La Foi à l'épreuve du mal - Communauté Saint-Martin

LA FOI À L’ÉPREUVE DU MAL

(Dossier Sub Signo Martini n°54)

Le spectacle du monde et de nos propres vies nous confronte jour au mystère du mal, du péché, de la souffrance. Notre foi de chrétiens ne peut qu’être ébranlée, bouleversée, voire révoltée par ce qui constitue toujours un scandale. Sans se risquer à des réponses faciles qui tenteraient de tout expliquer, la foi de l’Église nous montre la seule réponse : la Croix du Christ, venu non « pour expliquer la souffrance » mais « pour la remplir de sa présence » (Paul Claudel)

Il a vaincu la mort ! La victoire du Christ sur le mal
Le scandale du mal : foire aux questions
Comment le mal est-il entré dans le monde ?
Le scandale du mal devant les catastrophes naturelles ?
" Seul le pardon m’a permis de revivre en paix "
Le carême, chemin de lutte contre le mal

Il a vaincu la mort ! La victoire du Christ sur le mal

« Grâce soit rendu à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ ! » (1 Co 15, 57) Le Christ est vainqueur de tout mal.
Cette certitude de foi n’est pas secondaire mais fondamentale pour le chrétien, car elle nous donne l’assurance que le mal, si grand soit-il, n’a pas le dernier mot.
Quand nous tournons les yeux vers le Christ crucifié et ressuscité, nous contemplons le vainqueur de nos trois grands ennemis : le péché, la mort et Satan.

Vainqueur par la Croix

Le Christ est vainqueur du péché qui nous réduit en esclavage et inocule en nos cœurs le poison mortel de l’orgueil, de la haine et finalement du rejet de Dieu par la désobéissance à la voix de l’Esprit-Saint. Par sa croix, en effet, Jésus nous offre le vaccin au péché. À l’orgueil il répond par l’humilité de son abaissement volontaire jusqu’à la mort, à la haine, par l’amour infini de son cœur transpercé : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime. » (Jn 15, 13) Au rejet de Dieu inauguré par la désobéissance de nos premiers parents, il oppose l’obéissance amoureuse du Fils au Père qui « s’est fait obéissant jusqu’à la mort, la mort sur une croix » (Ph 2, 8). Vainqueur du péché, le Christ est également vainqueur de la mort, « salaire du péché » (Rm 6, 23). Par sa Résurrection, il fait voler en éclat la fatalité de la mort. L’irrémédiable a désormais un remède. C’est là le triomphe de Jésus sur Satan, l’antique serpent qui depuis l’origine travaille à rendre l’homme esclave du péché et de la mort. Oui, le Seigneur est bien vainqueur de tout mal et c’est par l’arme de la Croix qu’il a remporté cette victoire.

Vainqueur, vraiment ?

Mais alors, comment expliquer que cette victoire soit si peu visible ? Il suffit d’ouvrir les yeux pour s’apercevoir que le mal est à l’œuvre encore aujourd’hui et même, semble-t-il, avec une intensité redoublée. Moins d’un siècle après Auschwitz, les Khmers rouges et Hiroshima, comment peut-on croire que le Diable a été vaincu ? On aurait plutôt l’impression qu’il se déchaine plus violemment que jamais !

En fait, c’est précisément parce qu’il se sait vaincu que le Démon se déchaine plus violemment que jamais. À la Croix, il a été irrémédiablement défait, et chaque jour qui passe le rapproche du Jour où le Christ revenant dans la gloire pour juger les vivants et les morts achèvera de le neutraliser. Pour comprendre cela, un petit détour par l’histoire peut être éclairant. Le 25 août 1944, en libérant Paris, les Alliés remportent une victoire décisive : il est désormais certain que l’Occupation touche à sa fin. Néanmoins, il faudra attendre l’armistice du 8 mai 1945 pour que les dernières poches de résistances allemandes en France rendent les armes. Entre la libération de Paris et l’armistice, il s’est déroulé un temps où la victoire était acquise, certaine, mais pas encore ratifiée. Et pendant cette période, des unités allemandes ont livré des combats d’une rare violence avec l’énergie du désespoir. Il en est, d’une certaine manière, ainsi du temps où nous sommes. Le Christ a remporté la victoire décisive au jour de sa Résurrection et elle sera ratifiée lors de son retour dans la gloire. D’ici là, le Démon livre son dernier combat avec l’énergie du désespoir, « frémissant de colère et sachant que ses jours sont comptés » (Ap 12, 12).

