Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« Je vous verrai à nouveau et votre cœur sera dans la joie… »

Lectio divina pour le troisième dimanche de l’Avent

Avec le 3ème Dimanche de l’Avent, nous avons la joie de vivre comme dans un rêve liturgique : l’orgue fait retentir des notes plus joyeuses, les fleurs sont revenues ! Quelle est la raison de ce rêve qui vient comme couper brutalement l’austérité de l’Avent ? L’Eglise, connaissant la psychologie de l’homme, et connaissant sa facilité à se lasser d’attendre, nous donne aujourd’hui les moyens de stimuler notre désir du Royaume. Elle nous fait goûter par anticipation les beautés du mystère de l’Incarnation que nous attendons pour stimuler ce désir afin que les derniers jours de la préparation se déroulent dans une ferveur plus grande.

Déjà, dans l’Ancien Testament, comme le rappelleront les deux premières lectures, Dieu a suscité cette pré-gustation de l’Avènement attendu par le peuple d’Israël. Mais entre l’attente de l’Ancien Testament et l’attente du chrétien, entre la petite fenêtre ouverte par Dieu au temps d’Isaïe et celle que l’Eglise nous ouvre aujourd’hui, il y a deux différences fondamentales.

« Les aveugles verront, les sourds entendront, les muets parleront »

D’abord, la fenêtre ouverte par le prophète n’était qu’une vision. Mais nous, nous allons être appelés à contempler ce qui est déjà advenu. Ensuite, c’est que la réalité entrevue à travers les prophéties de l’Ancienne Alliance et la réalité que nous allons entrevoir aujourd’hui sont très différentes.

La contemplation du Salut dans l’Ancien Testament se fait par l’intermédiaire des prophètes qui annoncent, en Son Nom, l’Avènement dont la Liturgie nous parlait dimanche dernier. Le peuple d’Israël attend un Libérateur. Ce Libérateur, dit le prophète est Dieu Lui-même qui, dans Sa Gloire, va créer un monde nouveau : « Les aveugles verront, les sourds entendront, les muets parleront. » Autrement dit, c’est la plénitude d’un monde physique dans lequel, au-dessus duquel se trouve la Gloire de Yahvé, Celui dont le Nom est imprononçable…

Voilà la fenêtre ouverte par Isaïe pour « affermir les genoux chancelants », pour stimuler l’esprit, l’espérance des justes de l’Ancien Testament.

« N’approche pas car cette terre est sainte ! »

Cette Gloire, ce monde nouveau excitent certainement la joie du peuple d’Israël et, effectivement, réveillent les hommes de leur sommeil, stimulent l’espérance. Mais de quelle Gloire s’agit-il ? Et de quelle joie est-il question dans ces prophéties d’Isaïe ?

Car finalement, la création du monde nouveau est une re-création physique, une perfection de la nature, avec la Gloire Transcendante de Yahvé, ce Dieu dont on ne peut même pas prononcer le Nom !

Il y a donc une espèce de contradiction dans les deux aspects de ces prophéties. L’homme, en effet, est un être spirituel, à l’image de Dieu. Si donc la recréation, le monde nouveau ne regarde que les yeux, les oreilles, les jambes et ne va pas puiser au fond de l’homme, dans son âme, dans ce lieu spirituel qui est conforme à l’image de Dieu, pour y faire entrer l’eau vive de la libération, comment l’homme va-t-il pouvoir contempler la Gloire de ce Dieu que même Moise et Elie n’ont pu voir ?

Finalement, la joie promise aux justes de l’Ancien Testament est limitée par cette contradiction, si l’on peut dire, entre l’Avènement de la Transcendance dans notre monde et ce monde qui, même parfait physiquement, reste fermé à la libération spirituelle non encore entrevue dans ces prophéties.

« Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ! »

Il y a là une ambiguïté, il y a là une limitation de la joie, une limitation de la Révélation que Jésus va s’employer à lever pour nous, si nous savons l’entendre, si nous savons percer ce dialogue curieux qu’il entame avec les disciples de Jean Baptiste à propos de l’Avènement du Royaume !

