Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« S’IL ME MANQUE L’AMOUR, JE NE SUIS RIEN… »

Lectio divina pour le 4ème Dimanche Ordinaire
Jér. 1,4…19 1Cor. 12,31-13,13 Lc. 4,21-30

Nous allons poursuivre notre réflexion sur les trois prières que nous évoquions dans notre précédente Lectio et qui forment comme la colonne vertébrale de nos liturgies dominicales. Nous avions réfléchi sur la Collecte, la première prière qui donne le sens à la Liturgie de la Parole et donc aussi à notre Liturgie eucharistique. Nous avions analysé la Prière sur les Offrandes qui entame la liturgie proprement eucharistique. Et enfin nous avions terminé par la Post Communion qui clôture l’ensemble dans l’action de grâce et nous rappelle le fruit obtenu par notre Liturgie.

Le Discours sur la montagne, inaugural et des Béatitudes…

Rappelons-nous déjà qu’il lui est attribué une multitude de dénominations.

Ce discours évangélique est le « Discours inaugural » parce qu’il commence le ministère public de Jésus, approximativement au mois de juin de l’an 28…

Il est dit aussi « Discours sur la montagne » parce qu’il est situé, selon la tradition, sur une petite colline dominant le lac de Tibériade non loin de Capharnaüm.

Il est dit aussi, bien entendu, « Discours des Béatitudes » puisque c’est par ce mot que Jésus interpelle ses auditeurs.

Et il faut tenir à cette interpellation de « bienheureux » plutôt qu’au seul mot d’ « heureux ». En effet le mot de ‘bienheureux’ nous signifie le caractère extrême de la joie et donc son caractère céleste, divin, venant de Dieu. C’est d’ailleurs la définition des dictionnaires. Le terme d’ ‘heureux’, au contraire, nous ramène à un bonheur donné par un destin favorable -pour employer les expressions de l’Antiquité- et donc à quelque chose d’immanent. Ici, c’est vraiment l’état de bienheureux que Jésus proclame.

« Bienheureux êtes-vous si sachant cela vous le mettez en pratique. »

Ces Béatitudes, nous les trouvons ailleurs que dans ce Discours inaugural. Rappelons en deux qui vont d’ailleurs nous aider à voir clair dans la péricope d’aujourd’hui.

Nous nous souvenons de cet échange un peu dur, à première lecture, pour la Vierge Marie. Non loin de Jésus, bousculé par la foule, une voix de femme s’élève : « Heureux le sein qui t’a allaité ! » Et Jésus répond : « Bienheureux plutôt celui qui garde ma Parole et la met en pratique. »

Cette Béatitude trouvera un écho à la fin de la vie publique de Jésus, au moment du discours de la Cène et du lavement des pieds. A cet instant où Jésus donne ce signe de l’humble et serviable charité, Il prononce les paroles suivantes : « Bienheureux êtes-vous si sachant cela vous le mettez en pratique. »

Donc dans ces deux passages, Jésus promet la Béatitude. Il promet la joie extrême, la joie de Dieu à celui qui s’unit à Lui par Sa Parole (le Christ est le Verbe, le Christ est Parole), Parole qui doit être pas seulement écoutée, mais gardée dans le cœur c’est-à-dire mise en application, et appliquée plus particulièrement à la pratique de la charité.

« Bienheureux les pauvres, le Royaume des cieux est à eux. »

Ceci étant rappelé, qu’est-ce que le Christ veut dire à la foule et à Ses disciples qui l’entourent dans ce Discours des Béatitudes ?

Attachons-nous à la première d’entre elles : c’est elle qui donne la direction, le sens de toutes les autres : « Bienheureux les pauvres, le Royaume des cieux est à eux. »

Cela ne veut pas dire : si vous êtes pauvres vous avez le Royaume ! Ce n’est pas une proposition conditionnelle. Cela veut dire : attachez-vous à des richesses qui ne sont pas celles du monde, les richesses du Ciel et du Royaume de Dieu, de la vie intérieure, alors, même si vous n’avez pas les richesses du monde, même si vous êtes pauvres, vous serez dans la joie !

Donc loin d’être un énoncé conditionnel, c’est une promesse ! Celui qui ne met pas son cœur dans les richesses du monde, peu lui importe l’état effectif de son enrichissement matériel puisque son cœur est justement dans le Ciel et cela seul le met dans la joie qu’aucune pauvreté terrestre ne peut venir assombrir !