Une victoire visible dans la foi et manifestée par l’espérance

Ainsi, la victoire du Christ sur le mal est définitive mais elle attend encore un accomplissement. Bientôt manifestée à tous quand le Seigneur reviendra, elle n’est pour l’instant visible que dans la foi. Le chrétien est donc invité à poser un regard de foi et d’espérance sur le cours de l’histoire en discernant dans le bien qui se fait la manifestation de la victoire du Christ sur le péché, et dans le mal qui se déchaine, les ultimes soubresauts du Démon qui se sait déjà vaincu et condamné. Dans l’action de grâce pour la victoire de la Croix, il tourne les yeux vers le retour glorieux du Sauveur qu’il veut manifester par son espérance et hâter par son instante prière : Maranatha, viens Seigneur Jésus !

Emmanuel Rousselin + prêtre

Le scandale du mal : foire aux questions

« Il n’y a pas un trait du message chrétien qui ne soit pour une part une réponse à la question du mal », nous apprend le Catéchisme de l’Église catholique (n°309).
Pourtant, l’existence du mal semble une des principales objections à la foi chrétienne et les incroyants semblent éloignés de la foi par des réponses apparemment trop faciles et presque désinvoltes.
Tentatives de réponse – sans facilité – aux objections les plus fréquentes.

1. Le mal, est-ce de notre faute ?

Il faut revenir à l’origine. La création voulue par Dieu est bonne : lorsqu’il crée l’univers visible et invisible (celui des anges), Dieu le veut bon. Par conséquent, le mal est entré dans le monde sans que Dieu le crée ou le veuille positivement. Mais, si Dieu a créé un monde qui est bon, il ne l’a pas créé parfait. Il n’a même pas créé le « meilleur des mondes possibles », comme le pensait le philosophe rationaliste Leibniz (1646-1716).

Dans leurs limites de créatures, les anges et les hommes peuvent donc « défaillir », c’est-à-dire refuser le plan d’amour de Dieu sur ceux. C’est ce qui est arrivé réellement avec le péché de Satan et le péché originel. Si le mal est entré dans le monde, c’est donc par la faute de Satan d’abord et des premiers hommes ensuite (cf. p.14).

2. Le péché est-il est une fatalité pour l’homme libre ?

Si Dieu nous a créés libres, il a pris le risque que nous péchions. Ce n’est pas une fatalité ! Si les premiers hommes ont effectivement péché – ce que Dieu a permis – ils auraient pu choisir de faire la volonté de Dieu. Les limites de l’homme, qui est un « voyageur » sur cette terre, ne le conduisent pas nécessairement à pécher. Au contraire, il était plus naturel à nos premiers parents de faire le bien que de faire le mal. Pour nous, la situation n’est plus la même depuis le péché originel : nous héritons d’une tendance qui nous incline au mal et nous ne pouvons plus ne pas pécher du tout. Pourtant, Dieu ne nous laisse seuls dans notre misère.

3. Si le péché est de notre faute, qu’en est-il de la souffrance ?

En effet, nous arrivons à comprendre notre responsabilité dans le péché ; c’est nous qui le commettons et nous voyons les conséquences sur nous-mêmes et sur les autres. Mais, qu’en est-il de la maladie qui s’abat, des catastrophes naturelles qui touchent des victimes innocentes ? A cette question terrible, nous ne pouvons que balbutier une réponse double :

La maladie ou les catastrophes ne sont ni une malédiction ni une punition divine de ceux qui en sont touchés : c’est ce que Jésus répond à ceux qui l’interrogent au sujet de l’effondrement de la tour de Siloé (Lc 13,4).
Il y a un certain lien entre le péché et la souffrance au plan de l’univers et de l’humanité dans son ensemble : avec le péché originel, non seulement le péché mais aussi les souffrances – le mal physique – ont déferlé sur le monde, comme une cascade. Avec le péché, la mort et la souffrance sont entrés dans le monde, sans que cela corresponde au plan originel de Dieu.

4. Dieu veut-il le mal et la souffrance ?

Est mauvais ce qui ne correspond pas au plan créateur de Dieu, qui est bon. Dieu, qui est la bonté infinie, ne peut pas vouloir le mal et aurait voulu que les hommes ne souffrent pas, mais, il a les a créés libres et donc permet qu’ils se détournent de Lui et pèchent. En créant l’homme, Dieu veut une créature qui puisse répondre librement à son amour, qui puisse choisir de l’aimer. En péchant, les hommes se préfèrent eux-mêmes à Dieu et refusent donc la volonté d’amour de Dieu sur eux.