Ne trouvez-vous pas bizarre la manière dont Jésus annonce le Royaume aux disciples du Précurseur venant Lui poser la question : « Es-Tu vraiment Celui qui doit venir ou doit-on en attendre un autre ? » Lorsque Jésus annonce la charte du Royaume, Il l’annonce sur la montagne, devant des foules, devant Ses disciples. Mais curieusement, voilà que dans ce dialogue presque privé, Jésus annonce et brise l’écorce de l’Ancien Testament pour faire jaillir la plénitude de la Révélation du mystère de Dieu !

C’est à Jean qu’Il parle, à travers Ses disciples. Mais, à travers Jean, c’est à nous qu’Il s’adresse, et il nous faut bien ouvrir notre esprit pour recevoir Son message.

Jean, certainement le dernier et le plus grand des prophètes, (de par sa sainteté et sa vocation de Précurseur) a su que le Libérateur dont parlent les Ecritures n’est pas le promoteur d’une seule libération physique, d’une re-création parfaitement agencée dans un monde écologiquement stable et parfait, mais qu’Il est le promoteur aussi, d’une libération de l’âme. C’est pour cela que Jean, au début de son ministère, aura cette vision qui dépasse infiniment celle d’Isaïe: « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui enlève le péché du monde ! »

La Gloire de Dieu est la restauration spirituelle de l’homme

Pour Jean, sans aucun doute, le Messie est celui qui guérit non seulement les yeux, mais le cœur, l’âme. Et pourtant, voici qu’à la fin de sa vie, il envoie ses disciples pour demander si l’on doit en attendre un autre ! Pourquoi cette sorte de doute ? Plus qu’un doute, c’est une purification que Jésus va lui faire subir -ainsi qu’à nous, peut-être ?-, une purification du regard.

En face des disciples du Précurseur, Jésus va reprendre mot-à-mot trois ou quatre des prophéties d’Isaïe concernant la venue du Messie, dont celle qui est rapportée dans la première lecture de ce 3ème Dimanche : « Allez dire à Jean que les aveugles voient, que les sourds entendent, que les muets parlent, que les morts ressuscitent, que la Bonne Nouvelle est annoncée ! »

Par cette expression, la Bonne Nouvelle annoncée, Jésus se place résolument face à une restauration spirituelle de l’homme. Mais Il ne parle pas de la Gloire de Dieu, Il ne dit point : « et l’homme verra la Gloire de Dieu… » Jésus veut faire comprendre par ce silence, -à Jean et à travers Jean, à nous-mêmes- que la Gloire de Dieu n’est rien d’autre que cette restauration profonde et spirituelle de l’homme ! Elle n’est pas cette gloire royale, pour ne pas dire impériale, que les juifs attendaient : gloire de la richesse, gloire du Transcendant et du Tout-Autre, gloire de l’Intouchable et de l’Ineffable, gloire de Celui que l’on ne peut nommer, que l’on ne peut voir. Au contraire, la Gloire de Dieu se manifeste, se réalise, se crée, si l’on peut dire, dans la guérison intérieure de l’homme.

« La Gloire de Dieu c’est l’homme vivant ! » St Irénée

Comprenons-nous la différence entre le message encore flou et confus de l’Ancien Testament où l’homme espère en Dieu une libération un peu politique, matérielle (certains comme les Zélotes resteront attachés à cette vue politique du Royaume de Dieu et de l’eschatologie) et le message du Nouveau Testament où Dieu ne se définit pas comme le Tout Autre, le Lointain, mais comme Celui dont la Gloire, c’est-à-dire la Vie, l’Etre, la raison de vivre, la raison d’être, est la Tendresse, est le Pardon, est la guérison spirituelle de l’homme ! ?

