -le figuier pousse n’importe où- très pauvre mais délicieux… Ce fruit, c’est le Christ.

Nous serons éternellement responsables de notre Baptême

Je ne porte pas le Christ : je suis un figuier stérile ; parce que je n’utilise pas le Christ, je n’utilise pas le Rocher du Christ pour appuyer ma foi et ma charité. Et donc ce que je dis de Jésus, cela ne touche pas les cœurs de nos proches !

Or il faut toucher, et donc il faut se servir de Jésus, il faut se fonder sur Lui, s’appuyer sur Lui, boire à Jésus de manière à ce que le Buisson ardent que j’ai en moi se répande jusqu’au bout du monde sans écorcher Dieu !

Faisons bien attention ! Nous sommes tous baptisés pour l’éternité ! Nous serons éternellement responsables de notre Baptême et de la mission d’évangélisation qui lui est attachée. Dieu s’est engagé et Dieu est fidèle. Dieu ne se reprend pas. C’est à nous de voir si notre engagement restera éternellement baptismal.

C’est cela justement qui serait notre souffrance dans la séparation éternelle de Dieu : avoir en nous une capacité d’aimer Dieu qui ne serait jamais remplie parce que sur la terre nous aurons été un figuier stérile.

 

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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