Ces mots nous semblent souvent creux lorsque nous sommes réellement confrontés à la souffrance, mais, avec le temps, nous pouvons découvrir que Dieu permet le mal parce que, dans sa toute-puissance, il peut tirer un bien de ses conséquences. Comme l’écrit saint Augustin, « le Dieu Tout-Puissant, puisqu’il est souverainement bon, ne laisserait jamais un mal quelconque exister dans ses œuvres s’il n’était assez puissant et bon pour faire sortir le bien du mal lui-même. »

5. Comment Dieu s’engage-t-il pour répondre au mal ?

« Il n’y a pas un trait du message chrétien qui ne soit pour une part une réponse à la question du mal. » Cette phrase très forte du Catéchisme (n°309) nous indique que la réponse au mystère du mal ne peut pas être facile ou rapide. C’est l’ensemble de la foi chrétienne qui éclaire le mystère du mal : le mystère d’iniquité du péché ne trouve sa réponse que dans le mystère de la bonté de Dieu.

Si Dieu permet le péché et le mal, c’est en fin de compte parce qu’il sait qu’il peut nous sauver et qu’il va s’engager lui-même dans cette grande œuvre du salut. La Croix du Christ est l’unique réponse au mal (cf. p.11). Dieu ne nous sauve pas de l’extérieur, mais il s’engage en son Fils, qui devient lui-même victime du mal.

6. La vie chrétienne consiste-t-elle alors à se résigner à souffrir ?

Notre foi nous donne la certitude que la Providence de Dieu guide toute notre vie et fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment (cf. Rm 8,28). Ainsi, nos souffrances sont, sinon voulues pour elles-mêmes, en tout cas connues par Dieu dans sa Providence. Il ne permet pas d’épreuves qui soient au-delà de nos forces.

Pourtant, nos souffrances restent des maux et les chrétiens ne doivent pas s’étonner de souffrir comme tout le monde. Jésus lui-même n’a pas échappé à l’angoisse devant la mort, dans l’agonie de Gethsémani. Il nous apprend à souffrir ! Dès lors, nos souffrances ne prennent pas de valeur en elle-même mais en tant qu’elles nous invitent à nous abandonner davantage à l’amour de Dieu, avec cet héroïsme chrétien qu’est la sainteté. Ce n’est pas la souffrance qui nous sauve – elle reste absurde et inexplicable – mais c’est l’amour que l’on y met !

Comment le mal est-il entré dans le monde ?

Le récit du premier péché, dans la Genèse, nous montre nos premiers parents aux prises avec un mystérieux serpent tentateur :
le mal n’a donc pas été inauguré par les hommes, et une autre faute a précédé celle d’Adam et Ève.

Le péché des anges

La Bible ne nous parle pas de cette première faute, si ce n’est par allusion. La Tradition, à la suite des Pères de l’Eglise appela cet événement le péché des anges. Créés dans l’amitié avec Dieu, avant même la Création du monde, les anges sont des créatures spirituelles, des messagers de Dieu destinés à l’assister. Dieu a donné la vie aux anges par pure bonté et les a richement dotés pour cette mission. Mais, au premier instant de leur vie, certains se sont révoltés en préférant leur propre bonté à l’excellence de Dieu. Ils ont vu leurs qualités, leur beauté, et l’ont préféré à Dieu. Ils ont refusé de servir : « Je ne servirai pas », a déclaré leur chef de file. Le prophète Isaïe, dans un oracle contre le roi de Tyr, permet d’illustrer ce péché des anges : « Toi qui avais dit dans ton cœur : J’escaladerai les cieux, au-dessus des étoiles de Dieu, j’élèverai mon trône, je siégerai sur la montagne de l’Assemblée, aux confins du septentrion. Je monterai au sommet des nuages, je m’égalerai au Très-Haut. Mais tu as été précipité au shéol, dans les profondeurs de l’abîme. » (Is 14, 12-15)

Comme l’ange a une intelligence qui ne déploie pas dans des raisonnements successifs, il voit toutes choses par intuition dans le Verbe de Dieu et fut donc fixé en un instant dans son sort éternel, sans pouvoir se convertir. Si bien que leur faute, ou leur acceptation de Dieu, les établit pour toujours dans le bonheur définitif, ou dans le refus de l’amour de Dieu.

Le péché originel de l’homme

Le péché des hommes, tel qu’il est raconté dans la Genèse, vient donc à la suite du péché du diable. « L’homme, tenté par le diable, a laissé mourir dans son cœur la confiance envers son Créateur et, en abusant de sa liberté, a désobéi au commandement de Dieu. » (Catéchisme, 397) Le péché originel est fondamentalement un péché d’orgueil ; il ressemble en cela au péché du tentateur.