« Tressaillez de joie… »

D’où la caractéristique de « cette joie que nul ne peut vous ravir », pour reprendre la phrase du Christ : c’est une joie intérieure et déjà présente ! Voilà d’ailleurs ce qui ressort du terme employé par saint Luc : « Tressaillez de joie si l’on vous persécute, si l’on vous pourchasse à cause de mon nom, tressaillez de joie et soyez dans l’allégresse. »

Ce mot, « tressaillez… », Luc l’emploie uniquement ici et dans l’épisode de la Visitation. Jean-Baptiste, dans le sein d’Elisabeth tressaille de joie à la rencontre du Christ… C’est donc bien une joie intérieure et c’est une joie déjà présente !

Une autre caractéristique de cette joie ressort d’un autre mot mis en valeur par l’évangéliste : « vous rirez » dit Jésus. Ce mot « rire » dans le langage de Luc fait appel à la magnificence et à la gloire de Dieu, donc à ce caractère surabondant que seul Dieu peut donner. C’est donc le signe que cette joie, qui est à l’intérieur de mon âme présentement, va petit à petit grandir, se développer jusqu’à l’éclatement définitif du Royaume de Dieu. Vous rirez : vous serez dans l’extase, dans la Béatitude…

« Malheureux êtes-vous… »

Notons maintenant qu’à l’inverse de Matthieu qui présente huit béatitudes positives, Luc n’en présente que quatre qu’il fait suivre de quatre malédictions : « Malheureux êtes-vous… »

Nous pourrions croire alors que le Christ fait strictement référence au passage du chapitre 26 du Lévitique. C’est à ce moment en effet que Dieu promet le bonheur à certaines conditions et souligne ensuite les conditions qui mènent à la malédiction de Son peuple. « Si tu gardes mes commandements, je te bénirai… » Si tu gardes ma Parole Je te bénirai… Si tu gardes ma Loi, Je te bénirai… Mais « attention, si tu me renies, je te maudirai… » Si tu ne gardes pas ma Parole, Je te maudirai… Si tu ne gardes pas la Loi dans ton cœur, Je te maudirai…

Dans le Lévitique, nous avons l’expression conditionnelle de la Loi qui, mal comprise, a poussé au pharisaïsme : « Si je fais ceci Tu me dois le bonheur ! » C’est l’esprit de la justification des pharisiens. Si je paye mon denier du culte… Si je fais mon pèlerinage à Jérusalem… Si j’offre l’agneau, je suis un juste !

Jésus, tout en reprenant cet exposé antithétique des bénédictions et des malédictions du Lévitique le transforme et lui donne son véritable sens. Encore une fois, ce n’est pas : si vous êtes pauvres vous avez le Royaume. Presque à l’opposé, cela veut dire : si vous recherchez le Royaume, je vous promets la joie. C’est totalement différent !

Donc je ne peux pas acquérir le Royaume en payant, fut-ce de ma pauvreté. Je dois acquérir le Royaume par l’adhésion au Christ, par ma disponibilité : Si tu veux le Royaume, si tu as le Royaume en toi, Je te promets la joie, et une joie de béatitude, pleine, complète…

Les anawim et la Providence divine.

Cependant il nous faut faire attention. Si « Bienheureux les pauvres… » a ce sens de l’adhésion au Royaume, « Bienheureux les pauvres… » veut dire aussi autre chose de complémentaire dans la bouche de Jésus.

C’est une référence à une catégorie de la population d’Israël dénommée justement pauvre et constituée par tous les pauvres de ce peuple, les anawim. Ce sont les laissés-pour-compte, dirions-nous aujourd’hui : ‘les exclus’.

Et ces exclus, ces pauvres, ces petits qui ne sont pas de race -ils ne sont ni de la tribu d’Aaron, ni de la race de David, ni doctes comme des scribes, ni puissants comme des prêtres-, ces gens qui n’ont ni argent ni biens, ces gens là qui sont étouffés par tout ce qui détient de la puissance, ces gens-là s’en remettent totalement à Dieu seul, à Sa Providence, pour être défendus, pour être nourris, protégés.

C’est donc cette pauvreté, au sens économique du terme, qui donne naissance chez ces Juifs à l’attitude d’humilité, de pauvreté spirituelle qui deviendra, par exemple, dans notre monde chrétien, la voie de la petite Thérèse : voie de l’enfance et de la petitesse.

