Le Pape et l’Intelligence artificielle : Antiqua et Nova 

Que l’intelligence artificielle (IA) enthousiasme ou inquiète, il est désormais impossible de faire comme si elle n’existait pas, tant elle imprègne nos outils du quotidien. L’Église s’est audacieusement emparée de ce sujet, en témoigne la récente note des dicastères pour la Doctrine de la foi et pour la Culture et l’Éducation, intitulée Antiqua et Nova (Ancienne et Nouvelle) au sujet des relations entre l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine. En voici les grandes lignes. 

Par des algorithmes capables « d’apprendre » et de s’adapter eux-mêmes, les systèmes d’IA tentent d’imiter au plus près les résultats de l’intelligence humaine. Plus profondément, lorsque nous parlons d’IA c’est de la nature même de l’intelligence dont il s’agit : c’est ce qu’indique le Pape lorsqu’il avoue que « ce qui [le] préoccupe, plus que l’intelligence artificielle, c’est l’intelligence naturelle, c’est cette intelligence que nous devons développer ». Avec Antiqua et Nova (AN), l’Église nous ouvre les trésors de sa longue tradition philosophique et théologique et « exhorte ceux qui ont la tâche de transmettre la foi (parents, enseignants, pasteurs et évêques) à se consacrer avec soin et attention à cette question urgente » (AN, 5). 

 

Une compréhension intégrale de l’intelligence humaine 

 

Il importe de délivrer la raison du domaine de la seule réflexion. Certes, c’est en vertu de son âme rationnelle que l’homme se démarque et atteint la dignité de « personne » ; mais il faut se souvenir que l’homme est une seule unité d’âme et corps, et qu’en conséquence « le mot “ [rationnel] ” englobe en fait toutes les capacités de l’être humain : aussi bien celle de connaître et de comprendre que celle de vouloir, d’aimer, de choisir, de désirer » (Déclaration Dignitas infinita, 9). L’activité purement calculatrice qui se contente de suivre des instructions méthodiques, comme le font les algorithmes, n’est au sens propre pas qualifiable d’intelligente. Plus que dans des tâches fonctionnelles, l’intelligence se déploie par un engagement dans la réalité, sous tous ses aspects (AN, 33). 

 

Les 2e et 3e chapitres nous montrent qu’une IA possède certes « des capacités sophistiquées d’exécution de tâches, mais pas la capacité de penser » (AN, 12). La première partie de AN conclut donc que « l’IA ne doit pas être considérée comme une forme artificielle d’intelligence, mais comme l’un de ses produits » (AN, 35). 

Le discernement moral pour développer et utiliser l’IA 

 

La note veut augmenter, à la lumière de la Doctrine Sociale de l’Église, la capacité de discernement de tous les niveaux de la société, du concepteur à l’utilisateur, en passant par le décideur. Nombreuses sont en effet les références aux textes du Magistère à ce sujet, qui évoquent entre autres le principe de dignité (AN, 39) et de subsidiarité (AN, 42), le développement humain intégral (AN, 51) ou aussi le bien commun (AN, 55). 

 

Le 4e chapitre précise les ressorts de la responsabilité morale de l’être humain. C’est lui qui donne à l’IA sa fin. L’usage de notre conscience est d’ailleurs une partie de l’exercice de notre intelligence. En ce sens donc la fin de l’IA peut être positive : promouvoir le bien-être des individus et des communautés (AN, 40). Ce principe est résolument le critère ultime de l’évaluation de toute technologie, elle en révèle sa « positivité éthique » (AN, 42). L’IA peut ainsi aider l’homme à accomplir sa vocation au bien (AN, 48). Ce discernement oblige à bien situer la responsabilité morale. Partagée par tous, elle est à comprendre non pas comme un « rendre compte » mais comme un « prendre soin de l’autre » (AN, 47).  

 

Dans une liste presque exhaustive, le 5e chapitre aborde des applications concrètes à l’instar des relations humaines, du travail, de la santé, de l’éducation, de la guerre, des fake news, des inégalités, et même du rapport de l’humanité avec Dieu. Elles sont présentées comme des opportunités, où le progrès technologique n’est véritable que s’il participe au progrès de l’homme. Néanmoins des risques y sont aussi décrits. Par exemple si l’IA peut constituer une ressource éducative, elle ne remplace pas l’empathie d’un professeur, où le corps joue d’ailleurs un rôle central. Il faut éduquer la « tête, le cœur et les mains ». Finalement l’homme est invité à ne pas se rendre dépendant de l’IA, d’autant plus que notre société est déjà profondément marquée par la subordination aux technologies.  

 

Enfin, si la promesse de l’IA est de surpasser l’intelligence humaine, la quête de transcendance de l’homme, elle, ne peut être satisfaite que dans la communion avec Dieu. La note alerte sur le danger de l’idolâtrie : « ce n’est pas l’IA qui est déifiée et adorée, mais l’être humain, qui devient ainsi l’esclave de son propre travail » (AN, 105). 

 

La vraie sagesse 

 

Plus le pouvoir des hommes s’accroît, plus la responsabilité humaine grandit. Il faut garder un horizon « d’intelligence relationnelle » (AN, 111) et ne surtout pas s’habituer au numérique, au risque d’une humanité diminuée. Nous sommes invités à entretenir « une appréciation renouvelée de tout ce qui est humain » (AN, 112) pour préserver l’unité de la famille humaine.  

 

Plus largement ce document offre une réflexion sur la capacité humaine à innover, à créer, donnée elle-même par Dieu. En outre c’est aussi l’occasion pour l’Église de s’adresser au plus grand nombre. La vraie sagesse, au-delà de l’accumulation des données, est selon les mots du Pape celle du cœur, qui « tisse le tout et les parties » (AN, 114). 

Pour en savoir plus : 

 

Pape François, Message pour la LVIIe Journée Mondiale de la Paix (1er janvier 2024) 

 

Pape François, Message pour la LVIIIe Journée Mondiale des Communications Sociales (24 janvier 2024) 

 

Pape François, Discours à la Session du G7 sur l’Intelligence Artificielle à Borgo Egnazia (Pouilles) (Vendredi 14 juin 2024)