Comme descendants d’Adam, nous sommes marqués par le péché originel, qui n’est pas une faute personnelle de notre part, mais un état que nous recevons. Nous n’en sommes pas responsables mais nous le mettons en acte, en quelque sorte, à chaque fois que nous péchons. Ainsi n’y a-t-il pas de fatalité dans nos péchés, mais nous sommes, dans notre nature humaine blessée, fragilisés et nous avons du mal à faire le bien et à éviter le mal.

A la différence du péché des anges, le péché originel ne fixe pas les hommes – qui vivent dans le temps de la terre – dans leur sort éternel ; ainsi avons-nous la possibilité de nous convertir et de grandir, par la grâce du Christ sauveur, dans le bien et d’avancer ainsi, en fils de Dieu, vers la vie éternelle.

François-Régis Moreau + prêtre

Le scandale du mal devant les catastrophes naturelles

Face à la multiplication des catastrophes naturelles et leur constante médiatisation, nous pouvons nous sentir impuissants et ressentir une forme de révolte devant l’absurdité de tels événements.
Notre cœur légitimement inquiet, presque révolté, a besoin de comprendre.

Le mal qui s’abat sur l’homme et sur la création nous semble incompréhensible, il déroute notre raison et peut même parfois ébranler notre foi. Il se présente donc comme un scandale. Pourquoi ce mal ? D’où vient-il ?

La bonté originelle de la nature créée par Dieu

La révélation nous donne des lumières pour pénétrer un peu plus ce mystère mais on ne peut expliquer entièrement un mystère, on peut seulement le décrire et rentrer peu à peu dedans. Dieu ne veut ni la mort ni la destruction de la vie. Le livre de la Genèse nous montre comment Dieu a créé le monde dans une certaine bonté, « et Dieu vit que cela était bon ». En passant du chaos à l’ordre, de la confusion à la distinction, Dieu a voulu ordonner sa création, le cosmos, la nature, afin que règne une harmonie entre toutes les créatures.

Les conséquences du péché sur la nature

Le désordre est entré par le péché. « L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et l’ensemble de la création a été détruite par le fait d’avoir prétendu prendre la place de Dieu, en refusant de nous reconnaître comme des créatures limitées. » (Pape François) Toute catastrophe naturelle représente une manifestation violente de ce désordre issu du péché où l’énergie du vivant se retourne parfois comme une force de mort au lieu d’être source de fécondité. Nous comprenons combien les anomalies que nous observons dans les rouages de la création nous rappellent chaque jour que le plan originel de Dieu a été abîmé. Ce monde dans lequel nous vivons ne correspond plus tout à fait à la volonté de Dieu. Par exemple, le Créateur n’a sans doute pas voulu qu’on ne puisse vivre qu’en tuant, ce qui nous paraît pourtant naturel !

Du « paradis terrestre » au « paradis céleste »

Lorsque saint François d’Assise composa son Cantique des créatures, il pensait à l’état originel de la création (le « paradis terrestre ») ou à l’état final (le « paradis céleste »), lorsque celle-ci sera libérée de l’esclavage de la corruption. En effet, la création abîmée par le péché est appelée à être récapitulée dans le Christ. Il y a une espérance pour la création car Dieu a prévu un rachat, un salut pour elle. « [Les créatures] avancent toutes, avec nous et par nous jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrase et illumine tout. » (Pape François, encyclique Laudato si, 83)

Pascal Boulic + prêtre

« Seul le pardon m’a permis de revivre en paix »

Confronté au mal, on pourrait avoir tendance à s’enfermer dans un ressentiment permanent. Mais celui-ci vous mine de l’intérieur et seul le pardon permet de revivre en paix.
Jean-Sébastien Tavernier l’a vécu à deux reprises ; il nous livre son témoignage.

Il y a des années, une personne proche m’avait fait beaucoup de mal et j’ai nourri pendant longtemps envers elle un sentiment de haine permanente qui me « pourrissait la vie ». Après plusieurs mois, peu à peu, j’ai ressenti le besoin de lui pardonner. Peut-être était-ce aussi, inconsciemment, pour alléger ce fardeau qui me pesait. Mais, plusieurs fois, alors que je me sentais prêt, au dernier moment, je n’arrivais pas à le lui exprimer.

Le jour où j’y ai enfin réussi, j’ai ressenti une grande paix intérieure qui ne m’a jamais quitté depuis et une grande joie qui demeure ma plus belle expérience de vie.