Voilà le message que Jésus nous adresse : la Gloire de mon Dieu et votre Dieu, cette Gloire qui est infinie comme Il est Infini, parfaite comme Il est Parfait, éternelle comme Il est Eternel, cette Gloire de mon Père et votre Père, cette Vie, cette définition de son Etre divin, c’est la Tendresse qu’Il te porte, tout le Pardon qu’Il te donne… C’est la guérison, non pas tant de ton corps que de ton âme, de ton être profond, de ce qui te constitue à Son image !

Il y a donc une différence essentielle d’avec la joie, qui existe certes, mais limitée, des justes de l’Ancien Testament trouvant leur plaisir dans une contemplation extrêmement difficultueuse d’un Dieu qui les dépasse.

Imaginez-vous devant le plus grand homme d’Etat, la personne la plus riche matériellement comme spirituellement ; et imaginez votre joie qui découle du regard que vous pouvez à peine, de loin, porter sur cet être qui détient la primauté, mais avec lequel, finalement, vous n’avez pas de lien. Le seul lien que vous ayez est celui de l’éloignement, de la différence, de l’inaccessible.

Et imaginez maintenant la joie qui serait la vôtre si l’on vous autorisait à vous approcher de ce grand homme qui vous dirait : Ma gloire, ma joie, ma richesse et ma grandeur, ce qui me constitue comme grand, c’est l’amour que je te porte ! Ma royauté ne vient que du pardon que je te donne… Tu es mon fils et non mon sujet… Tu es mon bien-aimé et non mon esclave… Je suis plus proche de toi que tu ne l’es toi-même… Quelle joie serait la vôtre ! C’est ce que Dieu nous révèle aujourd’hui : ma Gloire et ma Vie, c’est d’être en toi, dans ton âme rénovée… !

« Et votre joie, nul ne vous l’enlèvera… »

Alors, pour mieux saisir la Joie offerte à Noël et déjà entrevue à travers cette fenêtre ouverte sur l’Avènement prochain, il nous faut partir à la recherche de ce monde nouveau déjà advenu et qui se prolonge dans notre âme par la présence de grâce…

C’est dans la mesure où nous pourrons contempler personnellement dans l’intimité de notre cœur la Gloire de Dieu, c’est-à-dire Sa Tendresse pour nous, que notre joie profonde, liée à notre guérison, nous donnera le désir de la développer encore plus en accueillant encore mieux la vie de la grâce en nous ! Oui, il nous faut apprendre à regarder la grâce c’est à dire la Présence de la Tendresse et du pardon divin en nous.

De sourds que nous étions, nous sommes devenus entendants : par la foi qui nous fait écouter et recevoir la Parole.

D’aveugles que nous étions, nous sommes devenus voyants : par l’espérance de notre fin : « Là où je suis, là aussi sera mon serviteur… »

De boiteux que nous étions, nous sommes devenus voyageurs sur la route du Christ : poussés par la charité qui nous presse, comme dit Paul, à donner notre vie pour Celui qui nous a donné la Sienne.

Nous ne sommes pas seulement pécheurs. Nous portons, dans notre pèlerinage à la rencontre de Dieu, une besace pleine de richesses. Nous Le contemplons déjà en nous, aujourd’hui. Et c’est la signification de cette Liturgie joyeuse pleine de musique et de fleurs qui représentent la grâce de notre âme en cours de rénovation, qui signifient notre foi, notre espérance et notre charité, c’est-à-dire la Présence de Dieu, la Gloire de Dieu, le Pardon de Dieu, la Tendresse de Dieu en nous…

Alors, laissons-nous entraîner dans la Joie par cette Liturgie, joie de la contemplation du ‘déjà advenu’, du ‘déjà possédé’, joie que personne ne peut nous enlever dira Jésus… C’est cette joie qui va nous faire reprendre avec plus de vigueur, plus de force, plus d’espérance notre attente pour une venue plus profonde de Dieu en nous lors de ce prochain Noël qui approche !

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

Retrouvez la lectio divina quotidienne (#twittomelie, #TrekCiel) sur tweet : @mgrjmlegall