Bien entendu les pauvres ne sont pas tous comme cela. Mais il y a cette tradition ineffaçable qui se comprend fort bien d’ailleurs lorsqu’on lit la Loi dans l’Ancien Testament. La Loi en effet s’intéresse beaucoup à ces exclus symbolisés par l’étranger, la veuve, l’orphelin…

« Sachant cela bienheureux êtes-vous si vous le faites… »

Relisons les Livres historiques ou les Livres législatifs. La charité que Dieu demande à Son peuple c’est, en grande partie, en rapport avec ces exclus, ces pauvres, ces anawim.

Ceux-ci, disions-nous, mettent toute leur espérance, tout leur trésor intérieur dans la Providence divine qui seule peut les protéger, les défendre et les nourrir.

Aussi lorsque Jésus dit : « Bienheureux les pauvres car le Royaume des cieux est à eux », c’est un appel qu’Il lance à tout disciple pour qu’il soit la manifestation concrète de cette Providence divine en laquelle le pauvre met son espérance. Le Christ lance un appel pour que Son disciple soit celui qui rassasie le pauvre et lui donne la joie, lui montrant qu’effectivement il a eu raison de croire en Yahvé, de s’appuyer sur Sa Providence.

Autant le premier regard que nous avons porté sur cette béatitude de la pauvreté nous rapproche de la béatitude de la Parole : « Bienheureux plutôt celui qui garde ma Parole… », autant ce deuxième regard sur la pauvreté économique fondatrice de la pauvreté spirituelle dans le peuple d’Israël -et donc l’appel à la mission caritative lancé par le Christ- , fait appel au service de la charité exprimé par la béatitude de la Dernière Cène : « Sachant cela bienheureux êtes-vous si vous le faites… », c’est-à-dire si vous vous servez les uns les autres.

Mais nous ne devons pas oublier que les deux explications de cette béatitude des pauvres sont liées. On ne peut les séparer l’une de l’autre.

Bienheureux moi le Pauvre, le Royaume de Dieu est à moi…

Cette béatitude, comme les suivantes, est vraie dans le Christ, parce qu’en fait le Christ se décrit : « Bienheureux moi le Pauvre, le Royaume de Dieu est à moi… »

Le Christ se décrit comme le grand frère, comme l’aîné de la multitude, comme le premier-né, comme le modèle à suivre.

De plus, si nous voulons que la béatitude soit vraie actuellement et non pas seulement il y a 2000 ans en Jésus, si nous la voulons présente actuellement dans l’Eglise c’est-à-dire dans nos corps et dans nos cœurs il faut que nous appliquions totalement l’Evangile. Il ne s’agit pas de faire que du social, comme il ne s’agit pas non plus de faire que du faux spirituel.

La béatitude de pauvreté ne regarde pas que l’exclusion, mais elle se fonde sur l’exclusion, c’est vrai.

« Si tu veux être parfait va, vends tes biens, donne-les aux pauvres… »

Le disciple du Christ doit non seulement se détacher des richesses du monde pour s’attacher au Royaume de Dieu (et acquérir ainsi la joie), mais il faut aussi qu’il soit manifestation concrète de la Providence divine vis-à-vis de ceux qui ont faim, de ceux qui ont soif, de ceux qui n’ont pas de toit.

Regardons Jésus, voyons comme c’est extraordinaire : Jésus nourrit, Jésus guérit, Jésus rassasie et pourtant Il prêche le détachement, Il prêche la pauvreté ! Il aurait pu dire : « De quoi te plains-tu, tu es malade ? Eh bien cela te fera gagner ton Ciel ! » Non, au contraire ! Jésus à la fois guérit, rassasie, nourrit pour manifester la Providence de Son Père en laquelle tous ces pauvres, y compris les pêcheurs de Galilée, ont mis leur espérance : et en même temps Il demande à chacun de se détacher de la richesse du monde pour s’attacher à la richesse du Royaume.

« …Puis viens et suis-moi.»

Voilà quelle doit être notre attitude à nous chrétiens.

C’est fort à propos que ce dimanche se situe à trois semaines du Carême. Car en Carême nous allons devoir résoudre ce dilemme : quelle doit être ma position de chrétien vis-à-vis du pauvre ? Ne dois-je faire que l’aider ou dois-je me contenter de rester prier dans mon église ? Comment trouver l’équilibre ?

L’équilibre est là : nous devons nous détacher, nous, des richesses de ce monde et en même temps être la manifestation concrète de la Providence et de la munificence de Dieu par rapport aux pauvres qui n’ont pas de quoi manger ni de quoi se loger.

Nous revenons à l’histoire du jeune homme riche : « Si tu veux être parfait –la béatitude – va, vends tes biens –c’est-à-dire attache-toi à la richesse du Royaume- donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi.»

 

 

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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