En 2012, ma mère a été assassinée de plus de quarante coups de couteaux. A ma grande surprise, je n’ai jamais ressenti de haine à l’égard de Matthieu, l’assassin, qui fut arrêté au bout de deux mois. Cette réaction apparemment insensée m’a déstabilisé : comment était-il possible de n’avoir pas envie de violence vis-à-vis de celui qui avait aussi sauvagement fait souffrir ma mère ? Ce n’est qu’après avoir longuement réfléchi, aidé en particulier par des amis religieux, que j’ai réalisé que j’avais pardonné « à l’insu de mon plein gré », ou plutôt avais été l’instrument du pardon de Dieu, dès la seconde où j’avais appris le crime.

Ma famille s’est engagée sur ce chemin, parfois difficile, sans s’en apercevoir véritablement. Pourtant, dès le lendemain de la mort de maman, nous rencontrions certaines de ses amies et l’une d’elles, à qui personne ne se rappelle l’avoir dit explicitement, a déclaré aux journalistes que « nous étions sur le chemin du pardon ». En veillant le corps de maman, nous avons dit à nos enfants que seul le pardon nous permettrait de ne pas nous détruire intérieurement et, pendant la messe d’obsèques, nous avons demandé que l’on prie pour l’assassin et pour que nous ne ressentions pas de haine à son égard. Au terme de son procès trois ans plus tard, j’ai éprouvé les mêmes grandes joie et paix lorsque j’ai fait savoir à Matthieu par le biais de ses avocats que nous lui avions pardonné ou avancions dans ce sens.

Les grâces que j’ai reçues à l’occasion de ces pardons donnés sont d’une puissance insoupçonnable. Elles m’ont permis de voir en l’auteur du mal non un ennemi mais un frère. Et ça c’est la vraie Paix ! Elles ont aussi changé mon regard sur le pardon dont je sens pour moi-même bien davantage le besoin et ont diminué ma crainte de la confession. A partir de l’étymologie du mot, je dirai maintenant que le « par don » est comme un double don : celui qui donne le pardon reçoit le centuple en grâces.

Jean-Sébastien Tavernier

Le carême, chemin de lutte contre le mal

Dans sa pédagogie liturgique et spirituelle, l’Eglise donne aux baptisés le carême comme un temps privilégié de combat contre le mal, qui vient dénaturer notre relation à Dieu et aux autres.

Le carême est un temps privilégié, non parce que le combat n’aurait pas à être mené en dehors de cette période, mais parce qu’il est un temps fort nous permettant de faire l’expérience intense et extraordinaire de ce que nous vivons, ou devons vivre, de façon habituelle et diluée dans le temps continu de notre ordinaire.

Lutter contre le mal qui détruit nos relations

Cet aspect relationnel particulier et spécifique du mal traverse toute la tradition biblique. « Lequel d’entre vous donnera une pierre à son fils quand il lui demande du pain ? Ou bien lui donnera un serpent, quand il lui demande un poisson ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent ! » (Mt 7, 10-11) Dieu ne peut vouloir le mal. Dieu est amour, Dieu est bon, c’est un Dieu de bénédiction qui ne dit que du bien (bene dicere, en latin) parce qu’il est le bien de toute chose et de toute personne. Le mal, qui prend alors le nom de péché, se situe en l’homme fils de Dieu ou appelé à le devenir. Voilà pourquoi le Fils de Dieu, le Verbe, en se faisant chair (Jn 1,44) est dit par saint Paul comme « identifié au péché » (2 Co 5,21). Dans le récit du meurtre d’Abel par Caïn (Gn 4), c’est une autre dimension de la relation qui est brisée par le péché, la relation fraternelle et l’amour du prochain.

La Christ crucifié vient sauver notre relation à Dieu et aux autres

C’est par la Croix que cette double relation sera guérie. Le Christ, point crucial de cette relation verticale (avec Dieu) et horizontale (avec l’homme), libère l’humanité du péché et, par le don de sa vie au Père pour le salut du monde, établit la relation des hommes à Dieu comme une relation de paternité-filiation. De même que, par le don de sa filiation aux hommes, il restaure et élève à la dignité divine la relation fraternelle entre les hommes et fonde l’Eglise comme lieu de fraternité : « Femme, voici ton fils – fils, voici ta mère. » (Jn 19, 25-27)

Le carême doit se vivre comme ce chemin de conversion et de pénitence par lequel nous revenons et retournons à Dieu et à nos frères. Il est un temps de rénovation ou de reconstruction de notre relation à Dieu, Père, Fils et Esprit et notre relation avec le prochain, notre frère. Combattre le mal, c’est construire, renover, guérir notre relation à Dieu et aux autres par la prière, l’aumône et la pénitence.

Bruno Attuyt + prêtre